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Afrique

Ordinateur dans la classe : avec quelle formation ?

par Anne-Laure Marie

Article publié le 17/02/2009 Dernière mise à jour le 17/02/2009 à 17:45 TU

Manque de formation des enseignants, mais aussi parfois manque de motivation de leur part, intérêt des élèves pour des sites internet qui n’ont rien à voir avec leurs études : l’accès à l'ordinateur dans les écoles en Afrique n’est pas sans poser certains problèmes. Problèmes inattendus pour certains, et pourtant incontournables, selon les membres de l’Atelier des Médias qui participent à cette enquête.

 

La classe de seconde du lycée provincial de Dori.(Crédit photo : Yoann Roulin pour l'association Biblio'Brousse)

La classe de seconde du lycée provincial de Dori.
(Crédit photo : Yoann Roulin pour l'association Biblio'Brousse)

« La disponibilité du matériel informatique : c’est la première chose » qu’a remarquée Assane en retournant en vacances chez lui, à Dakar, pour « donner une semaine de formation aux formateurs dans son ancien lycée Seydina Limamou-Laye de Guediawaye. » La deuxième, c’est que si « le lycée dispose de plusieurs salles informatiques, l'accès pour les élèves reste toujours difficile ». Un paradoxe dans des pays où le matériel est rare, et pourtant : « on entend seulement parler de dons d'ordinateurs alors que les bénéficiaires ne savent pas l'utiliser » explique Atsu, jeune Togolais vivant au Sénégal. « Ce qui revient en fait à donner un livre à un illettré.» Autrement dit par François, qui coordonne les programmes de l’International Institute for Communication and Development ( la coopération néerlandaise) pour le Mali et le Burkina Faso  « une des pensées erronées de beaucoup de bailleurs est qu'en fournissant des ordinateurs (souvent de seconde main), on arrivera à solutionner le problème de l'enseignement en Afrique." Virginie Torrens s’occupe des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) pour l’Education au sein du Bureau de l’Unesco à Dakar. Elle confirme le besoin de formation, dans une perspective de long terme si possible.  

Virginie Torrens

Responsable des Tice au Breda

« Il y a vraiment un souci de formation locale. »

12/02/2009 par Anne-Laure Marie


Cette nécessité de mettre l’accent sur la formation, personne ne la nie. Au cours de la première Table Ronde ministérielle africaine sur les TIC pour le développement, l’Education et la Formation à Nairobi en 2007, plusieurs ministres de l’Education cités dans le rapport InfoDev de la Banque Mondiale ont d’ailleurs « décidé que des centaines de milliers d’enseignants doivent être qualifiés en TIC ». L’Agence Universitaire de la Francophonie s’y emploie, mais les besoins dépassent de beaucoup l’offre de formation, selon Didier Oillo, en charge de l’innovation par les TIC dans l’enseignement pour l’AUF.

Didier Oillo

Responsable de l'innovation technologique à l'Agence Universitaire de la Francophonie.

« 2000 personnes formées par an en Afrique subsaharienne, ce n'est rien du tout par rapport aux besoins et à la démographie estudiantine. »

12/02/2009 par Anne-Laure Marie


Se former oui, mais avec quelle contrepartie ?

« S’intéresser à la technologie sans s’intéresser aux hommes est un non-sens ». La formule est séduisante mais quand on s’intéresse aux hommes, on rencontre sur le terrain des réticences très « humaines ». Martin est enseignant chercheur à l’université de Kinshasa et nous parle de ces professeurs aux revenus insuffisants qui vendent leur cours sur polycopiés à leurs élèves et ne voient pas du tout l’intérêt d’être formés aux TIC pour les mettre en ligne à la portée de tous.

Martin

Enseignant chercheur à l'université de Kinshasa (RDC)

« Le syllabus est une pratique courante qui équivaut à une source de revenus. »

12/02/2009 par Anne-Laure Marie


Une pratique que François, de l'IICD, connaît au Burkina Faso sous un autre aspect. A la question de savoir si les enseignants qu’il côtoie dans le cadre de ses projets sont tous motivés par la formation aux TIC, il demande à son tour : « quelle serait leur motivation pour s’investir davantage, alors qu’ils sont déjà sous-payés et qu’ils reçoivent de leur point de vue si peu de soutien de l’Etat pour avancer ? Ils préfèrent alors se faire un peu de pain en donnant des cours particuliers après l’école. » Le manque d’incitation financière pour des enseignants souvent mal considérés n’est d'ailleurs pas le seul obstacle à la sensibilisation des enseigants aux TIC en Afrique. Selon Canon qui nous écrit de Madagascar, « les observations de terrain montrent que mêmes des profs formés "ne s'y mettent pas" car il leur faut être à l'aise ; plus à l'aise que les jeunes qu'ils ont en face d'eux. Les ordinateurs sont sous clef comme jadis les livres étaient derrière les vitres des bibliothèques, car tout contenu autre que son cours apparait à un enseignant comme une menace, un risque de délégitimation de son savoir et de son pouvoir. » Or sur ce point, ici peut-être davantage que dans les pays riches, la fracture générationnelle est palpable.

Jacques Wallet

Coordinateur du Réseau Africain d'Enseignement à Distance

« Il y a une vraie fracture numérique entre les adolescents et les adultes. »

30/01/2009 par Anne-Laure Marie


(Crédit photo : Sylvestre Ouedraogo/ yam-pukri.org)

(Crédit photo : Sylvestre Ouedraogo/ yam-pukri.org)

Mais quand les professeurs « se mettent au courant de ce que sont les pratiques de leurs élèves », ils n’en sont parfois que plus décidés à fermer les salles informatiques à clef...

Les sites de stars plutôt que les sites d'enseignement

Plus à l’aise que leurs aînés avec l’outil informatique, les jeunes d’Afrique francophone en profitent-ils pour enrichir leurs connaissance ? Oui, mais selon Maiga, sur dix élèves qui viennent au télé centre « trois viennent pour des recherches, pour des exposés ou d’autres choses, sinon les sept autres viennent uniquement pour des recherches soit sur un rappeur ou sur un acteur des feuilletons qui passent en ce moment à la télé malienne. ». Et cet attrait pour la musique et les célébrités est la même au Togo puisque selon Ajavon « la majorité (des jeunes) s'intéresse à la musique, aux célébrités du show business (stars de musique, de sport, de cinéma...). Une fine minorité s'intéresse à la recherche estudiantine, scientifique pour combler leurs travaux de recherches scolaires. » Quand il ne s’agit pas de surfer sur des « sites x et d'autres de déviance » contre lesquels Ndoumbé suggère la mise en place « d’un système de protection » au Cameroun où il habite. Car au final, les parents des élèves eux aussi estiment que « l'informatique est source de dérive. Ils pensent que c'est uniquement un outil d’amusement. Ils auraient aussi raison en partie. »

Ordinateur : objet de pouvoir réel, ou supposé

Connexion aux sites de rencontres, chat, échange de courriels : « la demande des élèves est énorme en matière de création de liens interpersonnels » selon Amandine, la responsable de l’association Biblio’ Brousse qui sillonne le Burkina Faso pour former élèves et enseignants aux TIC. Or ce sont ces pratiques qui conduisent « les responsables à restreindre l’accès à internet. Il faut changer la mentalité des élèves » plaide Assane. Mais qui peut le faire ? « Ces vieux moribonds du paléolithique qui s’en tiennent à leurs vieilleries » ainsi qu’Ajavon décrit les enseignants dans son message ? Et d’ailleurs, les enseignants âgés sont-ils effectivement les plus réfractaires à l’innovation par les TICE ? « Très loin de là » lui répond Amandine car, dit-elle, les « vieux professeurs ont l'amour de leur métier (ce pourquoi ils sont toujours là) qui les pousse à toujours aller vers plus de connaissances pour améliorer leurs cours, tandis que beaucoup de jeunes professeurs enseignent par dépit et ont une certaine aigreur par rapport à leur situation qui les pousse à s'opposer à toute forme de progression collective. Ce type de professeurs met beaucoup d'énergie pour que les élèves ne puissent pas accéder aux ordinateurs au sein des lycées. » Et de préciser que la seule condition à l’ouverture d’une salle informatique, une fois tout le monde formé par son association, c’est que les élèves puissent y accéder. « Dans certains lycées, les professeurs ont refusé. La salle n'a pas été installée. » Car, poursuit Amandine, « l'ordinateur dans le lycée au Burkina (mais je suppose dans d'autres endroits également) est devenu, par sa rareté et l'intérêt qu'il suscite, un fort outil de pouvoir, à un niveau que l'on a du mal à imaginer, notamment dans les relations entre professeurs et élèves, membres de l'administration et professeurs.» « Raison de plus pour inscrire la machine au cœur de projets pédagogiques », conclut-elle.

Avec des contenus adaptés au public de chaque pays. Lesquels ? Le tableau blanc interactif (TBI) avec une réserve de contenus accessibles sans l’internet est-il une voie intéressante ? Ce sera le prochain article issu de la discussion en cours sur le site de l’Atelier des Médias : Afrique : y-a-t-il un ordinateur dans la classe ?

Merci à l'association Biblio'Brousse et à l'association Yam Pukri d'avoir mis leurs photos à notre disposition.