Article publié le 19/11/2008 Dernière mise à jour le 19/11/2008 à 17:42 TU
Interview de Robert Malley, ancien conseiller diplomatique de Bill Clinton et spécialiste du Moyen-Orient. Cet acteur de la campagne de Barack Obama analyse pour RFI les conséquences de l’élection de Barack Obama sur la politique américaine au Proche-Orient.
Robert Malley : Il y aura une rupture parce qu’on vient de passer huit années assez difficiles sous l’administration Bush. Je pense qu’il y aura des symboles de rupture très immédiats : la fermeture de Guantanamo, le retrait de l’Irak qui va s’entamer, une présence plus accrue avec un visage beaucoup plus favorable vis-à-vis du monde musulman et du monde arabe, et un engagement renouvelé pour le processus de paix. Mais il ne faut pas non plus s’attendre à une révolution dans la politique américaine, il y aura énormément d’éléments de continuité. On ne va pas totalement bouleverser la donne. L’approche du processus de paix sera, j’imagine, un retour aux années 90, c’est-à-dire un soutien à l’autorité palestinienne, aux négociations sur le statut final, un dialogue avec la Syrie, une promotion des négociations syro-israéliennes, un dialogue avec l’Iran - ça c’est peut-être nouveau parce que l’on n’avait pas vu ça par le passé -. Enfin, je pense qu’il faut comprendre la signification de l’élection d’Obama pour les Etats-Unis et pour le reste du monde. Comment le reste du monde va voir les Etats-Unis et percevoir les Etats-Unis ? Mais il faut être réaliste. Ce sont toujours les Etats-Unis et un nouveau pays n’a pas été inventé.
RFI : A votre avis, est-ce qu’il faut reprendre les négociations israélo-palestiniennes à Camp David, à la fin des années 90, lorsque l’on n’a jamais été aussi proche d’un accord et où Arafat avait buté sur la question de Jérusalem ?
Vous savez, les négociations israélo-palestiniennes ont progressé depuis. Il faut bien dire qu’Olmert et Abbas aujourd’hui sont allés plus loin que ne l’avaient été, et de loin, Arafat et Barak. Je ne pense pas qu’il faille reprendre à Camp David et il ne faut pas non plus reprendre la méthodologie de Camp David parce que Camp David avait échoué. Il faut se rendre à l’évidence. C’était une période intéressante, c’était une période qui a fait rêver pas mal de gens, mais au bout du compte, c’était l’échec. Donc, je crois qu’il faut apprendre une leçon des années 90 de deux manières. D’abord, se dire qu’il y a des choses qui n’ont pas marché dans les années 90, c’est un processus beaucoup trop bilatéral entre Israéliens et Palestiniens. Je crois qu’il va falloir un soutien de l’extérieur, soutien pour Israël et pour les Palestiniens. Deuxièmement, non seulement les années 90 ont échoué, mais nous ne sommes plus dans les années 90. La région a changé, elle a été bouleversée : la guerre en Irak, le sectarisme qui monte, la polarisation de la région, la montée du Hamas, la montée du Hezbollah, la montée de l’Iran, le discrédit américain, la guerre de 2006 contre le Liban… Enfin, tout ça a changé la donne de façon spectaculaire.
RFI : Il y a le contexte qui a changé, il y a surtout les hommes qui ont changé. Et on est dans l’expectative en ce qui concerne Israël et la Palestine puisque les deux entités ont des échéances électorales.
Une entité a une échéance électorale claire. Israël élira le 10 février un nouveau gouvernement, un nouveau Premier ministre, un nouveau Parlement. En Palestine, il faut rêver pour croire qu’il y aura des élections bientôt. Il y a une division territoriale, politique et idéologique, et je crois que franchement aujourd’hui, ni le Fatah, ni le Hamas ne veulent d’élection, chacun pour ses propres raisons. Il y aura peut-être une reconfiguration politique en Palestine, mais ce sera un renouvellement négocié et non pas élu. Maintenant, c’est vrai : il y aura des hommes nouveaux, il y a des forces nouvelles, et c’est ça que les Etats-Unis vont devoir réaliser. Le monde palestinien n’est pas ce qu’il était dans les années 90.
RFI : Lorsque Obama a choisi son secrétaire général, Ram Emmanuel, la presse israélienne s’est réjouie en disant « voilà notre homme à la Maison Blanche ». Qu’est-ce que vous pouvez nous dire de lui par rapport au processus de paix ?
Ram Emmanuel sera l’homme politique de Barack Obama. C’est quelqu’un d’extrêmement efficace dans ce domaine. Tout le monde le dit. Mais ce n’est pas lui qui va dicter, qui va conduire, qui va influer la politique au Moyen Orient.
RFI : Et votre pari sur le secrétaire d’Etat ?
Je pense qu’Hillary Clinton a de très grandes chances. D’abord, parce qu’elle a eu un entretien avec lui. Je pense que cette entrevue n’aurait pas eu lieu si cela n’avait pas été très sérieux comme proposition. S’il regarde tous les candidats, il doit estimer qu’Hillary Clinton est une des plus fortes, si ce n’est la plus forte dans le sens qu’elle a une autorité, une visibilité, une compétence. Donc, je pense qu’elle a de très bonnes chances. Mais encore une fois, je sais que dans la presse arabe, on dit « Hillary Clinton sera une mauvaise nouvelle ».
RFI : Alors on parle beaucoup d’Obama premier président métis, mais il y a aussi le vice-président Joe Biden qui avait un plan de partage de l’Irak. Est-ce que cette idée de monsieur Biden de partager l’Irak en zone kurde, chiite, sunnite, est toujours d’actualité ?
Je ne pense pas que c’est quelque chose que les Etats-Unis puissent imposer. Diviser en trois l’Irak, est une idée de Joe Biden. Celui-ci affirme : « Si les Irakiens le veulent, il faut les soutenir dans cette voie là ». Lui ne croit pas du tout à un Etat centralisé fort. Personnellement, j’espère que l’on ne va pas essayer de forcer dans un moule à trois parties, ce n’est pas la réalité irakienne aujourd’hui. Les Kurdes sont séparés de fait. Mais il ne faut pas diviser en deux chiites et sunnites. Et je crois que ce soit Joe Biden ou Barack Obama, ils verront bien que dans la réalité, l’Irak est beaucoup plus compliqué. C’est un pays qui restera, je l’espère, un pays unifié, mais très décentralisé.