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Irak

A Bagdad, des élections à l’abri des murs

Article publié le 28/01/2009 Dernière mise à jour le 29/01/2009 à 08:22 TU

Les Irakiens se rendent aux urnes samedi pour la première fois depuis 2005. Ces élections provinciales vont renouveler les exécutifs de 14 des 18 provinces du pays (les trois provinces du Kurdistan et celle de Kirkouk, limitrophe de la région autonome kurde, voteront plus tard). Après trois ans de violence exacerbée, ce scrutin a valeur de test des capacités des forces irakiennes à assurer la sécurité du vote alors que se profilent des élections législatives au dernier trimestre de l’année 2009. De fait, le scrutin sera placé sous haute surveillance, à l’abri des murs érigés autour des différents quartiers de la capitale irakienne au plus fort de la violence en 2007.

Les affiches de campagne électorale tapissent les murs de Bagdad.(Photo : C. Verlon / RFI)

Les affiches de campagne électorale tapissent les murs de Bagdad.
(Photo : C. Verlon / RFI)

De notre envoyée spéciale à Bagdad, Farida Ayari

Dès l’arrivée à l’aéroport de Bagdad, le ton est donné. Un no man’s land de cinq kilomètres - protégé par un mur de béton sur lesquels des artistes irakiens se sont amusés à peindre des gratte-ciel colorés et des voitures américaines rutilantes - sépare le terminal du parking où tout Irakien sans badge d’accès est tenu de laisser son véhicule. Des navettes assurent le transport des voyageurs entre l’aéroport et le parking.

« Bagdad, c’est devenu comme la Cisjordanie ! », assure un ami irakien venu nous accueillir. Les murs de béton sont partout, encerclent les quartiers, les habitations et les bâtiments officiels. Plusieurs centaines de mètres de béton ont ruiné le marché de Kem, limitrophe aux quartiers historiques d’Adhamiya et de Kadhimiya où, naguère, sunnites et chiites venaient s’approvisionner en bonne intelligence.

Le bureau de l'Agence France Presse sous haute surveillance au coeur même de Bagdad.(Photo : C. Verlon / RFI)

Le bureau de l'Agence France Presse sous haute surveillance au coeur même de Bagdad.
(Photo : C. Verlon / RFI)

Les checkpoints sont nombreux, mais se négocient relativement vite. L’armée irakienne, qui en assure la surveillance, est équipée de détecteurs d’explosif électroniques et le contrôle se fait en quelques secondes.

Les troupes américaines patrouillent par groupe de trois ou quatre Hummers et ne s’arrêtent jamais. Les Américains assurent surtout la surveillance par les airs avec des zeppelins et des rotations incessantes d’hélicoptères Black Hawks.

Les Murs : support électoral

La campagne pour ces élections provinciales est étrange. Pas de grands meetings : les rassemblements seraient trop tentants pour les candidats aux martyrs, toujours prêts à se faire exploser dans une foule.

Les 14 431 candidats – dont 3 912 femmes - de plus de 400 formations politiques sont, pour la plupart, de parfaits inconnus. Mais, à voir la quantité d’affiches électorales qui tapissent les murs de béton, ils semblent avoir des moyens. Les journaux font fortune avec les encarts électoraux de même que les opérateurs de téléphonie mobile avec les textos envoyés en nombre par les candidats aux électeurs.

Les affiches de campagne électorale tapissent les murs de Bagdad.(Photo : C. Verlon / RFI)


T-shirts, ballons, stylos et briquets sont largement distribués aux couleurs des différentes formations politiques. L’essentiel est d’accrocher le regard de l’électeur potentiel pour ce scrutin largement ouvert.

Lors des précédentes élections, le choix des électeurs se limitait aux listes présentées par les partis. Cette fois, ils continueront de choisir un parti ou un mouvement, mais pourront, en outre,  voter pour des candidats en particulier choisis sur n’importe quelle liste de parti. Les résultats prendront en compte les voix recueillies tant par les listes que par les candidats.

Tout parti obtenant au mois trois élus au conseil provincial est contraint d’allouer un tiers de ses postes à une femme. Pour Souha Jarallah Chamaâ, responsable du Forum des femmes irakiennes, une ONG qui défend la cause féminine, « ce n’est pas suffisant ! Avec toutes les guerres que l’Irak a connues depuis près de 30 ans, les femmes représentent plus de 56 % de la population », assure-t-elle en jonglant avec ses téléphones portables. Souha, qui porte le foulard et la longue robe islamique, peste contre les partis islamistes qui veulent freiner la promotion de la femme. Au cours de ces derniers mois, elle a formé de nombreuses femmes aux élections.

Mais tous les Irakiens auraient besoin de formation aux élections. Bashar Sami, professeur de français à l’Université Al Mustansiriya, souligne que « les Irakiens ne sont pas prêts pour la démocratie. Ils votent selon des lignes ethniques et confessionnelles. Il faudra plusieurs années pour que les Irakiens votent selon leurs convictions politiques. »

Recomposition du paysage politique

De fait, les chefs religieux jouent un rôle important dans la mobilisation électorale. Le Grand Ayatollah Ali Al Sistani, le leader spirituel des chiites, a appelé à voter en masse. « La Marjaïya (la plus haute autorité religieuse chiite) considère que la participation aux élections s’inscrit dans le processus de construction du pays », a déclaré l’un des disciples d’Al Sistani.

Et si les sunnites avaient boycotté les précédentes provinciales les privant de toute représentation dans les provinces où ils sont majoritaires, c’était à l’appel du Comité des oulémas. Aujourd’hui, les mêmes oulémas appellent leurs condisciples à se mobiliser afin de regagner leur souveraineté dans les provinces d’Al Anbar, de Mossoul, de Samarra et de Diyala.

Mais sunnites et chiites vont à ces élections en ordre dispersé. Le Front de la concorde sunnite s’est disloqué. L’ancien Premier ministre, Ibrahim Al Jaafari, a fait scission d’Al Daawa, le parti de l’actuel Premier ministre Nouri Al Maliki. Ce dernier capitalise sur l’accord de désengagement signé avec les Américains à la fin de l’année dernière et sa politique d’ouverture envers les sunnites.

Le mur séparant deux quartiers, sunnite et chiite, de Bagdad.(Photo : Claude Verlon/RFI)

Le mur séparant deux quartiers, sunnite et chiite, de Bagdad.
(Photo : Claude Verlon/RFI)


Nouri Al Maliki pourrait être le grand gagnant de ce scrutin et asseoir ainsi son autorité pour modérer l’ambition kurde de prendre le contrôle de la province pétrolière de Kirkouk. Avec beaucoup d’habileté, ce politicien de 59 ans joue l’unité arabe contre l’autonomisme kurde et le fédéralisme prôné par l’autre grand parti chiite, le Conseil suprême pour la révolution islamique d’Abdelaziz Al Hakim. Al Hakim souhaite, en effet, une plus grande autonomie des 9 provinces chiites du sud, de Babylone (Hilla en arabe) à Bassorah, l’autre région pétrolière de l’Irak.

Enfin, Moqtada Sadr, qui avait mené la guerre contre les Américains à partir de 2004, reste à l’abri en Iran. Le courant sadriste n’a pas de candidats officiels, mais soutien des indépendants. Les provinciales de samedi prochain permettront aussi de mesurer son audience dans le pays.

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