Article publié le 06/02/2009 Dernière mise à jour le 06/02/2009 à 17:08 TU
L'Iran célèbre depuis quelque jours le 30e anniversaire de la Révolution islamique de 1979. Une commémoration sur fond de tension avec l'Occident autour du programme nucléaire iranien notamment. D'ailleurs cette semaine, la mise sur orbite du premier satellite iranien a relancé les inquiétudes des Américains et des Européens à propos de la capacité de Téhéran à tirer des fusées à moyenne ou longue portée qui pourraient avoir un usage militaire. Invité de RFI ce vendredi, Seyed Mehdi Miraboutalebi, le nouvel ambassadeur d'Iran en France. Lors d'un entretien avec Nicolas Falez, il évoque la perspective d'un dialogue avec les Etats-Unis de Barack Obama, le conflit israélo-palestinien et d'abord, le lancement de ce fameux satellite iranien qui a fait couler beaucoup d'encre cette semaine.
RFI : L'Iran a annoncé cette semaine le lancement de son premier satellite. L'information a provoqué des réactions inquiètes aux Etats-Unis et en Europe, où l'on évoque le développement d'un éventuel programme iranien de missiles à longue portée... le tout sur fond de bras de fer nucléaire. L'Occident a-t-il raison de s'inquiéter ?
Seyed Mehdi Miraboutalebi : Sincèrement, je suis plus que navré que les pays occidentaux propagent ce type d’inquiétudes dans leurs opinions publiques.
Prenons un exemple : si votre enfant fait des études supérieures ; soi-disant, ces études supérieures ont pour objectif de faire le bien. Mais est-ce que sous prétexte qu’il peut également utiliser son savoir-faire pour des choses négatives, vous allez sans arrêt regarder son désir de faire des études supérieures, avec énormément de doutes et d’inquiétudes ?
Honnêtement, on s’attendait à ce que les différents pays, entre autres occidentaux, nous félicitent pour ce progrès immense, à savoir : avoir eu la capacité en interne de fabriquer un satellite pour différents types de recherches spatiales.
Mais, à la place de cela, soi-disant parce que ce type de progrès pourrait un jour être utilisé dans un autre sens, donc balistique, les pays occidentaux, sans arrêt, passent leur temps à exprimer leurs inquiétudes.
J’insiste, ce satellite c’est un satellite de 25 kilos qui tournent quinze fois par jour autour de la Terre, à une altitude de 250 kilomètres. C’est un satellite uniquement civil pour des activités de télécommunication.
Lorsque les pays occidentaux expriment leurs inquiétudes, pour nous, c’est exactement comme avec une voiture, vous pouvez aussi bien transporter des malades à l’hôpital ou bien l'utiliser afin de commettre un vol dans une banque. Pourtant il s’agit de la même voiture.
Donc, pour nous, cette approche occidentale, est une approche purement politique.
RFI : L’inquiétude qui s’exprime dans le camp occidental est aussi liée aux déclarations du président Ahmadinejad, concernant Israël et la destruction d’Israël. L’Iran entend-t-il que la conjonction de ses progrès balistiques et de ses déclarations est de nature à inquiéter ?
S.M. Miraboutalebi : D'ores et déjà, je tiens avant tout à corriger une chose que vous avez dite. Jamais Monsieur Ahmadinejad, dans son discours, n’a abordé la question de la destruction physique d’une personne en particulier.
La seule chose dont il a parlé c'est de la nécessité de mettre fin à l’idéologie sioniste. C’est uniquement cela qu’il a dit. Il a parlé de l’idéologie sioniste.
De plus, j’insiste, ce que vous dites, à la limite, n’est même pas logique. On parle de la Palestine occupée, autrement dit, un territoire où juifs, chrétiens et musulmans ont toujours cohabité. Et donc, par définition, une soit-disant utilisation de ce type d’armes par nous contre eux, n’a même pas de signification.
Et n’oubliez jamais, si vous regardez l’Histoire, à aucun moment, jamais, l’Iran n’a attaqué un autre pays.
Donc, encore une fois, pour nous, ce que vous dites n’a pas de justification. Pour nous, juifs, chrétiens et musulmans doivent vivre ensemble. Et ce sont à chaque fois, les ingérences extérieures qui ont posé problème.
RFI : Puisque l’on parle du conflit israélo-palestinien, on sait que l’Iran soutient les Palestiniens, et notamment le Hamas. L’Autorité palestinienne et le Fatah d’un côté, le Hamas de l’autre, mènent actuellement des discussions pour tenter, de bâtir un gouvernement d’entente nationale, de se réconcilier. Comment l’Iran observe-t-il ces discussions très importantes pour l’avenir de la région ?
S.M. Miraboutalebi : Toute décision qui sera prise par l’ensemble des Palestiniens, nous la soutiendrons. Et nous estimons que le soutien unilatéral de l’Occident envers telle ou telle tendance palestinienne, ne peut pas aboutir à une solution viable.
Si l’Occident croit vraiment en la démocratie et au vote populaire, l’Occident doit mettre fin à l’approche que les pays occidentaux ont eu au cours des dernières années, par rapport aux élections palestiniennes et l’Occident doit enfin accepter que ce soit les urnes en Palestine qui puissent déterminer le destin des Palestiniens.
Malheureusement, les pays occidentaux, en soutenant sans réserve les violations commises par les Israéliens et les actes illégaux commis par les Israéliens, et en soutenant de manière unilatérale, une seule tendance au niveau de la Palestine, ont finalement échoué dans leur examen aux yeux du peuple palestinien.
RFI : Le nouveau président, Barack Obama, pendant sa campagne et après son élection, a annoncé qu’il souhaitait entamer le dialogue avec l’Iran ; ce qui serait historique, trente ans après la révolution de 1979. Qu'attendent les dirigeants iraniens d’un tel dialogue ?
S.M.Miraboutalebi : Le fait est que, si Monsieur Obama concrétise en actes, ce qu’il dit en paroles, ce sera une très bonne perspective, et bien évidemment, nous l’accueillons très favorablement. Mais encore une fois, jusqu’à maintenant, Obama et les Américains n’ont rien fait en pratique qui nous permettrait de savoir s’ils disent la vérité ou pas, et s’ils sont sincères ou pas .
RFI : Quel geste permettrait de rompre la méfiance entre les deux pays, d’après vous ?
S.M.Miraboutalebi : Changer leur manière de parler et surtout changer leurs actions. Nous avons déjà prouvé que nous souhaitions tout faire pour que la paix, la stabilité et la sécurité puissent régner dans la région. D’ailleurs, vous avez pu voir que notre président a envoyé un message de félicitations à Monsieur Obama.
Nous attendons de voir si les Américains seraient capables ou pas de concrétiser les slogans dont ils avaient parlé lors de la campagne présidentielle.
RFI : Qu'est-ce que l'Iran attend du nouveau président américain Barack Obama qui affirme vouloir ouvrir le dialogue entre Washington et Téhéran ?
S.M.Miraboutalebi : Nous avons toujours aimé dialoguer, nous sommes des hommes de dialogue et nous estimons que si la justice, l’équité et la logique règnent, à ce moment-là, beaucoup de problèmes pourront trouver leurs solutions.
Le fait est que concernant le nucléaire, l’Iran n’a jamais fait et ne fera jamais rien qui soit en dehors de la réglementation. Le fait est qu’il existe une absence de confiance. Et n’oubliez pas, cette absence de confiance existe de l’autre côté, c’est-à-dire que de l’autre côté, ils n'ont rien fait qui puisse nous apporter cette confiance.
Il appartient aux Etats-Unis et aux Occidentaux de créer la confiance, parce qu’une question purement technique, qui était devant l’Agence internationale de l’énergie atomique, a été retirée de l’Agence pour être envoyée devant le Conseil de sécurité et ils voté cinq résolutions qui étaient totalement, en ce qui nous concerne, inacceptables, illogiques et illégales.
Ce sont les Occidentaux qui doivent d’abord créer la confiance, en acceptant que le dossier soit retourné devant l’Agence internationale de l’énergie atomique, et que ce dossier soit un dossier purement technique. A ce moment-là, il va de soi que nous accepterons de suivre, comme on l’a toujours fait la totalité des réglementations, dans le cadre de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
RFI : La semaine dernière, l’Union européenne a décidé de rayer le nom de l’organisation des Moudjahidines du peuple iranien de sa liste noire des organisations terroristes, suite à une série de décisions de justice, dans plusieurs des pays membres de l’Union. Quelle est la réaction de l’Iran face à ce geste ?
S.M.Miraboutalebi : Nous estimons que l’attitude de l’Union européenne a été une attitude totalement politique, uniquement politique. Et une attitude des plus dangereuses et nous estimons que cela va à l’encontre à la fois de la logique et de toutes les procédures.
J'estime que cette attitude de l’Union européenne a été une attitude que je qualifierais de dualiste par rapport à la question du terrorisme. Et c’est vraiment quelque chose de dangereux, parce que si dans les autres pays, on commence à agir de la sorte, à ce moment-là, les conséquences vont être particulièrement néfastes pour le monde entier.
RFI : La situation des droits de l'homme est régulièrement dénoncée en Iran. Ce fut encore le cas, il y a quelques jours suite aux tracasseries qui ont visé Madame Shirine Ebadi, Prix Nobel de la Paix. Que répondez-vous à ces critiques, à ces accusations ?
S.M.Miraboutalebi : Encore une fois, là aussi, c’est un exemple d’un scandale que vous faites autour de quelque chose qui n’a strictement rien à voir avec les droits de l’homme. La question du centre de Madame Ebadi en Iran n’a strictement rien à voir avec les droits de l’homme. C’est plutôt une question réglementaire.
Le fait est que Madame Shirine Ebadi et les personnes qui partagent ses idées avaient fait une demande pour créer une organisation politique. Et il va de soi que d’après la loi iranienne, elle devait fournir à notre ministère de l’Intérieur, les statuts et différents documents.
Mais le problème, c’est que pratiquement deux ans se sont écoulés depuis le début des activités de son centre et pourtant, elle n’a toujours pas fourni les statuts et les différents éléments que le ministère avait demandés.
J’insiste encore une fois, c’est une affaire d’ordre intérieur. On considère l’intervention du gouvernement français comme une ingérence dans nos affaires intérieures. Et d’ailleurs, comme vous avez pu le voir, Madame Ebadi a pu sortir librement du pays, venir en France, rencontrer votre ministre. A aucun moment, personne n’a mis en cause Madame Shirine Ebadi ou lui a posé le moindre problème.
Encore une fois, si la question des droits de l’homme est vraiment une préoccupation pour vous, peut-être aurait-il fallu que vous puissiez vous intéresser également un petit peu aux massacres qui ont été commis dans la bande de Gaza, à l’utilisation des armes non conventionnelles, des bombes à phosphore ou des bombes à uranium appauvri. Peut-être, vous auriez dû également vous occuper de cela lorsque les enfants et les civils étaient assassinés et massacrés et non pas seulement vous focaliser sur l’affaire d’une dame qui a commis une faute administrative dans un autre pays, en créant son centre sans l’autorisation et de vous focaliser uniquement sur cela.
Peut-être aurait-on pu espérer que Monsieur Kouchner, plutôt que de recevoir une dame qui a commis une faute administrative illégale dans son pays, accepte également de recevoir les parents des enfants qui ont été massacrés dans la bande de Gaza, qu'il puisse leur parler et avoir un échange avec eux aussi. C’est là que l’on comprend vraiment ce que peut signifier la question des droits de l’homme et j’insiste, nous défendons les droits de l’homme.
RFI : Une question qui s’adresse au diplomate mais aussi à l’homme iranien : votre pays célèbre le 30e anniversaire de sa révolution, est-ce-que vous avez un souvenir fort de ce début d’année 1979 qui concerne évidemment tout votre pays mais dont vous, vous gardez le souvenir plus particulièrement ?
S.M.Miraboutalebi : Encore une fois, la révolution iranienne est remplie de moments mémorables et de moments forts. Mais peut-être l’élément le plus important de cette révolution, c’est qu’aucun stratège à travers le monde, aucun stratège qui se base sur des éléments clairs et prédéfinis, n’aurait pu pensé qu’un homme tel l’imam Khomeiny avec la vie simple qu’il avait, puisse du coin du monde où il se trouvait, changer complètement la face d’un pays, le rendre indépendant et modifier tout dans ce pays.
On n’aurait jamais pu croire que l’imam Khomeiny ait réussi à faire intervenir le peuple iranien et faire en sorte que grâce au peuple iranien et à son appui qu’on puisse apporter autant de changements et créer autant de progrès. Cela est l’élément principal que les gens de ma génération conservent dans leur mémoire. C’est une forme de leçon pour nous. On sait désormais qu’aucun gouvernement basé sur l’injustice et l’oppression ne peut perdurer et tôt ou tard, ce sont les peuples qui prendront entre leurs mains leur destin.
Les responsables des différents pays du monde doivent savoir qu’ils sont avant tout, les serviteurs de leurs propres peuples et non pas de ceux qui gouvernent leurs peuples. Il s’agit là de la leçon la plus importante que l’imam Khomeiny nous ait apprise.
Entretien réalisé par Nicolas Falez, RFI