Article publié le 12/02/2009 Dernière mise à jour le 12/02/2009 à 10:49 TU
Reza Pahlavi, fils du dernier shah d'Iran, vit en exil depuis 1979, année de l'instauration de la République islamique d'Iran. Interrogé par Frédéric Rivière, le prince héritier d’Iran évoque la situation dans son pays après trente ans de régime islamique, l’incapacité du gouvernement iranien à dialoguer avec le monde démocratique et ses craintes à propos d’une éventuelle attaque militaire contre son pays. Reza Pahlavi demande au monde libre de s’investir pour « la démocratisation » en Iran. Il vient de sortir un livre : Iran, l'heure du choix, publié aux éditions Denoël.
RFI : Il y a tout juste trente ans, le régime de votre père le shah d’Iran était renversé et l’ayatollah Khomeiny prenait le pouvoir. Vous admettez, dans le livre que vous venez de publier, que vous n’imaginiez pas un seul instant à l’époque que ce nouveau pouvoir se maintiendrait aussi longtemps en place. Comment expliquez-vous la longévité du régime des ayatollahs ?
Reza Pahlavi : Il faut dire qu’en grande partie, c’est la nature répressive de ce régime qui ne permet pas qu’il puisse y avoir une évolution. Il y a un étouffement total dans l’espace politique, mais aussi dans le sens humain de la chose du fait des pressions insurmontables qui peuvent se garder pendant un certain temps quand on a affaire à des régimes totalitaires et aussi répressifs que cela. Cela dit, je pense que l’évolution actuelle du pays va dans une direction où on ressent le rejet total du système et la volonté de vouloir parvenir à une conclusion au-delà du régime. C’est un peu comme ça que les choses aujourd’hui se ressentent dans le fond du pays et dans la masse qui souffre.
RFI : On le comprend, et vous le dites évidemment : vous souhaitez la fin du régime qui est en place. D’où cela peut-il venir ? De l’intérieur ?
Reza Pahlavi : De l’intérieur, absolument. Vous avez, dans la majorité des Iraniens, des alliés naturels de tout ce qui se rattache aux valeurs et principes qu’aujourd’hui on retrouve dans les pays libres, surtout en Occident, dans les démocraties occidentales. Et nous voulons tout simplement avoir la même chose chez nous. La seule chose qui, en fait, sépare les Iraniens du reste du monde, c’est ce régime. Donc, c’est l’obstacle à franchir. L’évolution doit bien sûr venir de l’intérieur, à travers les Iraniens eux-mêmes, comme pour toutes les nations qui ont dû évoluer et ont dû tenter des mouvements, par exemple de désobéissance civile. On a vu ça en Europe de l’Est, en Afrique du Sud, dans les dictatures d’Amérique latine et dans l’évolution dans ces pays. Je pense que le mouvement ne peut que venir de l’intérieur, mais qu'il doit être soutenu.
RFI : Comme vous l’avez dit, c’est un régime très répressif. Est-ce que la peur ne paralyse pas ces velléités de désobéissance, voire de résistance ?
Reza Pahlavi : Jusqu’à un certain point, mais regardez bien la situation. Malgré la répression, malgré la terreur, il y a quand même des Iraniens, surtout des jeunes Iraniens, qui prennent des risques tous les jours. Il faut bien voir les étudiants, les femmes, les militants, qui sont éparpillés dans les quatre coins du pays, dans différents secteurs de la société, chez les ouvriers, chez les représentants de nos communautés ethniques, partout vous voyez que malgré cette répression, les gens se battent de la meilleure façon qu’ils peuvent. Ils résistent à ce système. Il y a une volonté de faire barrage, mais bien entendu, pour que ça puisse évoluer, il y a besoin de soutien, surtout moral, et au-delà de ça, peut-être même au niveau logistique pour que la communauté chez nous ne se sente pas isolée du reste du monde. C’est l’élément qui manque un peu. Mais je vois que les choses commencent à changer. On regarde maintenant un peu au-delà du système. Il est grand temps pour moi d’ouvrir un dialogue avec la société iranienne puisque jusqu’à présent, soyons franc, en trente ans d’expérience avec ce régime, le dialogue a été franchement limité seulement à ce régime et à ses représentants. N’est-il pas temps d’engager la société iranienne ?
RFI : Le nouveau président américain, Barack Obama, l’a dit, il veut discuter avec l’Iran. Ces derniers jours d’ailleurs, la tonalité du discours entre les deux pays est beaucoup plus nuancée qu’auparavant. Est-ce qu’au fond, vous ne craignez pas que dans une certaine mesure, cela renforce le pouvoir en place en le légitimant ?
Reza Pahlavi : Ce n’est pas une question de légitimité. C’est plutôt une façon de relancer la balle dans le camp adverse. La bonne volonté, peut-être symbolique, qui a été donnée, c’est : « On est prêts à discuter, ça dépend de vous, ça dépend de votre comportement, ça dépend de votre attitude ». Maintenant, la question qui reste déterminante du point de vue occidental, c’est de bien comprendre que la nature de ce régime ne lui permettra pas de pouvoir vraiment dialoguer. Parce que s’ils sont vraiment mis en position, s’ils doivent faire une ouverture, c’est un écroulement à l’intérieur. C’est un régime qui ne peut pas coexister avec le monde dans lequel on vit. Leur survie dépend de l’échec total de ceux qu’ils affrontent. Et donc, il y aura tôt ou tard la conclusion que ce régime ne peut pas s’adapter. Et je vois mal la situation de dénouement évoluer dans les circonstances actuelles.
RFI : Pour vous, il ne fait pas de doute que le régime iranien veut se doter de l’arme nucléaire ?
Reza Pahlavi : Il faut comprendre le pourquoi. Qu’est-ce qui pourrait être, ultimement, l’élément égalisateur qui pourrait les mettre en position de dire : « 'back off' - reculez-vous, on veut s’institutionnaliser dans cette zone » ? Or avec une arme atomique en main, ça permettrait à ce régime de faire le forcing plus facilement. C’est pourquoi l’inquiétude mondiale, sans parler du problème de prolifération régionale, est une véritable anxiété qui prévaut à cause du manque de transparence, d’un manque de sincérité qui existe depuis longtemps, ce qui a provoqué des soupçons dans la communauté internationale et surtout une grande inquiétude chez nous. Parce qu’aujourd’hui, pour la majorité des Iraniens, ce n’est pas une question d’avoir droit à la technologie ou la souveraineté d’une nation. Le problème, c’est la crainte qui existe chez moi et chez beaucoup d’Iraniens qui savent que cet aventurisme irresponsable du régime pourrait bel et bien enclencher des ripostes très fâcheuses contre notre pays.
RFI : Est-ce que vous pensez qu’Israël pourrait se lancer seul dans une intervention militaire contre l’Iran ? Benjamin Netanyahu, qui pourrait être le prochain Premier ministre israélien, a évoqué déjà ce possible recours à la force.
Reza Pahlavi : Ce n’est pas nouveau, on peut comprendre l’inquiétude et l’angoisse des Israéliens, surtout avec toutes les déclarations faites par plusieurs responsables de haut niveau de ce régime. Par contre moi, ce que j’essaie de dire, c’est d’ailleurs l’un des buts de mon livre, c’est d’expliquer à la communauté internationale qu’il y a mieux à faire que de penser uniquement en termes de conflit militaire. Il faut à tout prix éviter un conflit militaire. Je ne pourrais pas l’accepter en tant qu’Iranien, mais au-delà du principe, il y a d’autres formules. La meilleure formule serait ce que j’appelle la troisième voie, c’est-à-dire : investissez-vous pour la démocratisation qui est l’ultime garantie pour tout le monde. C'est dans l’intérêt aussi bien du peuple que de l’Occident d’essayer, justement, d’arriver à une solution de dénouement sans avoir à passer par des formules beaucoup plus fâcheuses, beaucoup plus coûteuses et certainement beaucoup moins légitimes que celle que je propose.
RFI : Merci Reza Pahlavi. Je rappelle le titre de votre ouvrage : Iran, l’heure du choix, publié aux éditions Denoël.
Propos recueillis par Frédéric Rivière
En audio