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Crise financière mondiale

«La voix africaine doit être mieux entendue»

Article publié le 12/11/2008 Dernière mise à jour le 12/11/2008 à 13:58 TU

Donald Kaberuka préside la Banque africaine de développement (BAD) depuis 2005. Ce 12 novembre à Tunis, en partenariat avec la Commission africaine (UA), la BAD réunit les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du continent, en prélude à la réunion du G20 le 15 novembre à Washington. Un entretien réalisé par MFI, l'agence de RFI.

MFI : Que peut faire l’Afrique face à la crise financière mondiale ? Tous les pays du continent sont-ils d’accord sur la marche à suivre ?

Donald Kaberuka.(Photo : © BAfD)

Donald Kaberuka.
(Photo : © BAfD)

Donald Kaberuka : La crise financière vient s’ajouter aux problèmes générés par les prix élevés des produits pétroliers et des biens alimentaires. La récession mondiale qui se profile affectera la demande pour les produits africains. Je conclus qu’en dépit de sa faible intégration avec le reste du monde, l’Afrique souffrira de cette crise.

Il s’ensuit que l’Afrique doit prendre les dispositions nécessaires pour maintenir une croissance économique forte soutenue. A cet effet, les gouvernements africains doivent continuer les réformes afin d’améliorer l’efficacité de leurs systèmes financiers et de gouvernance. En fait, la crise financière actuelle nous rappelle l’importance de la fonction régulatrice de l’Etat.

Je pense que l’Afrique est unanime dans son évaluation de l’impact de la crise et de la réponse à apporter. De concert avec le secrétaire exécutif de la Commission économique africaine et du président de la Commission de l’Union africaine, j’ai pris l’initiative d’inviter tous les ministres des Finances du continent et les gouverneurs des banques centrales d’Afrique à se réunir, le 12 novembre 2008 à Tunis, pour examiner les effets de la crise financière internationale sur les économies africaines. Ce faisant, l’Afrique pourra faire entendre sa voix.

MFI : Quel message voulez-vous adresser au G20 qui se réunit le 15 novembre à Washington ?

D. K. : La conférence de Tunis nous donnera l’occasion de voir comment les économies africaines devraient faire face à cette crise financière. Nous discuterons également de son impact sur l’architecture financière internationale. A ce sujet, nous pensons que le moment est venu pour que la voix africaine soit mieux entendue dans les différentes instances de l’architecture du système financier mondial. Ce sera le message fort que nous adresserons au sommet du G20.

L’Afrique du Sud sera le seul pays africain invité à ce sommet de haut niveau. Je demeure cependant confiant que ce sommet sera à la hauteur des aspirations de nos pays quant à la refonte d’un système financier plus juste et plus efficace. La refonte basée sur la transparence et l’équité est plus que jamais une nécessité dans cette période de crise qui risque de se transformer en une crise économique grave. A l’avenir, il serait important que les institutions panafricaines soient aussi associées à ces événements.


MFI : Vous attendez-vous à des baisses de l’aide publique au développement (APD), sachant que celle-ci avait déjà tendance à diminuer après les réductions de dette ?

D. K. : La crise financière mondiale pourrait avoir un impact négatif sur l’aide publique au développement pour les pays africains. En effet, les plans de sauvetage des institutions financières qu’ont adoptés les gouvernements des pays développés leur imposent des coûts additionnels et non prévus. Les sommes en jeu sont colossales : au moins 700 milliards de dollars aux Etats-Unis et on parle de 300 milliards d’euros comme possible proposition en Europe. Malgré les coûts élevés de ces plans de sauvetage, je demeure cependant confiant que la communauté internationale va honorer ses engagements en matière d’APD. Celle-ci doit être efficace. Nous sommes aussi conscients que les différents partenaires de l’aide publique au développement ont des rôles complémentaires à jouer sur le terrain. Quant à l’atteinte des Objectifs du Millénaire, je veux rester optimiste. Nous sommes aujourd’hui à mi-chemin entre l’année d’adoption des OMD en 2000 et l’échéance fixée pour la date cible, 2015. L’Afrique a fait des progrès. Le taux de scolarisation de base dépasse aujourd’hui les 90 % dans des pays comme l’Algérie, le Cap-Vert, Madagascar, le Malawi, la Zambie. D’autres pays, tels que l’Egypte, les Comores, la Libye, le Maroc ont d’ores et déjà atteint l’objectif de la réduction de la mortalité infantile.

Tout en étant optimiste, je suis conscient que le taux de pauvreté extrême demeure élevé dans de nombreux pays. De plus, les tumultes sur la scène financière internationale mettent en péril les avancées dans de nombreux pays. Ainsi, l’Afrique doit redoubler d’efforts afin de ne pas perdre ses acquis et de continuer sur sa lancée.

MFI : Pensez-vous que les baisses des matières premières, intervenues après des hausses record, risquent de ralentir les investissements basés, pour de nombreux pays africains exportateurs, sur leurs ressources ? Comment pourraient-ils compenser ce manque à gagner ?

D. K. : Comme de nombreux pays africains sont fortement dépendants des exportations de ressources naturelles, un tel retournement sur le marché des matières premières aura des effets négatifs sur leurs performances économiques. Il convient cependant de souligner que la bonne performance des économies riches en ressources naturelles leur a permis de se constituer des réserves. Par exemple, l’Algérie disposait de 133 milliards de dollars de réserves de change fin juin 2008, soit 1,8 fois son produit intérieur brut de 2007. Cependant l’Afrique demeurera exposée aux retournements conjoncturels aussi longtemps que les exportations africaines seront peu diversifiées et à faible valeur ajoutée. Les pays africains doivent continuer les réformes afin d’augmenter leur résilience et devenir plus compétitives sur la scène internationale.

MFI : La BAD joue un rôle de plus en plus actif en partenariat avec l’OCDE ou la Banque mondiale. Etes-vous satisfait de la relance de votre organisation et quelles sont les difficultés auxquelles elle fait encore face ?

D. K. : Depuis mon arrivée à la BAD en 2005, j’ai entrepris une série de réformes pour accroître l’efficacité de l’institution et sa pertinence pour les pays africains. Sur le plan financier, l’institution se porte bien. Nous nous réjouissons que le Fonds africain de développement (FAD), la fenêtre d’actions pour les pays africains les plus pauvres, ait bénéficié d’un apport de 8,9 milliards de dollars pour les trois prochaines années (2008-2010). Ceci représente une augmentation de 52 % par rapport au cycle précédent et témoigne de la confiance accordée par les donateurs à la BAD.

Nous avons aussi donné une plus grande importance au secteur privé qui est le moteur de la croissance et ainsi de la réduction de la pauvreté. En 2007, la Banque avait approuvé le financement de 17 projets du secteur privé pour un montant dépassant le milliard d’euros. Nous continuons sur cette lancée et prévoyons d’atteindre un montant similaire cette année. En cette période de crise financière, et de frilosité des opérateurs commerciaux, il est fort probable que nous soyons appelés à jouer un rôle encore plus grand.

Nous avons aussi l’ambition de devenir une Banque de connaissances avec pour finalité d’améliorer l’efficacité de nos propres interventions dans les pays africains.

Notre défi est simple. Nous devons accélérer le processus de réforme afin de devenir encore plus pertinents pour nos pays membres régionaux. Nous nous devons de réussir.

Propos recueillis par Marie Joannidis