par Anne-Claire Bulliard
Article publié le 18/11/2008 Dernière mise à jour le 19/11/2008 à 17:28 TU
La naissance de l’ASA - Ankohonana Sahirana Arenina - il y a 18 ans, repose sur l’énergie du frère franciscain Jacques Tronchon. Entouré d’une petite équipe malgache, il prend un pari : offrir aux sans-abris de la capitale un logement, une parcelle à cultiver tout en leur assurant une formation afin qu’ils retrouvent peu à peu leur autonomie et partent vivre en milieu rural. Consciente de la grandeur du projet, l’ASA décide de préparer ces familles progressivement, car même si la perspective de pouvoir reconstruire sa vie semble séduisante, certains préfèrent rester en ville et d’autres n’arrivent pas à retrouver une véritable autonomie.
Vers une reconstruction identitaire
CASA I (Centre d’Action Sociale de l’ASA) est la première étape pour les familles qui arrivent de la rue dans une situation de grande pauvreté. Chaque année, vingt familles sont accueillies sur le site de Mahavelona, à l’est de la capitale, où de petits baraquements de 4m² les attendent. Certes, parler de confort serait inapproprié mais pour ces familles, cet espace est symbole de sécurité et d’avenir. Six personnes assurent l’encadrement des familles, et des animateurs proposent des formations agricoles ou artisanales, des cours d’hygiène, des cours d’alphabétisation, du suivi scolaire pour les enfants mais aussi des cours d’éducation civique et morale. Cette première année est le socle de la reconstruction. C’est à ce stade que les familles savent si elles auront ou non la volonté de gagner leur autonomie, 96% des personnes poursuivent ce cycle de l’ASA et partent vers le CASA II.
Avant le grand départ
Situé sur une colline à 20 km de Tananarive, le site d’Antanety confirme les bases posées la première année. A ce stade, les familles qui n’ont pas baissé les bras profitent de logements plus vastes, les formations entamées la première année s’intensifient : agro-élevage, art culinaire, artisanat (à usage domestique mais aussi à des fins commerciales), menuiserie. Les enfants sont scolarisés dans une école qui jouxte le centre. Après cette deuxième année, les familles sont prêtes pour le grand départ, un moment chargé d’espoir, d’attentes et d’angoisses aussi.
L’épreuve de l’autonomie
Le site d’Ampasipotsy est situé dans le Bongolava, depuis la capitale malgache, on y parvient en mettant le cap sur l’ouest après 140 km de route et 60 km de piste (parfois impraticables pendant la saison des pluies !). Le décor de la route qui mène vers l’ouest se transforme lentement, des collines encore verdoyantes, le paysage devient de plus en plus aride, la terre est rouge (résultat de la culture sur brûlis) mais fertile, dans les fonds, on aperçoit des rizières dans lesquelles travaillent des paysans. Puis, on découvre le centre administratif du CASA III où résident tous les responsables qui ont fait un choix de vie radical : vivre en pleine campagne, pour aider les familles dans leur démarche. Parmi les responsables : un prêtre, un responsable de la vie scolaire, une congrégation religieuse, un médecin, une assistante sociale. Raphaël et Marie-France dirigent le CASA III, et font face à toutes les situations quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit.
Chaque année, vingt familles arrivent donc sur une colline de ce site. Aujourd’hui il existe vingt et un villages répartis sur un espace de quinze mille hectares. Les deux premières années à Ampasipotsy ne sont pas les plus difficiles. Les familles ont une maison, toutes les armes en main pour cultiver leur parcelle et l’ASA fournit encore la nourriture. Les choses se compliquent pour certains d’entre eux la troisième année, cette fois l’autonomie doit être acquise et les familles doivent être en mesure de subvenir à leurs besoins.
Pour Sosette, la vie est aujourd’hui très dure, elle ne regrette pas son choix et ne veut pas retourner en ville où aucun avenir fiable ne l’attend, mais elle n’a pas réussi à gérer ce virage vers l’indépendance et elle attend aujourd’hui que l’ASA vienne lui apporter encore un peu de soutien. En revanche pour Nadia, qui, elle aussi, vit sur le site d’Ampasipotsy depuis dix ans, le pari est réussi. Elle récolte, fait de l’élevage et parvient à nourrir sa famille, elle vend ses produits sur les marchés.
Bien que la réussite ne soit pas de 100% pour ces populations qui ont quitté la rue, l’ASA peut se féliciter d’offrir l’opportunité à des familles en grande précarité d’entrevoir un avenir meilleur. Ce travail auprès des plus démunis engendre en permanence de nouvelles questions. Comment scolariser tous les enfants et s’assurer qu’ils viendront bien à l’école quand ils ont pour certains d’entre eux plus d’une dizaine de kilomètres à faire à pied ? Comment mettre en place un planning familial adapté pour que le taux de fécondité diminue (à Madagascar, il est actuellement de 5,2 enfants par femme) dans ce contexte où il est si difficile de subvenir à tous les besoins d’une famille nombreuse. Comment être certain que ce retour à la terre est le meilleur des choix pour cette population ?
Malgré les doutes, le frère Jacques Tronchon sait qu’il œuvre avec ses équipes dans le bon sens. Mille quatre cents élèves sont actuellement scolarisés sur la zone d’Ampasipotsy, et plus de quatre cents familles ont été relogées grâce au travail de l’association. Récemment ce sont les encouragements du Père Pedro qui ont conforté l’ASA dans sa démarche. Cet humanisme ne peut qu’inspirer le respect, alors que de nouvelles familles viendront grossir le flot des sans-abris dans les rues d’Antananarivo en 2009.
Réalisation Thomas Bourdeau
A écouter