Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Guantanamo

Suspension des activités

par Véronique Gaymard

Article publié le 21/01/2009 Dernière mise à jour le 22/01/2009 à 11:13 TU

Le camp américain de Guantanamo(Photo : AFP)

Le camp américain de Guantanamo
(Photo : AFP)

A peine arrivé à la Maison Blanche, le président Barack Obama a demandé la suspension des procédures judiciaires devant les tribunaux d’exception de Guantanamo pendant 120 jours. Tout au long de la campagne présidentielle, il avait promis que la fermeture de ce centre de détention serait l’une de ses priorités. Cette suspension constitue une première étape vers la fermeture définitive du centre de détention de Guantanamo. Le Pentagone a également annoncé qu’il allait réexaminer l’ensemble des procédures de détention des prisonniers de Guantanamo. Mais de nombreuses questions restent encore en suspens.

L’annonce de cette demande de suspension des procédures judiciaires intervient alors qu’un troisième procès devant ces commissions militaires devait commencer lundi 26 janvier pour juger Omar Khadr, un Canadien accusé du meurtre d’un soldat américain en Afghanistan, alors qu’il n’avait que 15 ans. Le juge chargé d’examiner le dossier d’Omar Khadr a tout de suite décidé de répondre positivement et de suspendre sans plus attendre la procédure. Il en a été de même avec le juge en charge de cinq autres dossiers, dont celui de Khalid Sheikh Mohammed, le « cerveau » présumé des attentats du 11-Septembre. Selon l’ordre qui a été donné aux procureurs militaires directement par le secrétaire d’Etat à la Défense Robert Gates, cette suspension « permettra de donner du temps à la nouvelle administration pour réexaminer les dossiers des détenus de Guantanamo qui n’ont pas été déclarés libérables ou transférables ». Le Pentagone doit revoir toute la procédure de l’ensemble des détenus du centre de détention.

Des commissions militaires controversées

Ces tribunaux d’exceptions créés par la loi du 17 octobre 2006 étaient chargés de juger les détenus de Guantanamo inculpés de « crimes de guerre ». Mais leur fonctionnement bafouait toutes les règles d’un procès équitable. Ils étaient composés d’un juge et d’un jury militaire, les avocats des accusés pouvant être des militaires ou des civils. Certaines déclarations et aveux obtenus sous la contrainte et les mauvais traitements étaient jugés recevables par l’accusation, tout comme des preuves indirectes, fournies par des témoins non présents à la barre. En outre, les avocats de la défense n’avaient pas accès à toutes les pièces des dossiers : des situations inacceptables dans des cours fédérales et dans les cours martiales classiques. Pourtant, dans le passé, plusieurs personnes soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes ont été jugées par des cours fédérales civiles. De nombreuses organisations et des rapporteurs spéciaux des Nations unies souhaitent donc,que les détenus de Guantanamo qui doivent être jugés, le soient par ces cours fédérales.

Les détenus concernés

Actuellement, selon les chiffres du Pentagone, il y aurait encore 245 détenus dans la base américaine de Guantanamo. Selon l’ancienne administration Bush, environ 60 étaient considérés comme dangereux et devaient être jugés par les commissions militaires. Jusqu’à présent, 21 prisonniers ont été inculpés, dont 14 renvoyés devant un juge. Seuls deux procès ont eu lieu : celui de Salim Hamdan, l’ancien chauffeur d’Oussama Ben Laden, incarcéré pendant plusieurs années sur la base de Guantanamo, qui a été condamné à cinq ans et demi de prison pour « soutien matériel au terrorisme ». Le juge militaire avait rejeté les témoignages indirects et refusé certaines pratiques courantes dans ces commissions militaires. Il avait tenu compte du temps de détention qui avait déjà été effectué. Salim Hamdan avait été transféré fin novembre dans son pays - le Yémen, où il avait été incarcéré jusqu’au 12 janvier dernier, puis libéré par les autorités de son pays. Parmi les procédures qui seront réexaminées se trouve celle de Khaled Cheikh Mohammed, qui a revendiqué une trentaine d’actes terroristes. Informé par le juge militaire de l’ordre de suspension, ce détenu s’est opposé à cette décision, souhaitant que la procédure suive son cours. Le juge a néanmoins décidé de la suspendre. Selon l’annonce qu’a faite le Pentagone ce mercredi, ce sont les dossiers de l’ensemble des 245 détenus qui devraient être réexaminés.

Les détenus libérables

Hormis la soixantaine de détenus considérés comme dangereux par l’ancienne administration Bush et qui pourraient être jugés, plusieurs dizaines devraient pouvoir être transférés vers leurs pays d’origine, comme l’ont été 500 des 800 prisonniers adultes et adolescents qui depuis janvier 2002 sont passés par le centre de détention de Guantanamo. En revanche, environ cinquante détenus, pourtant considérés comme « libérables » même par l’administration Bush, ne peuvent pas être renvoyés dans leurs pays, par crainte de torture. C’est le cas d’une vingtaine de Ouïghours de Chine qui depuis plus de 6 ans, attendent à Guantanamo un pays d’accueil. Cinq Ouïghours avaient été transférés vers l’Albanie où certains ont dû accepter un statut de réfugié et vivent dans des conditions de grande précarité. Il semble difficile que les « libérables » de Guantanamo puissent trouver asile aux Etats-Unis, pays qui a bafoué leurs droits.

L’Europe, terre d’accueil des ex-détenus « libérables » ?

Pour le commissaire européen à la Justice, Jacques Barrot, l’annonce de la suspension des procédures à Guantanamo représente un « symbole fort ». Il a réaffirmé que la lutte contre le terrorisme qui continue, doit se faire dans le « respect absolu des droits de l’Homme ». De son côté, le juriste suisse Dick Marty qui avait dirigé les enquêtes du Conseil de l’Europe sur les vols secrets de la CIA, appelle tous les pays européens qui ont critiqué le fonctionnement de Guantanamo à faire un effort en octroyant l’asile aux ex-prisonniers « libérables » qui attendent un pays d’accueil.

Les pays Européens eux-mêmes sont divisés sur cette question. Le Portugal a tenté de montrer l’exemple lorsque son ministre des Affaires étrangères Luis Amado a annoncé en novembre que son pays était prêt à recevoir ces ex-détenus. La Suisse vient de faire savoir qu’elle pourrait étudier la possibilité d’en accueillir. La coalition allemande semble divisée, l’Espagne se réjouit des annonces de l’administration Obama mais ne s’engage pas. La France pourrait examiner des situations « au cas par cas ». En revanche, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas refusent en disant que ce sont les Etats-Unis qui ont créé ce problème et que c’est à eux seuls qu’incombe la responsabilité d’y remédier. La plupart des pays attendent une position commune de l’Union européenne, qui sera énoncée peut-être lors de la prochaine réunion des ministres européens des Affaires étrangères lundi 26 janvier à Bruxelles.

Le droit international sera-t-il remis au centre des procédures ?

Tout le dispositif juridique de Guantanamo mis en place par l’administration Bush devrait s’effondrer car illégal, selon de nombreux juristes américains qui depuis l’ouverture de ces camps demandent que soient respectées les lois de la guerre, et donc le droit international humanitaire. En premier lieu, les prisonniers n’ont pas reçu le statut de « prisonnier de guerre» . L’administration américaine a inventé une notion juridique qui n’existe pas en droit international, celle d’ « ennemi combattant », en maintenant les détenus dans un vide juridique et un vide territorial. Pour sortir de l’imbroglio des procédures judiciaires illégales, la nouvelle administration du président Barack Obama devra peut-être commencer par leur reconnaître le statut de prisonnier de guerre pour leur redonner une existence légale.

Reed Brody, porte-parole de Human Rights Watch

« Le pouvoir exécutif peut à tout moment décider d'abandonner les poursuites. »

21/01/2009 par Véronique Gaymard

Reed Brody, porte-parole de Human Rights Watch

« Est-ce que l'administration va repenser la manière de livrer cette guerre contre les terroristes ? »

21/01/2009 par Véronique Gaymard

Françoise Bouchet-Saulnier, expert juridique à Médecins sans frontières

« L'administration Bush avait fabriqué un système dans lequel on pouvait être rien au regard du droit. »

21/01/2009 par Véronique Gaymard