Article publié le 16/01/2009 Dernière mise à jour le 17/01/2009 à 09:38 TU
De notre correspondant en Guyane, Frédéric Farine
"Au début, les gens ne voulaient pas croire que c'était une arnaque. Pour nous il était Dieu, la réincarnation de Martin Luther King et l'on se disait que c'était la justice des Blancs qui lui en voulait. Depuis sa fuite, on a commencé à comprendre" : cette femme d'origine africaine qui vit en Guyane ne décolère pas. Comme beaucoup, dans ce département français d'Amérique du sud, elle a longtemps crû en la sincérité du bienfaiteur Marc Dehi. Ce pasteur de 46 ans, Américain d'origine ivoirienne, proposait notamment dans l'Hexagone, aux Antilles et en Guyane des "plans de financement" via ses sociétés Gedeon Financial Corporation (GFC) et Omega Consulting. " Des valises de billets se sont promenées lors de diverses réunions. Certains amenaient de l'argent, d'autres en recevaient" indique un enquêteur. La machine à convaincre était agrémentée de prières lors de shows à l'américaine qui ont rempli plusieurs salles de réunion d'hôtels à Cayenne et Kourou. A Kourou, l'hôtel des Roches qui a accueilli le show de Marc Dehi appartient au Centre national d'études spatiales (Cnes), dont une salariée, Andrée-Marie Pancrate, secrétaire de section du parti socialiste guyanais (PSG) à Kourou, est l'une des huit personnes mises en examen dans ce dossier notamment pour "escroquerie en bande organisée". A l'auditorium de l'Encre (Ensemble culturel régional) à Cayenne, c'est "plus d'un millier de personnes qui s'étaient pressées" se souviennent des participants alors conquis par les "plans" miraculeux du pasteur-banquier.
Taux d'intérêt de 640% !
L'offre était alléchante. Sans doute trop : pour tout investissement de 1 500 euros, le pasteur et ses commerciaux promettaient en retour, 400 euros par mois pendant 2 ans, à partir du 5ème mois suivant la souscription, soit au total 9 600 euros. "Avec de surcroît, à terme, la restitution de la somme initiale" ironise un magistrat. Soit un taux d'intérêt de 640% ! "On lui reproche d'avoir mis en place un système pyramidal qui consiste à récolter des fonds en remboursant les premiers souscripteurs par les derniers arrivants, tout en utilisant des fonds à des fins personnelles " explique une source proche de l'enquête qui ajoute que ces plans de financement "se heurtent à la logique. Mathématiquement ça ne tient pas. Au bout de la chaîne des souscriptions, il est impossible de rembourser en amont". Marc Déhi serait donc une sorte de "Madoff ivoirien". Une partie des adhérents de sa société GFC a reçu des cartes magnétiques "dont les retraits se sont néanmoins limités à 50 euros" glose une source judiciaire. L'instruction a identifié environ un millier de souscripteurs. On en trouve le plus grand nombre en Guyane où les souscriptions dépassent les 3,5 millions d'euros. La justice évalue les "placements" à environ 5 millions d'euros sur l'ensemble des Antilles-Guyane.
Caution de 150 000 euros récoltée en espèces en Guyane
Tous les donateurs de Guyane n'ont pas été vaccinés par la mise en examen signifiée fin août 2007 au pasteur, par le juge martiniquais Bruno Lavielle pour "escroquerie en bande organisée" et "exercice illégal de la profession de banquier" ni par sa mise en détention provisoire. Au contraire, les déboires judiciaires de Marc Dehi en ont d'abord fait un quasi-martyr et lui ont valu un soutien zélé des victimes présumées. En Guyane, des adhérents, escomptant récupérer leur mise, ont récolté "en espèces, les 150 000 euros de caution nécessaires à sa libération" nous a raconté l'une des inconditionnelles du pasteur à l'époque. "Les 150 000 euros, trouvés par un entrepreneur d'origine haïtienne sont ensuite partis en Martinique par avion depuis la Guyane. Cette somme a été divisée en quatre et placée dans les valises de quatre passagers différents", précise-t-elle. Arrivés aux Antilles, les 150 000 euros auraient repris un avion pour l'île de Saint-Martin où ils ont été déposés dans une banque contre un chèque. Une source judiciaire à Fort de France confirme que la caution a bien été payée par un chèque de banque venant de l'île de Saint-Martin.
Entre Côte d'Ivoire et Ghana ?
Libéré début janvier 2008, Marc Déhi s'est enfui, quelques mois plus tard de Martinique, malgré la confiscation de son passeport et l'interdiction de quitter le territoire. Parmi les obligations de son contrôle judiciaire, ne figurait pas la nécessité de pointer au commissariat. Il aurait pris la poudre d'escampette "début août par bateau" selon plusieurs témoignages, pour rejoindre une île anglophone avec un faux passeport "emprunté moyennant finances à un habitant de Martinique qui lui ressemblait" affirme une source ayant suivi ces "opérations". Il aurait ensuite pris l'avion et traversé l'Atlantique. Selon son avocate martiniquaise maître Dinah Rioual Rosier : " il est parti en violation de son contrôle judiciaire, sans laisser d'adresse et je n'ai plus aucune nouvelle. On m'a raconté qu'il a voulu rentrer dans son pays car il était malade. Mon homologue aux Etats-Unis (autre avocat de Marc Dehi) m'a dit qu'il avait de petites nouvelles au début et ensuite, plus rien". Marc Déhi s'est enregistré à deux reprises sur YouTube depuis sa fuite pour dire à ses adhérents de "garder espoir". Selon nos informations, l'intéressé, en contact téléphonique avec l'Hexagone et la Guyane était, début janvier, en attente d'un envoi postal de Western Union. " Il navigue entre la Côte d'Ivoire et le Ghana", indique une source bien informée. En revanche, le juge d'instruction n'aurait eu aucun retour de ses demandes d'informations sur Marc Déhi auprès de plusieurs pays africains dont la Côte d'Ivoire et le Sénégal où des commissions rogatoires seraient en oeuvre. Les Etats-Unis qui auraient désigné un juge pour s'occuper du dossier Déhi, n'auraient pas davantage répondu au magistrat français.
"Il dit avoir acheté des camions au Sénégal"
"Ce que j'ai fait est une pratique courante aux Etats-Unis" avait répété le pasteur Déhi, au cours de ses auditions, fin 2007, soit bien avant le déclenchement de l'affaire Madoff. Sa fuite constitue néanmoins un sérieux accroc dans son système de défense. Le juge d'instruction et le parquet de Martinique étaient contre sa libération sous caution. "C'est la Cour d'appel de la Chambre de l'instruction qui l'a décidée" regrette une source judiciaire. Les déclarations de Marc Déhi n'ont pas convaincu les enquêteurs. "Il a affirmé avoir investi des fonds récoltés par les souscriptions, sur des marchés de matières premières : pétrole, viande, bijoux. Il dit avoir acheté des camions au Sénégal. Mais il n'a pas apporté une photo des camions, pas donné un seul numéro de plaque d'immatriculation. Tout cela semble relever de la fantasmagorie" déplore un enquêteur qui ajoute " on aurait aimé qu'il justifie ses revenus ou les 150 tampons figurant sur son passeport pour des destinations diverses et variées". Marc Déhi, qui reste présumé innocent, fait désormais l'objet d'un mandat d'arrêt international et se retrouve fiché par Interpol.
Neuf constitutions de partie civiles
Malgré l'ampleur de l'escroquerie présumée, seules neuf victimes s'étaient constituées partie civile dans cette affaire, début janvier, et l'on ne comptait qu'une trentaine de plaintes. " Les gens ont sans doute honte d'avoir été floués" estime maître Régine Sobesky-Guéril, avocate à Cayenne d'une victime. En Guyane, plusieurs élus auraient souscrit un plan de financement. C'est le cas de l'ex-députée UMP de Guyane et actuelle conseillère générale de Kourou, Juliana Rimane qui n'a pas porté plainte. "Le plan de financement était pour une parente" indique un proche de l'élue guyanaise, actuellement en métropole. "Tout le monde a été sollicité dans cette affaire, même des ingénieurs métros se sont faits avoir" confie un cadre du Centre spatial guyanais. Selon une ex-proche de Marc Dehi : " en Guyane, c'est principalement des Haïtiens d'origine qui ont souscrit, pas mal d'agriculteurs d'origine hmong également. Un entrepreneur haïtien a investi plusieurs centaines de milliers d'euros". Cet entrepreneur, qui travaille dans le BTP ne nous l'a pas confirmé mais explique : " A Paris, avant nous, les personnes avaient reçu leur argent. J'y ai crû et je ne suis pas le seul. Une dame qui travaillait à France-Télécom aux Antilles depuis plus de 20 ans a quitté cette société pour rejoindre le bureau de Marc Déhi à Paris. Je savais que ce système s'arrêterait un jour, cela s'est passé plutôt que je pensais. C'est l'Etat qui l'a voulu " déclare-t-il. " Des souscriptions de plus de 50 000 euros par une seule personne, c'est arrivé" indique, de son côté, un enquêteur. Mais pour expliquer le nombre limité de plaintes, il n'y a pas que la honte : "beaucoup d'argent vient de l'économie parallèle de Guyane, notamment des constructions de maisons illégales. Des gens ont investi un matelas d'espèces. Ils ne veulent pas porter plainte et attirer le fisc" explique-t-on. La justice a bloqué 1,3 millions d'euros sur le compte d'Omega Consulting en Guadeloupe. Selon l'enquête, des centaines de milliers d'euros sont parvenus à Saint-Martin, en Afrique et même à Copenhague . Un reçu en témoigne. Et un magistrat s'interroge : " Il y a des sommes tellement faramineuses qui circulent que l'on se demande si monsieur Déhi est exceptionnellement organisé et s'est enrichi uniquement sur un plan personnel ou s'il a abondé certaines cagnottes".