par Piotr Moszynski
Article publié le 13/11/2008 Dernière mise à jour le 14/11/2008 à 03:51 TU
Les dirigeants de l’Union européenne et de la Russie se réunissent vendredi à Nice pour décider de l’avenir de leurs relations, et en particulier de la marche à suivre pour négocier un nouvel accord de partenariat.
Selon une formule diplomatique consacrée, les négociations « n’ont pas été suspendues, mais reportées ». Une nuance négligeable pour le commun de mortels, mais très importante pour les diplomates. Lors du dernier sommet de l’UE à Bruxelles, Nicolas Sarkozy s’était employé à expliquer la différence à ses partenaires pour qu’ils se rendent bien compte de ses conséquences. Et celles-ci sont de taille. En effet, une « suspension » implique que la reprise des négociations se fasse avac l'accord unanime des Vingt-Sept. Dans le cas d’un « report », les entretiens peuvent reprendre sur décision de la présidence de l’UE et de la Commission européenne, à n’importe quel moment et sans qu’un veto d’un quelconque pays membre soit possible.
Or la position de la présidence française est claire : l’Europe a eu, ces derniers mois, de graves problèmes avec la Russie, mais celle-ci a rempli les conditions qui lui ont été posées et il faut maintenant avancer sur la voie des négociations. Bien qu'on en soit seulement à l’étape plutôt technique de l’établissement d’un calendrier des négociations futures, on évoque déjà à Paris la période qui suivra la signature d’un nouvel accord de partenariat avec la Russie. La France a l’intention de lui proposer la création d’un « espace économique et humain commun », sans toutefois aller jusqu’à l’ouverture d’un marché commun. Les Russes seraient intéressés.
Divisions au sein de l’UE
La présidence française a toutes les raisons d’être contente d’avoir réussi à « reporter », et non pas « suspendre » les négociations avec Moscou, car dans le cas contraire elle aurait sans doute beaucoup de mal à faire approuver sa position. La Lituanie refuse toujours de s’y rallier, or un seul vote contre aurait suffi à bloquer la décision si les pourparlers étaient « suspendus ». Les vingt-six autres pays de l’Union européenne ont accepté de suivre l’avis de la présidence et de la Commission. Il est cependant difficile de prévoir leur comportement si une possibilité de veto leur avait été donnée. La Pologne a très longtemps hésité et, il y a encore quelques jours, elle faisait cause commune avec la Lituanie.
Sur la question russe, les membres de l’UE issus de l’ancien empire soviétique gardent leur sensibilité bien spécifique. Contrairement à l’Europe de l’Ouest, ils ont eu le très douteux honneur d’accueillir l’Armée Rouge et le KGB directement chez eux pendant un demi-siècle, sans que ceux-ci soient vraiment invités – et ils s’en souviennent. Les pays Baltes et la Pologne sont particulièrement méfiants, soutenus à l'occasion, par deux pays de l’ancien « camp occidental » : la Suède et la Grande-Bretagne.
L’ombre de la Géorgie
Avant le sommet de Nice, c’est l’évaluation de la situation en Géorgie qui divise l’UE. L’Union a décidé de ne reprendre ses négociations sur l’accord de partenariat avec la Russie qu’en cas de respect scrupuleux par celle-ci du plan Medvedev-Sarkozy, signé le 12 août dernier à Moscou et précisé le 8 septembre. Ce plan prévoit, entre autres, un « retrait complet des forces de paix russes hors des zones adjacentes à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie sur leurs positions antérieures au début des hostilités ». Or, pour le camp des « méfiants », le compte n’y est pas. Il y a eu deux mille soldats russes dans les deux régions concernées avant le conflit, il y en a environ sept mille actuellement. Pour eux, le contrat n’est pas rempli, donc ils comprennent mal pourquoi l’UE serait amenée à reprendre les négociations. Président géorgien « La Russie continue à bloquer : à peu près 500 000 réfugiés géorgiens ne peuvent pas revenir vers leur domicile. »Mikhaïl Saakachvili
Les Russes répondent que leurs troupes avaient bien quitté l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud à la date prévue, mais sont revenues à la demande expresse des gouvernements des deux nouveaux Etats créés depuis sur les territoires des anciennes régions géorgiennes. Les deux n’étant reconnus que par la Russie et le Nicaragua, ils n’ont pas d’existence juridique pour l’Union européenne, au contraire de la Russie. C’est donc un débat sans fin, un dialogue de sourds. Au moins, on comprend mieux pourquoi Moscou a pris le risque d’un véritable isolement en prenant la décision de reconnaître l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud : c’est la seule justification juridique de sa présence militaire sur ces territoires qu’elle puisse évoquer. Cette justification n’existe que pour elle, mais elle a le mérite d’exister.
Politique globale
Cela dit, l’Europe a besoin de coopération russe sur plusieurs dossiers d’une importance beaucoup plus large que le conflit géorgien : la crise financière et économique mondiale, la politique énergétique, les ambitions nucléaires iraniennes ou le Proche-Orient. La présidence et la Commission, chargées d’une responsabilité globale de la politique européenne, ne veulent donc manifestement pas trop s’attarder sur les imperfections russes dans le Caucase et cherchent des solutions permettant d’aller de l’avant. Pour ce faire, elles arrivent à trouver de belles (et efficaces) formules diplomatiques, par exemple : « Les engagements de la Russie sont remplis, mais sans aller jusqu’au bout ».
Ce que réclament les anciens pays communistes, c’est surtout que l’on ne reprenne pas de « business as usual » avec la Russie tant que les doutes sur l’exécution du plan Medvedev-Sarkozy existent et que persiste la tension sur le terrain, en particulier avec les agissements des milices sud-ossètes risquant fort d’être qualifiés de purification ethnique. La présidence française s’engage à être, à Nice, « porteuse de toutes les sensibilités » présentes au sein de l’UE et assure que la reprise de réunions techniques avec les Russes « ne signale pas l’abandon des exigences de l’Union européenne » par rapport à Moscou. Tout en espérant que la baisse des prix du pétrole et du gaz, ainsi que la crise financière, amèneront la fin des illusions de puissance russes et priveront le Kremlin d’un levier de pression sur les Européens.A écouter
« En une semaine le discours de Moscou change radicalement, le chef du Kremlin veut peut être corriger le tir, après avoir été un peu plus loin, poussé par les plus va-t-en- guerre de son administration. Surtout à Nice, personne ne veut le pousser à la confrontation, ni le Président de la Commission, ni le Président en exercice de l'Union Européenne...»
14/11/2008