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Irak

L'insécurité diminue mais les droits de l'homme restent bafoués

par Monique Mas

Article publié le 03/12/2008 Dernière mise à jour le 03/12/2008 à 17:49 TU

Dans un rapport publié le 2 mars et couvrant le premier semestre 2008, la Mission d'assistance des Nations unies pour l'Irak (Unami) reproche aux autorités irakiennes de négliger les droits de l'homme voire de contribuer dans certains cas à de « graves violations » alors que le niveau général de la sécurité s'est amélioré et que le gouvernement irakien revendique la souveraineté sur l’ensemble du territoire. Détention sans jugement, torture, le rapport dénonce de mauvais traitements infligés aux détenus dans toutes les prisons du pays, Kurdistan autonome compris. Violences faites aux femmes et aux minorités, mais aussi assassinats ciblés visant des intellectuels, attentats contre des forces de l'ordre ou encore enlèvements crapuleux contre rançon, l’Unami dénonce un climat général « d'impunité grandissante ».

 Sadr City en avril 2008, après des bombardements aériens.(Photo : Reuters)

Sadr City en avril 2008, après des bombardements aériens.
(Photo : Reuters)


Passé au crible des droits de l’homme dans le rapport de l’Unami, le premier semestre 2008 est une période charnière qui a vu les autorités irakiennes revendiquer la souveraineté sur le territoire irakien, moyennant notamment entre mars et mai 2008 des offensives conjointes avec les troupes américaines à Bassorah, le port pétrolier du Sud, ainsi que dans le quartier de Sadr City, à Bagdad, deux places-fortes des partisans de Moqtada Sadr, le concurrent chiite du Premier ministre Nouri al-Maliki.

Lourd tribut civil aux offensives gouvernementales

« Des combats à l'arme lourde ont fait des centaines de morts et de blessés dans les zones densément peuplées » où les forces gouvernementales n’ont pas fait de quartier à leurs adversaires mêlés à la population civile. Avec 925 morts et 2 605 blessés officiellement recensés fin avril dans les rues de Sadr City, les civils du quartier chiite ont payé un tribut lourd de conséquences aux affrontements qui ont duré jusqu’en juin.

Aujourd'hui encore, les prisons irakiennes débordent de chiites sadristes ou de sunnites accusés d’avoir participé à l’insurrection contre « l’occupation américaine » et la coalition kurde et chiite du président Jalad Talabani et du Premier ministre Maliki. Selon les chiffres fournis par les autorités irakiennes, l’Irak comptait plus de 50 000 détenus fin juin 2008 et l’Unami a compté jusqu’à « 123 prisonniers dans une cellule de 50 mètres carrés ».

Maltraitance et torture en prison

La maltraitance des prisonniers est la règle, jusque dans la province autonome du Kurdistan où Massoud Barzani règne sur un territoire pourtant relativement sécurisé. La torture est une pratique plutôt habituelle. Le maintien en détention sans avocat ni jugement dure parfois des années. L’Unami pointe le cas de détenus qui n’ont même pas été inculpés.

Comme le souligne le représentant spécial de l’Onu en Irak, Staffan de Mistura, il est urgent que tous les détenus « soient inculpés et qu'ils aient accès à un conseiller juridique, les dossiers devant faire l'objet d'enquêtes ». Conformément à l’accord de sécurité finalement conclu entre Bagdad et Washington en novembre dernier, les troupes américaines devraient commencer d'ici quelques mois à remettre aux forces irakiennes les bases qu'elles occupent actuellement et dans lesquelles sont détenus environ 16 000 prisonniers irakiens.

Staffan de Mistura

Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Irak

« Ce que nous avons noté, c’est qu’il y a plusieurs rapports et éléments qui indiquent qu’il y a eu des mauvais traitements sur des prisonniers ».

03/12/2008 par Farida Ayari

Depuis le renversement du régime à dominante sunnite de Saddam Hussein et la mise au ban de son parti Baas, les prisons d'Irak se sont remplies de partisans réels ou supposés de l’insurrection sunnite. Nombre d’entre eux devraient pouvoir bénéficier de l’amnistie promise depuis février 2008 au Front de la Concorde nationale, la principale composante de l’opposition sunnite.

Amnistie et manoeuvres d'intimidation

Décidée au titre de la réconciliation nationale, l’amnistie a été élargie et réaffirmée fin novembre pour rallier des voix sunnites au vote parlementaire sur « l’accord de départ des troupes étrangères » finalement programmé d’ici fin 2011 sous réserve du référendum populaire consenti au Front sunnite d’ici juin 2009. Reste qu’il va encore falloir attendre les effets de cette mesure sur la population carcérale.

Force est de constater que la violence politique perdure malgré les marchandages parlementaires et en dépit des succès américains enregistrés dans le retournement de certains insurgés sunnites contre les partisans du réseau al-Qaïda en Irak. Des attentats spectaculaires continuent de viser les forces de l’ordre loyales au pouvoir Talabani-Maliki. Des manoeuvres d'intimidation visent également les ralliés du pouvoir comme les Sahwa, les « Forces du réveil » qui ont servi l’armée américaine contre les partisans d’al-Qaïda et dont l’intégration partielle dans l’armée nationale irakienne est en cours.

Violences faites aux femmes, aux minorités et aux intellectuels

L’Unami reprend en détail l’inquiétante litanie des violences et des menaces qui se poursuivent contre les minorités chrétienne, turkmène, yéziri ou shabak en butte à « la destruction de leurs biens matériels et culturels ». Dans la région de Mossoul, frontalière du Kurdistan,  quelque 2 000 chrétiens chaldéens ont fait les frais de tentatives d’épuration « confessionnelle » qui n’ont en revanche soulevé que des protestation de pure forme du côté du pouvoir. De leur côté, les derniers des Sabéens, des chrétiens se réclamant de Saint-Jean Baptiste, ont dû fuir le Sud irakien dans l’indifférence générale.

L’instrumentalisation politique ne fait guère de doute dans les violences faites aux minorités. Reste à en démêler les fils. « Les violations des droits de l’homme moins visibles doivent être documentées, rapportées et exposées publiquement », lance Staffan de Mistura. Et cela, même ou surtout, lorsqu’elles ressortissent du droit coutumier. Au premier semestre 2008, au Kurdistan, cent cinquante femmes ont été brûlées et cinquante sont mortes dans des « crimes d'honneur » qui n’ont guère ému les autorités locales et nationales.

La condition des Irakiennes n’est pas fameuses. Elles sont les premières victimes des restrictions religieuses jusque sur les bancs des universités où leur vêture n’est pas toujours jugée assez conservatrice. Rapts de femmes, violences domestiques, les foyers irakiens ne sont pas toujours des havres sûrs dans l’océan des violences intercommunautaires qui perdurent sur fond de compétition politique.

Enfin, l’Unami s’interroge aussi sur la vraie nature des meurtres « ciblés » de journalistes, de médecins, de responsables politiques, de juges ou d’avocats qu’il a relevé tout au long des six premiers mois de l’année. Il pose aussi la question des responsabilités qui s’enchevêtrent à la lisière du banditisme armé et des haines politiques pour faire une industrie juteuse de la pratique de l’enlèvement contre rançon.