Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Déclaration universelle des droits de l'homme

Stéphane Hessel, un diplomate avec une foi de charbonnier

Article publié le 09/12/2008 Dernière mise à jour le 10/12/2008 à 16:53 TU

Stéphane Hessel est né à Berlin (Allemagne). Fils de l'écrivain Franz Hessel, il accompagne sa mère exilée en France au milieu des années 20 et acquiert la nationalité française. Résistant, il est arrêté et déporté à Buchenwald. Il survit au camp de concentration. Il devient ambassadeur de France aux Nations unies et il occupe différents postes diplomatiques à Saïgon, Alger, Genève et New York. Il a participé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme aux côtés de René Cassin en 1948. Son combat infatigable pour la défense des droits de l'homme et contre les injustices l'amène à soutenir de multiples causes comme celle des immigrés clandestins ou des mal-logés.
Paris, 6 décembre 2008. Stéphane Hessel, Jimmy Carter et Mary Robinson réunis pour la remise des prix de journalisme des droits de l'homme, organisé par l'agence Internews.© RFI

Paris, 6 décembre 2008. Stéphane Hessel, Jimmy Carter et Mary Robinson réunis pour la remise des prix de journalisme des droits de l'homme, organisé par l'agence Internews.
© RFI

 

RFI: Quel regard portez-vous sur la Déclaration universelle des droits de l'homme ?

Stéphane Hessel: La période où cette déclaration a été adoptée est extraordinairement importante dans l’histoire même de l’Humanité. Ca se passe tout de suite après la Deuxième Guerre mondiale avec les horreurs qu’on a connues à Auschwitz, Hiroshima, il fallait faire «du neuf». Et le «neuf» devait s’appuyer sur des idées simples et des valeurs fortes. Les valeurs fortes sont les libertés fondamentales publiques et les droits humains, les droits de l’homme et du citoyen, et c’est pour cela que la conception de la déclaration universelle a été un moment particulièrement important.

1948, c’est la fin. J’étais à New York au moment où cette déclaration était rédigée. René Cassin était le principal rédacteur du côté français, Eleanor Roosevelt du côté américain, il y avait des Russes, des Polonais, des Indiens. Il y avait un grand rassemblement et nous avons réussi à mettre cette déclaration sur pied. Elle est remarquable d’abord parce qu’elle est universelle, ensuite parce qu’elle est courte: 30 articles, c’est très peu... Un préambule remarquable qu’il faut essayer de savoir et de connaître, et c’est donc ce moment dont je garde un souvenir personnel très fort.

Londres. 1943. Stéphane Hessel travaille au service français de renseignements.(DR)

Londres. 1943. Stéphane Hessel travaille au service français de renseignements.
(DR)

Maintenant, 60 ans plus tard on peut se dire «est-ce que ça a encore un sens ?» Oui ! Et plus que jamais, car si les défis ont changé, il y en a de nouveaux, il y en a d’anciens. Il y a en tous cas besoin d’avoir encore du droit international pour juger ceux qui violent aujourd’hui partout encore d’une manière scandaleuse les droits élémentaires de l’homme. Et les progrès ont consisté en particulier à créer une Cour pénale internationale qui a maintenant 10 ans depuis l’adoption du Statut de Rome, et elle permet de faire trembler les dictateurs sur la planète car cette Cour est en mesure de les juger si seulement les États membres ont le courage nécessaire pour ne pas les défendre comme ils le font encore trop souvent.

RFI: N’y a-t-il pas un recul des droits de l’homme ?

S.H.: On ne peut pas parler de recul. On peut dire que les droits de l’homme sont encore violés et quelquefois de manière catégorique même par des États qui se prétendent démocratiques comme l’état d’Israël, les États-Unis et disons-le , notre propre pays n’est pas sans responsabilité pour certaines violations. Je pense notamment à la façon dont on traite des sans-papiers, dont on traite cette catégorie d’immigrés. Là on viole l’article 13 de la déclaration universelle et donc il est nécessaire que nous continuions à lutter. Les défenseurs des droits de l’homme disposent maintenant d’une résolution qui consiste à dire que partout où il y a des défenseurs des droits de l’homme il faut les protéger contre des États qui voudraient s’attaquer à eux pour les empêcher de mettre le doigt sur les violations qu’ils continuent à pratiquer.

RFI: Certains États disent que la déclaration a été rédigée par un petit groupe de pays occidentaux ? 

À ces États je répond que s’ils disent cela c’est qu’ils n’ont pas assez consulté leur peuple. Les peuples, eux, ont les mêmes valeurs que celles qui figurent dans la déclaration et je rappelle qu’elle a été rédigée non pas seulement par des gens du Nord, mais par des gens du Sud, des gens de l’Est, aussi bien des Chinois, des Indiens, des Soviétiques. Il y avait un large spectre de partenaires qui ont rédigé cette déclaration. Pourquoi les gouvernements de certains États trouve-t-ils des prétextes comme de dire «c’est un texte occidental» ? Oui, c’est un texte qui s’inspire en effet des langues pratiquées en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie et ailleurs. Mais les valeurs qu’il défend sont effectivement des valeurs universelles.

Cisjordanie. Stéphane Hessel devant le mur construit par les Israéliens.© AFP

Cisjordanie. Stéphane Hessel devant le mur construit par les Israéliens.
© AFP

Ces gouvernements n’aiment pas qu’on puisse leur reprocher la violation de ces droits. Ils préfèrent dire que ces droits ne les concernent pas directement parce que eux ont leur grande religion, leurs traditions… C’est vrai mais ces traditions et ces religions ont été respectées, j’insiste, par les rédacteurs de la déclaration universelle, donc tous les termes figurent non seulement dans les Évangiles mais aussi bien dans le Coran, aussi bien chez Confucius et chez Bouddha. Ces valeurs-là, les valeurs de la dignité de la personne humaine, n’ont rien de spécifiquement occidental. Ce sont des valeurs qui sont effectivement universelles.

RFI: Y a-t-il du progrès à faire dans l’élaboration de nouveaux instruments ?

Oui. Nous avons besoin d’instruments qui parlent plus spécifiquement de certains des grands défis qui n’existaient pas aussi clairement du temps où la déclaration universelle des droits de l’homme a été rédigée. Je parle du défi planétaire, environnemental, qui n’a pas été pris en compte dans la déclaration ou seulement de façon très indirecte. Je parle aussi du défi de la famine, des injustices croissantes. Bien sûr la déclaration y fait allusion indirectement mais nous avons besoin de textes sur l’écologie, sur la protection de la planète, également sur la montée et les dangers du terrorisme qui n’était pas tellement pris en compte du temps de la déclaration. Il y a donc toujours du travail. Heureusement, rien n’est achevé mais on peut dire que les valeurs fondamentales qui figurent dans la déclaration sont aussi moderne aujourd’hui qu’il y a 60 ans.

RFI: Comment expliquer cette modernité ?

C’était une époque très particulière que j’ai la chance d’avoir connue à l’âge de 30 ans. C’est l’âge où on respire l’atmosphère d’un monde qui sortait de l’épreuve grave de la Grande Guerre avec les menaces qui pesaient à ce moment-là sur l’Humanité. Elle a pris ce grand souffle, et heureusement ce grand souffle a permis la rédaction de ce texte fondamental et relativement bref. Nous avons besoin aujourd’hui de nouveaux souffles et ils existent. J’en vois la trace dans un nombre considérable d’organisation non gouvernementales, d’associations qui luttent pour faire face à ces nouveaux défis. Le travail continue mais rien ne nous empêche de nous référer chaque fois que c’est possible à cette déclaration universelle qui a été un moment fondateur dans la lutte pour plus de liberté et plus de droit.

                                Propos recueillis par Véronique Gaymard