Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Ukraine

La politisation de l’Holodomor

par Valérie Lainé

Article publié le 21/11/2008 Dernière mise à jour le 21/11/2008 à 20:33 TU

Ce samedi, sept chefs d’Etat, au premier rang desquels le Polonais Lech Kaczynski et le Géorgien Mikhaïl Saakachvili, commémorent, aux côtés des dirigeants ukrainiens, le 75e anniversaire de l’Holodomor, « l’extermination par la faim », de 1932-1933. Le président russe, volontairement absent, met en cause l’instrumentalisation de l’Histoire par le gouvernement ukrainien.
Une jeune femme pleure devant le Mémorial de l'Holodomor, érigé en souvenir des millions de victimes de la grande famine des années 1932-1933, en Ukraine.(Photo : AFP)

Une jeune femme pleure devant le Mémorial de l'Holodomor, érigé en souvenir des millions de victimes de la grande famine des années 1932-1933, en Ukraine.
(Photo : AFP)


Une famine responsable de millions de morts

En 1928, le premier plan quinquennal soviétique prend la suite de la « nouvelle politique économique ». La « NEP », politique de libéralisation par le marché mise en place sept ans plus tôt, avait permis à l’Union soviétique de développer une production agricole mise à mal par la Première Guerre mondiale, la révolution et la guerre civile. Mais l’arrivée au pouvoir de Staline change la donne du fait de la renationalisation des moyens de production. Au plan agricole, les kolkhozes deviennent l’unité de base de cette collectivisation qui passe par l’expropriation des paysans. Le système permet à l’Etat d’acheter à bas prix les récoltes et de financer l’industrialisation.

L’Ukraine, particulièrement fertile, est ponctionnée à la hauteur de ses moyens. Les paysans menacés dans leur survie résistent et la collecte se fait de plus en plus violente. En août 1932 la « loi des épis » permet de condamner à dix ans de camp ou à la peine de mort le vol et la dilapidation de la propriété socialiste. Des villages entiers sont déportés. La famine fait des millions de morts. Entre 4 et 10 millions selon les sources difficiles à départager du fait de la destruction de la plupart des archives. Certains chercheurs évoquent même des cas de cannibalisme sur les enfants.  

« L’assassinat par la faim »

« La famine n’avait pas de cause naturelle ; il s’agissait pour les           autorités soviétiques de tuer les aspirations nationales des Ukrainiens ; l’assassinat par la faim était une décision politique ». C’est ainsi que le président ukrainien Viktor Iouchtchenko a récemment présenté à des journalistes occidentaux, dont notre confrère du Monde, sa vision de l’histoire. Une conception qui remonte à l’arrivée d’un nouveau pouvoir à Kiev, issu de la Révolution orange.

Le Parlement ukrainien légifère le 28 novembre 2006 en qualifiant juridiquement l’Holodomor de « génocide ». Le 23 octobre 2008, le Parlement européen évoque « un crime effroyable perpétré contre le peuple ukrainien et contre l’humanité. Les parlementaires des 27 condamnent fermement ces actes caractérisés par une extermination et des violations massives des droits de l’homme et des libertés ».  Cinq ans plus tôt, le 10 novembre 2003, les Nations unies,  à l’occasion du 70eme anniversaire de la famine, rappellent le devoir de mémoire des victimes qu’elles soient ukrainiennes, russes ou kazakhs. Sans placer l’Holodomor parmi les génocides du XXe siècle. La Russie a opposé son droit de veto.

Pour Moscou, Kiev  instrumentalise la grande famine

Pour Moscou, si la famine a effectivement fait des millions de morts en Ukraine, elle a également touché d’autres régions de l’URSS comme le Kazakhstan, le Caucase du Nord, l’Oural du sud, la Volga ou la Sibérie occidentale. « La famine des années 32-33 en Union soviétique n’avait pas pour but de détruire telle ou telle nation. Les évènements tragiques des années 30 sont utilisés en Ukraine  pour atteindre des buts politiques et visent à séparer au maximum nos peuples unis par des liens séculaires historiques et culturels »,  écrit Dmitri Medvedev dans un message au président ukrainien. Le chef du Kremlin estime que cette qualification de la part de l’Ukraine est une insulte aux faits et donne des accents nationalistes à cette tragédie.

Le président ukrainien espère bien sûr faire le plein des voix  anti-russes dans sa campagne qui l’oppose de façon latente à son Premier ministre Ioulia Timochenko. Par ailleurs la Russie et l’Ukraine ont des relations tendues depuis la Révolution orange. Moscou s’oppose à l’objectif de Kiev d’adhérer à l’Alliance atlantique et a peu apprécié le soutien apporté par Viktor Iouchtchenko à la Géorgie lors du conflit armé de cet été. Peut-être l’ouverture au public en juillet dernier des archives du SBU, l’héritier du KGB soviétique, par les services de sécurité ukrainiens permettra-t-elle d’y voir plus clair dans l’histoire de cette période qui a marqué de 1917 à 1990 l’Union soviétique comme tout le continent européen.