Article publié le 12/12/2008 Dernière mise à jour le 12/12/2008 à 21:19 TU
Avec nos correspondants à Atlanta et Washington Anne Toulouse, Jean-Louis Pourtet, Sylvain Biville
Le gouverneur de l’Illinois Rod Blagojevitch, face aux médias, sur le perron de son domicile, le 12 décembre 2008.
(Photo : AFP)
« Révoltante ». C’est en ces termes que le procureur Patrick Fitzgerald a qualifié la conduite du gouverneur de l’Illinois. Rod Blagojevich ne s’est pas contenté de demander des pots-de-vin pour accorder des contrats publics.
En échange d’une aide au Chicago Tribune, dont le groupe est en faillite, il a réclamé le renvoi d’un éditorialiste qui s’était prononcé en faveur de sa destitution. Mais le pire, c’est qu’il a essayé de monnayer le siège vacant de Barack Obama au Sénat. Il revient en effet au gouverneur de l’Etat de désigner le successeur d’un sénateur qui quitte ses fonctions.
« C’est une blague »
Dans une conversation enregistrée par le FBI, Rod Blagojevich explique, dans un langage ponctué de grossièretés, que si la nouvelle administration veut mettre en place quelqu’un de son choix au Sénat, il faudra y mettre le prix : un portefeuille pour lui, un job pour sa femme ou une substantielle enveloppe.
Le procureur a précisé à plusieurs reprises qu’il n’y avait aucune preuve que le président élu était au courant. Mais il n’empêche que le scandale est embarrassant pour Obama. « Si l’Illinois n’est pas l’Etat le plus corrompu, il est très près de le devenir », a déclaré le directeur régional du FBI. Informé à l’aube par téléphone qu’il allait être arrêté, le marchand de faveurs avait répondu incrédule : « C’est une blague ».
Barack Obama prend ses distances avec le gouverneur de l’Illinois.
Déclaration sur les révélations du gouverneur de l'Illinois
« Je suis confiant dans le fait qu'aucun de mes collaborateurs n'ait été impliqué dans un quelconque marchandage autour de ce siège de sénateur. »
Chicago : une longue tradition de scandales politico-financiers |
« Lincoln se retournerait dans sa tombe », a commenté le procureur chargé de l'enquête sur les frasques du gouverneur de l'Illinois. En fait, l'illustre enfant du pays a déjà eu bien des occasions de le faire : l'Illinois figure en effet en très bonne place au palmarès des Etats américains les plus corrompus. Cinq des dix gouverneurs en poste ces cinquante dernières années ont fait l'objet de poursuites.
Le républicain George Ryan, le prédécesseur direct de Rod Blagojevich, purge actuellement une peine de 6 ans de prison pour racket et extorsion de fonds. Depuis 25 ans, près de 80 élus de l'Illinois ont été reconnus coupables de malversations. Mais cette fois, à Chicago, la ville d'Al Capone, même les observateurs les plus chevronnés ont fait part de leur stupéfaction en apprenant la manière dont Rod Blagojevich a cherché à monnayer... rien de moins qu'un siège de sénateur des Etats-Unis.
« J'ai ce pouvoir et c'est de l'or. Je ne vais pas l'abandonner pour rien » a-t-il dit en substance, les jurons en moins, selon le compte rendu des écoutes téléphoniques. Barack Obama, pur produit de la fameuse « machine politique de Chicago » a déjà dû s'expliquer à plusieurs reprises dans le passé sur ses liens avec des personnalités douteuses. Il y a neuf mois, il avait déjà eu à s'expliquer sur ses liens avec Tony Rezko, un homme d'affaires qui a financé ses campagnes électorales et qui a depuis été condamné pour corruption. Barack Obama a toujours réussi à s'en sortir indemne, sans entacher son image de chevalier blanc, qui veut faire de la politique autrement. Cette fois encore, le procureur a précisé que le président élu n'avait rien à se reprocher dans cette affaire. « Je veux être très clair, il n'y a aucune allégation concernant le président élu, sa conduite n'est pas en cause », a déclaré Patrick Fitzgerald. |
Après son arrestation spectaculaire, à son domicile, le 9 décembre à l’aube, Rod Blagojevich a payé 4 500 dollars de caution pour sortir de prison, ce qui lui a permis de retourner à son bureau, le lendemain, comme si de rien n’était. Mais son passeport lui a été confisqué et il a interdiction de quitter le territoire américain. Le gouverneur de I'lllinois est cerné de toutes parts : Barack Obama et tous les sénateurs démocrates du Congrès des Etats-Unis lui demandent de démissionner.
Le Parlement de l’Illinois devrait se réunir en session spéciale pour entamer une procédure d’impeachment. Pendant ce temps, l'affaire de la vente clandestine du siège de sénateur laissé vaquant par le président élu, a connu un nouveau développement. Celui que les documents de justice désignent comme le client n°5 a été identifié, il s’agit de Jesse Jackson junior, représentant de l’Illinois à la Chambre, et fils du célèbre révérend Jackson.
Etrange pratique
Selon la plainte, un émissaire du client n°5 a offert de l’argent au gouverneur en échange du siège de sénateur. Jesse Jackson n’a pas fait mystère de son intérêt pour le poste, et il reconnaît avoir rencontré le gouverneur pour en discuter, mais il dément formellement avoir proposé ou fait proposer quoi que ce soit en échange de sa nomination. Cette affaire ouvre un débat sur l’étrange pratique qui veut que, dans la plupart des Etats américains, lorsqu’un sénateur ne termine pas son mandat, c'est le gouverneur qui désigne son successeur. Huit Etats seulement organisent une élection spéciale, comme c’est le cas pour tous les postes vacants en cours de mandat à la Chambre des représentants.