par Piotr Moszynski
Article publié le 26/11/2008 Dernière mise à jour le 26/11/2008 à 19:05 TU
Des Groenlandais qui soutiennent le « oui » à Nuuk, la capitale, lors du référendum sur l’autonomie élargie.
(Photo : AFP)
En tout cas, pour pouvoir s’amuser aux analyses linguistiques au Groenland, il faut être un véritable expert. Peu de gens savent qu’il existe une langue spécifique à ce territoire, le groenlandais. Ce n’est ni la langue des autochtones, les Inuits, ni le danois. C’est quelque chose entre les deux. Et cela illustre assez bien la situation démographique sur l’île. Les « purs » Inuits y sont déjà quasi introuvables, sauf peut-être à l’extrême nord du pays. Mais les « purs » Scandinaves y sont presque aussi rares. La population actuelle, c’est aussi, comme la langue, « quelque chose entre les deux ».
Position stratégique
Il n’est donc pas très étonnant qu’après presque trois cents ans d’appartenance au Danemark, le peuple groenlandais cherche sa propre voie et sa propre identité. Il bénéficie depuis 1979 d’un régime d’autonomie interne, mais après trente ans de cette expérience plutôt réussie, il veut aller plus loin et il le fait savoir. Dans le cadre de leur nouveau statut négocié avec le Danemark, les habitants de l’île se voient octroyer, à compter du 21 juin 2009, le droit à l’autodétermination et la reconnaissance en tant que peuple distinct des Danois. En même temps, le groenlandais devient la langue officielle du pays. Copenhague conserve le contrôle de la politique étrangère et de la défense du Groenland ; en revanche, le Danemark lui accorde le droit de contrôler ses propres ressources naturelles.
Or celles-ci semblent très importantes. Le Groenland a déjà une position stratégique grâce à sa situation géographique, entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Les Américains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en y déployant un radar prévu pour jouer un rôle essentiel dans le système antimissile conçu à Washington. Dès que ses ressources deviennent plus accessibles et plus facilement exploitables, l’île gagnera encore plus en importance stratégique. C’est aussi de cela que dépend en grande partie la viabilité d’une éventuelle future indépendance. On estime que les gisements de pétrole, de gaz, d’or, de diamants, d’uranium, de zinc et de plomb qui reposent sous le sol groenlandais risquent de compter parmi les plus riches du monde.
Rêve ou cauchemar ?
Le seul problème – mais il est de taille – c’est que la dureté du sol, l’existence de la calotte glaciaire et la sévérité du climat arctique rendent l’accès à ces formidables gisements très difficile. Paradoxalement, pour pouvoir surmonter ce problème dans un avenir relativement proche, les Groenlandais mettent tout leur espoir dans deux facteurs de la situation mondiale que beaucoup d’autres pays redoutent au plus haut degré : le réchauffement climatique et la hausse des prix des matières premières. Le premier pourrait rendre les richesses naturelles groenlandaises plus accessibles (tout en menaçant, c’est vrai, l’actuelle principale activité économique, la pêche). La deuxième pourrait augmenter la rentabilité de leur exploitation, même si les conditions en devaient rester difficiles.
Sans un développement très important de ce secteur, le rêve de l’indépendance peut se transformer vite en cauchemar. Pour une raison simple : le Groenland ne dispose actuellement pas d’une base économique et financière qui lui permettrait de voler de ses propres ailes – et les rares habitants de l’île qui ont voté « Naamik » le rappellent haut, fort et sans cesse. Il est en effet indéniable qu’avec presque la moitié du budget composé de subventions annuelles de l’Etat danois (430 millions d’euros en 2007) il est difficilement imaginable de proclamer une véritable indépendance. Certes, avec la nouvelle autonomie, les subventions en question doivent progressivement décroître – mais comment les remplacer si le Groenland ne trouve pas rapidement d’autres ressources pour remplir ses caisses ?
Obstacles
Selon le chef de file de l'opposition, Jens Frederiksen, dirigeant du parti des Démocrates, le seul a avoir appelé à voter « non », le Groenland n’a « déjà pas les moyens de financer les nouveaux domaines que le Danemark va rétrocéder dans le cadre de ce régime d'autonomie élargie, à savoir la police, la justice ou l'administration pénitentiaire » – et que dire donc d’éventuels nouveaux secteurs qui tomberaient sous sa responsabilité en cas d’indépendance ? L'homme politique et écrivain, Finn Lynge, prévient d’un autre obstacle. Pour lui, il est impossible pour un pays de 50 à 60.000 habitants de devenir un Etat indépendant. « Nous sommes – dit-il – tout simplement trop peu pour fournir le personnel humain nécessaire pour le développement d'un Etat viable ».
Mais… quand même… si l’on pouvait accéder au pétrole, au gaz, à l’or… Vous vous rendez compte ?! Les rêves sont souvent plus forts que la réalité. Mieux, parfois ils la créent. Alors, bonne chance, Groenland.