Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Pologne/Conférence de l'ONU sur le climat

Le charbon : richesse et malheur

par Heike Schmidt

Article publié le 01/12/2008 Dernière mise à jour le 02/12/2008 à 00:41 TU

Comment lutter mieux contre le réchauffement climatique ? A Poznan, à l’ouest de la Pologne, les 8 000 délégués de 185 pays devront trouver une réponse à cette question épineuse. A l’occasion de la conférence des Nations unies sur le climat, du 1er au 12 décembre, l’Europe veut se montrer exemplaire face aux autres grands pollueurs de la planète, comme la Chine et les Etats-Unis. Mais c’est justement la Pologne, pays hôte de la conférence de l’ONU, qui freine l’Union européenne dans son élan. Aujourd’hui, les Polonais produisent 95% de leur électricité à partir du charbon. Par crainte d’un ralentissement économique, le gouvernement compte rester fidèle à ce combustible polluant et responsable d'un tiers des émissions globales de CO2.


Entre mines à ciel ouvert et champs de betteraves, Magdalena Zowsik et 30 autres militants de Greenpeace ont planté d’énormes drapeaux verts. Sur le tissu flottant, on peut lire le slogan « La terre au bord du précipice ». Au bord du gouffre et ébouriffée par un vent glacial, Magdalena Zowsik de Greenpeace pointe du doigt une sale vérité, un paysage lunaire qui s’étale sur plusieurs kilomètres carrés : « C’est là qu’on voit le désastre, un énorme trou noir, qui ressemble à l’enfer. On ne veut plus voir ça dans notre pays. Les experts indépendants nous disent que la Pologne peut produire 20% de son énergie à partir des sources renouvelables d’ici 2020. Il faut que notre gouvernement sorte de l’ère du charbon ».

Les militants de Greenpeace ont déjà franchi le pas. Leur « Climate Rescue Camp », le camp pour le sauvetage du climat qu’ils ont monté en marge de la conférence internationale de l’ONU, tourne exclusivement grâce aux éoliennes et à la biomasse. Seulement, à zéro degré sous la tente, il n’est pas toujours facile d’être militant : « C’est la Sibérie ici », blague Sébastien Absolu, venu du Luxembourg, « mais on est tous là pour protester contre les dégâts causés par le charbon.»

Les mines ont dévasté le paysage de Konin

Ici, à Konin, dans l’ouest du pays, les mines ont en effet dévasté le paysage. Depuis 60 ans déjà, les bulldozers engloutissent chaque jour un peu plus de cette terre riche en lignite pour alimenter les fours des centrales thermiques de la région. Selon Greenpeace, l’exploitation du charbon aurait déjà détruit 12 000 hectares de terres et 4 milliards de mètres cubes d’eau. A Ostrowo, l’agriculteur Francizek Obskowski, riverain de la mine, constate les conséquences sur l’environnement depuis des années : « Mes champs souffrent des sécheresses successives. Il n’y a plus assez d’eau pour cultiver mes champs ».

Quelques kilomètres plus loin, sur la plage de sable du lac Ostrowskié, un toboggan rouge symbolise à lui seul le désastre écologique. Il y a quelques années encore, les enfants s’y amusaient en glissant dans l’eau. Aujourd’hui, le toboggan aquatique a les pieds dans le sable. « En huit ans, l’eau a baissé de deux mètres », regrette Josef Drzasgowski, qui tient la pension « Leonard » au lac, « les touristes se font de plus en plus rares et notre activité meurt petit à petit. »  L’hôtelier a fondé l’association « Amitié du Lac » pour attirer l’attention des autorités sur ce qui se passe dans cette région. La Pologne, pays hôte de la conférence internationale sur le climat ? C’est une mauvaise blague pour Josef Drzasgowski : « C’est scandaleux et hypocrite. Mais en même temps, c’est peut-être une bonne occasion pour que le monde se rende compte à quel point la Pologne gaspille ses ressources naturelles ».

800 000 emplois dépendent du secteur des mines

La Pologne souffre de son charbon, mais le pays vit aussi de cette ressource naturelle. Aujourd’hui, 800 000 emplois dépendent du secteur des mines et de l’énergie. Toute l’économie repose sur ce combustible fossile. Selon le directeur de la Chambre polonaise de l’Industrie et de la Protection de l’Environnement, Slawomir Krystek, il est impossible pour les Polonais de sortir du charbon pour les 50 ans à venir: « Si la Pologne veut atteindre un niveau de vie comparable à l’Allemagne ou à la France, il faut que les Polonais consomment plus d’énergie. Aujourd’hui, un Français consomme presque trois fois plus d’énergie qu’un Polonais. La France a ses centrales nucléaires, nous, nous avons notre charbon. C’est notre richesse. Et si on ne l’exploite plus, on dépendra bientôt du gaz russe. Ce serait défavorable pour toute l’Europe ».

Dans l’Union européenne, la Pologne est de loin le premier producteur de ce combustible fossile. Le pays continue à émettre 9 tonnes de dioxyde de carbone par habitant et par an – soit environ le double de la moyenne européenne. L’Union européenne veut que cela change : d’ici 2020, l’objectif est de baisser de 20% les émissions de gaz à effet de serre. Pour y arriver, Bruxelles propose le principe « pollueur payeur », il faudrait donc payer pour chaque tonne de CO2 émise à partir de 2013. Même si la France, qui préside l’Union européenne, est prête à faire des concessions, Varsovie continue à menacer le « paquet climat et énergie » d’un veto.  

La Pologne compte rester fidèle à son charbon chéri

« Si nous acceptons ce paquet, le prix de l’énergie va doubler, ce n’est pas acceptable », juge le vice-ministre de l’Economie, Marcin Korolec, qui craint un ralentissement de l’économie polonaise au moment où la crise économique met en difficulté tous les pays de l’Europe. Par ailleurs, M. Korolec fait valoir que c’est bien plus facile pour les pays qui possèdent des centrales nucléaires comme la France d’assumer les objectifs de réduction des émissions de carbone que pour les pays qui ont hérité de l’époque communiste une industrie gaspillant l’énergie.

Sans l’aval de la Pologne, l’ambitieux paquet climat de l’Union européenne ne verra pas le jour. L’Europe ne pourra donc pas parler d’une seule voix à Poznan. Pour l’heure, le gouvernement joue la montre et mène la fronde avec d’autres Etats membres de l’Europe de l’Est qui partagent la même dépendance énergétique.

Même si la Pologne veut augmenter sa production d’énergies propres, elle n’envisage pas de sortir du charbon. Le ministère de l’Environnement a donné son feu vert à l’agrandissement de la mine de Konin. 1 100 hectares, l’équivalent de 1 500 terrains de football, devront disparaître d’ici 2013. Douze villages et 400 agriculteurs devront quitter leurs terres. Les écologistes s’inquiètent également pour la faune : deux tiers de toutes les espèces d’oiseaux polonais font leurs nids dans cette région.

Lors de la conférence de l’ONU sur le climat, les voisins de la mine comptent bien faire entendre leurs voix avec les écologistes – ils veulent que tout le monde sache que la Pologne, pays hôte, fait mauvaise figure dans la lutte pour un environnement plus propre.