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Nucléaire iranien

La bombe iranienne en 2009 ?

par Nicolas Falez

Article publié le 15/12/2008 Dernière mise à jour le 15/12/2008 à 17:07 TU

Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, visitant l'usine d'enrichissement d'uranium de Natanz le 9 avril 2008.(Photo : Reuters)

Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, visitant l'usine d'enrichissement d'uranium de Natanz le 9 avril 2008.
(Photo : Reuters)

Jacqueline Shire est Américaine. Elle a travaillé pendant huit ans au sein du département d’Etat (l’équivalent du ministère des Affaires étrangères aux Etats-Unis). Elle est aujourd’hui Senior analyst au sein de l’ISIS, l’Institut pour la science et la sécurité internationale http://www.isis-online.org/. Ancien directeur chargé des affaires de sécurité internationale au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), le Français Bernard Sitt a fondé et dirige le CESIM, le Centre d'études de sécurité internationale et de maîtrise des armements http://www.cesim.fr/. Les deux scientifiques suivent attentivement le dossier du nucléaire iranien.

L'Iran revendique son droit à l'enrichissement d'uranium, mais assure qu'il ne veut pas la bombe atomique. De nombreux pays, Occidentaux en tête, soupçonnent Téhéran de travailler en fait à un programme nucléaire militaire. En conséquence, l’Iran est sous le coup de sanctions internationales votées par le Conseil de sécurité de l'ONU. Il y a quelques semaines, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a rendu un nouveau rapport pointant les progrès du programme nucléaire en Iran. Sur la base de ces informations, les analystes sont divisés à propos de l'échéance à laquelle l'Iran pourrait fabriquer une bombe atomique, s’il en a réellement l’intention.

RFI : Où en est le programme nucléaire iranien ? Et sur quels critères peut-on l’évaluer ?

Jacqueline Shire : Nombre de pays dans le monde ont la capacité de fabriquer des armes nucléaires, comme par exemple la Suède. Mais vous ne diriez pas pour autant que la Suède a l'intention de fabriquer une bombe nucléaire, n'est-ce pas? L'Iran a dit et répété que, lui non plus, ne cherche pas à se doter de l'arme atomique. Nous devons donc écouter ses propos, mais nous devons aussi observer de près ses actions et ses possibilités. Nous nous intéressons actuellement à la capacité d'enrichissement d'uranium de l'Iran. Elle a débuté dans des proportions très modestes, il y a quelques années, puis elle a augmenté progressivement. Aujourd'hui, l'Iran fait fonctionner des centrifugeuses de conception très ancienne, semblables à celles utilisées en Europe dans les années 70. Mais les Iraniens font de leur mieux face à cette situation. Et si leur stock d'uranium faiblement enrichi est encore réduit, il sera bientôt assez important pour alimenter une bombe, si on le transforme entre-temps en uranium hautement enrichi.

Bernard Sitt : A mon sens, il n’y a pas eu de percée réelle, mais une progression continue. Les Iraniens accroissent leurs capacités d’enrichissement. Au moins dans leur affichage, il s’agit de développer une vraie capacité d’enrichissement à un stade industriel. Ils ont quand même produit plusieurs centaines de kilos d’hexafluorure d’uranium enrichi (composé de l’uranium utilisé dans le cycle du combustible nucléaire, civil ou militaire, ndlr). Et tout ça, ils l’ont fait sous le contrôle de l’AIEA, là est le paradoxe. C'est-à-dire qu’ils affichent une capacité qui ne cesse de s’accroître, mais la question est de savoir si Téhéran dispose d’installations non déclarées.

La bombe à moyen terme ?

RFI : Si l’Iran voulait la bombe atomique, à quelle échéance pourrait-il en disposer ?

JS : L’Iran enrichit de l'uranium, dans ses centrifugeuses, au moment où nous parlons. Mais seulement à hauteur de 4%, ce qui est un trèsfaible niveau d'enrichissement. Au bout du compte, c'est probablement dans la première moitié de 2009 qu'il aura rassemblé suffisamment de matériau. Si l'Iran se décide à tourner le dos à l'AIEA, s'il expulse les inspecteurs de l'Agence et s'il se retire du Traité de non-prolifération, un peu comme la Corée du Nord l'a fait autrefois, il pourrait alors prendre sa quantité d'uranium faiblement enrichi pour l'enrichir davantage, et pour en faire une bombe, ou peut-être plus. Actuellement, nous sommes donc à quelques centaines de kilos du seuil de capacité. Et si les Iraniens continuent à enrichir comme ils le font, ils auront cela d'ici quelques mois. Certainement au début de 2009.

BS : Pour faire une arme nucléaire il faut plusieurs choses. D’abord la matière fissile hautement enrichie, bien sûr. Mais il y a aussi la maîtrise des schémas d’armes nucléaires qui est quand-même soigneusement gardée par les Etats responsables. Comme les Iraniens sont de bons scientifiques, ils ont peut-être quelques idées sur ce qu’est une arme nucléaire. Mais après, il y a toutes les technologies spécifiques qu’il est nécessaire de maîtriser pour fabriquer des armes nucléaires. Ont-ils déjà développé et acquis cette capacité scientifique et industrielle de concevoir, de dessiner, de calculer, de fabriquer une arme nucléaire ? Ne leur manque-t-il plus que la matière ? Je ne pense pas. A mon avis, les choses progressent en parallèle. Donc pour moi, une arme nucléaire iranienne est  peut-être possible à moyen terme, mais elle n’est sans doute pas pour 2009.