par Anne-Laure Marie
Article publié le 04/02/2009 Dernière mise à jour le 05/02/2009 à 14:53 TU
Comme un lézard dans la maison
Jeune Ivoirien, Salomon sait bien « qu’il n’y pas de poste à pourvoir sans qu'il y ait mention de connaissance des TIC. Pourquoi donc en priver les Africains ? » s’interroge-t-il. Quand Patrick de Kinshasa, en République Démocratique du Congo, compare l’ordinateur à …« un lézard qui accède dans des maisons sans l'autorisation des propriétaires et s'introduit forcément dans la vie de quiconque se lance sur la voix du développement». Et si « tout manque pour l'éducation », comme le dit Maiga du Mouvement Alternatif Africain, « ce n'est pas une raison de ne pas évoquer la question de l'informatique, elle est capitale. » Aujourd’hui avec l’ordinateur, hier via la télévision ou la radio, la tentation de trouver des solutions « technologiques » aux défaillances du système éducatif en Afrique existe depuis des années, rappelle le professeur Jacques Wallet. « La télévision éducative nigérienne existait avant que la télévision publique n’émette », explique ce spécialiste de la question qui coordonne un réseau de 450 chercheurs à travers le monde sur cette problématique, le Resafad. Pourtant, la question n’a pas trouvé de réponse simple et les plus grands projets assortis des budgets les plus conséquents n’ont parfois rien donné.
Professeur à Rouen
« Il y a des effets d'annonces planétaires mais dans la réalité ça touche peu de monde. »
Campus d'Abidjan, Côte d'Ivoire.
(Crédit photo : Camille Millerand/ Afrique in visu)
Ces échecs financiers ne sont pas passés inaperçus dans des pays où le seul fait d’envoyer les enfants à l’école relève parfois du défi. Cultivateur au Cameroun, Michel « refuse qu'on continue à se faire des sous sur son dos sous le prétexte de le faire entrer dans la "e-modernité" par la grande porte du petit écran fascinant des ordinateurs ». Cette question du « détournement » des fonds alloués à l’introduction des TIC a également été posée par Atsu, jeune Togolais résidant à Dakar. Didier Oillo est en charge des innovations via les nouvelles technologies dans l’enseignement au sein de l’Agence Universitaire de la Francophonie, il lui a répondu.
« L'aide allouée en Afrique est théorique. »
Jusqu’à quel point les programmes de soutien aux nouvelles technologies relèvent-ils de la théorie dans l’enseignement supérieur ? Autrement dit, y-a-t-il des ordinateurs dans les amphithéâtres en Afrique ? La réponse de Didier Oillo.
Directeur de l'innovation au sein de l'Agence Universitaire de la Francophonie
« Un ordinateur dans les amphithéâtres ? Il y en a un tout petit pourcentage. »
Pas de données officielles sur la question
Pour essayer de trouver des données chiffrées, nous nous sommes adressés à l’Unesco. Virginie Torrens y travaille en tant que responsable des "TIC" au Bureau Régional de l’Education pour l’Afrique (BREDA)
Responsable des Technologies de l'information et de la communication pour la BREDA
« Je ne veux pas m'aventurer dans les données chiffrées mais il y a un fort pourcentage de gens qui vont dans des cybercafés. »
Pourtant, même installés au sein des campus universitaires, les cyber cafés ne répondent pas à la demande : « sept ordinateurs payants », c’est ce dont dispose Aboubacar... avec « les 8 600 autres étudiants guinéens de son université.» Qu’importe, depuis Madagascar, Jean-Loup nous écrivait il y a quelques jours qu’en tant qu’enseignant il avait « pris l'option d'enseigner et de transmettre les informations à travers le net et, oh joie ! … grâce au cybercafé de la ville, mes étudiants (120 au total) ont pu recevoir de la documentation et les préalables conceptuels et théoriques pour mon cours d'organisation d'entreprises. »
La fracture énergétique, une réalité incontournable
« Je pense que votre nouveau thème de discussion repasse sur certains aspects déjà évoqués lors de la discussion sur le Prix de l’internet en Afrique », remarque Abani depuis Le Niger. C’est vrai. Impossible de parler d’ordinateur à l’école sans évoquer certains problèmes majeurs et récurrents que Blaise résume dans un message venu du Burundi : « D'abord, l'électricité permanente touche moins de 10 % de la population en général, le groupe électrogène capable de faire fonctionner un seul ordinateur consomme par jour 4 fois plus que le salaire journalier d'une famille africaine, les pièces de rechanges pour les TIC sont très chères, importées et piratées, les techniciens informatiques inconscients profitent de l'ignorance africaine des TIC pour taxer les prix d'installation et de réparation très élevés, les réseaux de communication TIC et téléphonique couvrent parfois moins de 1/10 du territoire ».
Ouf ! Pourtant, il ne s’agit pas d’un coup de colère de la part d'un internaute isolé. Blaise exprime par son courriel l’avis de nombre de participants pour lesquels, comme Philippe, « sauf solution alternative et pour l'instant marginale, l'accès à l'électricité est indispensable. » Or, précise-t-il, non seulement la plupart des écoles du Burkina où il travaille n’ont pas l’électricité mais « les fortes amplitudes grillent nombre de modems et de cartes-mères » des ordinateurs.
Des ordinateurs… dans des salles fermées à clef
Et puis, au fil de la discussion, les ordinateurs que l’on cherchait apparaissent. A Zinder, au Niger où Abani est professeur, « on a bénéficié d'une salle informatique avec connexion à internet par le PNUD (Programme des Nations unies pour le Développement, ndlr) mais jusqu'a présent on en fait un usage moyen car on n'a pas d'objectifs ou de programmes précis à réaliser ». Assane, qui revient d’un séjour à Dakar affirme que son ancien lycée dispose de « plusieurs salles informatiques mais l'accès pour les élèves reste toujours difficile ». Idem à Gao, au Mali, où Maiga nous décrit des salles fermées et des « machines non installés depuis trois ans ». Voilà une problématique à laquelle on s’attendait moins, celle de ces « salles informatiques neuves dont personne ne peut exploiter les ressources, faute de formation » que l’association Biblio'Brousse , pour laquelle travaille Amandine, met en service au Burkina Faso. Une problématique résumée par le secrétaire exécutif du Fonds Mondial de Solidarité Numérique en ces termes :
Secrétaire Général du Fonds Mondial de Solidarité Numérique
« Je pense qu'il serait erroné d'acheter du matériel ici et puis de le" balancer" auprès des populations exclues de la société de l'information. »
Pourquoi y-a-t-il des ordinateurs non utilisés dans les classes en Afrique ? Pourquoi l'accès à ces salles reste « toujours difficile pour les élèves » pour reprendre l'expression d'Assane ? C’est le sujet du prochain article issu de l’enquête participative en cours sur le forum de l’Atelier des Médias.