Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Entretien

Michel Beuret, spécialiste des relations sino-africaines

Article publié le 11/02/2009 Dernière mise à jour le 11/02/2009 à 17:11 TU

« La Chine est le plus grand pays en développement du monde et elle vient en aide au continent qui compte le plus grand nombre de pays en développement ». Ce slogan date du premier forum de coopération de la Chine en Afrique qui a été organisé à Pékin en 2000. Il est aujourd’hui répété avec force par les autorités chinoises à l’occasion de la visite de Hu Jintao en Afrique.

Interview avec Michel Beuret, coauteur de Chinafrique aux éditions Grasset.

RFI : Hu Jintao se rend au Mali, au Sénégal, en Tanzanie et Maurice… Pourquoi ces quatre pays ?

Michel Beuret : On ne sait jamais vraiment pourquoi. Aujourd’hui « la Chinafrique » est un système de relations entre Pékin et 49 des 53 pays que compte le continent. Ce qu’on peut dire en revanche, c’est que le Sénégal est certainement une date symboliquement très importante. Le Sénégal fait partie des pays qui ont tourné leur veste. Autrefois, Dakar était l’allié de Taiwan et a fini par renoncer à ce lien au profit de Pékin en 2005. C’est la première visite de Hu Jintao au Sénégal : c’est donc une visite importante. L’île Maurice a également un intérêt stratégique pour les Chinois notamment parce qu’on est proche de zones françaises et donc de l’Union européenne. Les Chinois produisent dans l’Océan Indien et ils aimeraient bien profiter pour certaines entreprises d’un label européen. La présence chinoise dans la région est ancienne, notamment à Madagascar, et il y aura sûrement des questions à ce sujet à Port-Louis. 

RFI : La bataille d’influence Taipei - Pékin en Afrique est-elle terminée ?

M.B. : La bataille pour l’asphyxie à distance de Taiwan a été en partie remportée, car Pékin a des moyens beaucoup plus importants que Taipei. Cette politique du chéquier est menée par la Chine un peu partout dans le monde et pas seulement en Afrique. Les autorités taïwanaises ont d’ailleurs pratiqué la même chose, mais avec moins de moyens. Et résultat : le Malawi a retourné sa veste ! C’est en réalité la fin d’une longue bataille menée depuis les indépendances. Pékin s’est arrangé pour séduire de plus en plus de pays en Afrique, de manière à ce  qu’ils votent en sa faveur à l’assemblée générale de l’Onu. Ca a été le cas et, depuis 1971, Taiwan n’a plus de siège à l’ONU.                        

RFI : Cela fait des années que la Chine s’intéresse à l’Afrique. Peut-on parler d’une banalisation de cette présence chinoise ?

M.B. : On a été frappé depuis la fin des années 90 par la présence de ces entreprises chinoises en très forte expansion. On s’est demandé ce qui les distinguait des compagnies venues d’autres pays. Ensuite on s’est aperçu qu’à force de s’implanter en Afrique, les Chinois ont fini par rencontrer les mêmes difficultés. Ils ont dû mettre les mains dans le cambouis. Pékin dit : « On veut un partenariat gagnant-gagnant. On veut parler d’égal à égal avec les africains ». Or, beaucoup de pays affirment la même chose en fin de compte. C’est le cas de l’Union européenne, de la France, de l’Inde ou encore du Brésil. Du point de vue du discours, il y a donc peu de différences. D’autant que la Chine elle-même est attaquée sur ce terrain. On sait que des Chinois ont été victimes d’attaques en Ethiopie ou encore récemment au Soudan, au Niger et au Nigéria. A mesure que les Chinois accèdent au ‘continent mystérieux’ comme on disait au temps d’Henri Stanley, eh bien, ils mettent les pieds sur des terrains parfois minés. Ils découvrent que pour agir, il faut faire un peu comme les autres, c'est-à-dire il faut faire appel à des armées privées pour protéger certains territoires utiles, etc. 

RFI : Dans le discours chinois sur l’Afrique, il y a une forte tonalité accordée au co-développement.

M.B. : C’est quelque chose de nouveau. Pendant longtemps les Chinois affirmaient : « Nous faisons du commerce et ce commerce va vous aider à vous développer ». Une partie des investissements chinois, notamment dans les infrastructures, contribuent effectivement au développement des pays africains. « Il y a vingt ans on rencontrait les mêmes difficultés, disent les Chinois, et voyez ce que nous avons fait ! Nous sommes plus pragmatiques que l’Occident ! ».  Dans une certaine mesure, il faut reconnaître que c’est vrai.

Propos recueillis par Stéphane Lagarde