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"Ramata" ou comment organiser une coproduction panafricaine

Article publié le 25/02/2009 Dernière mise à jour le 02/03/2009 à 13:08 TU

Ramata, présenté en compétition pour les longs métrages fiction au Fespaco, est un film à l'image de ce que peut être une co-production panafricaine. Son producteur Moctar Ndiouga Bâ et le réalisateur Léandre-Alain Baker ont accordé cet entretien à RFI, à l'occasion du Festival international du cinéma à Cannes, en mai 2008.

Moctar Ndiouga Bâ, initialement ingénieur du son, dirige la société de production Médiatik communication depuis sa création en 1994 à Dakar. Il a oeuvré à la production d'une soixantaine de films et de documentaires, à différents titres.

RFI: Les films africains dans les festivals internationaux de cinéma sont moins présents aujourd'hui qu'à une certaine époque. Pourquoi ?

Moctar Ndiouga Bâ: . A un moment donné, nous avons laissé la situation se dégrader. Il y a eu des mutations, du marché, de nouvelles données sont apparues. On les a vues venir et on n’a pas réagi suffisamment vite. Donc aujourd’hui, on est bien obligés de constater que nous sommes dans un monde qui est devenu de plus en plus concurrentiel avec un peu partout des cinématographies qui font de très gros progrès, qui se développent. Des stratégies, en termes de production se sont mises en place. Elles se sont adaptées au marché et aux nouvelles réalités. Nous n’avons pas été assez réactifs pour nous positionner vis-à-vis de cette concurrence, de cette mondialisation qui touche aussi le cinéma.

RFI: L’absence du cinéma africain, des cinéastes africains, cette année particulièrement, au festival de Cannes est-il alors un problème qui vient du cinéma africain lui-même, un problème de production ?

MNB: Il faut avoir le courage de ne pas toujours dire que c’est la «faute aux autres». Je pense, qu’avant tout, nous sommes quand même responsables de cette situation-là. Quand je dis nous, je parle de nous les producteurs, mais également des réalisateurs, dans la manière de développer les projets, dans l’ambition que nous nous donnons. Avons-nous envie de nous adresser aux autres, et si oui, comment pouvons-nous leur parler pour qu’ils entendent ? Telles sont les questions que nous devons également nous poser.

Tournage en Afrique du Sud.© Stepping Stone Pictures

Tournage en Afrique du Sud.
© Stepping Stone Pictures

Toutes ces questions sont fondamentales et renvoient à des réflexions de fond. Nous sommes très peu aidés au niveau même de nos pays et de notre cinématographie. Cela nous handicape dans notre rapport aux autres, parce que le cinéma se conçoit en termes d’échange, de coproduction.

Quand on parle de coproduction, cela signifie que chacun apporte quelque chose et que très souvent la balance n’est pas équilibrée; il n’y a même pas un début d’équilibre. On intéresse donc peu des partenaires qui, eux, à un moment donné, se retrouvent sur des marchés où ils peuvent être efficaces, où ils peuvent faire du lobbying. Nous avons du mal à défendre nos projets parce que la situation est un peu «plombée». Nous avons du mal à rentrer dans le système de production, de diffusion, de promotion professionnelle dans un espace comme le festival de Cannes; cela nécessite un savoir-faire, un portefeuille relationnel,  plein de choses au-delà même de l’argent. Et la coproduction, justement, est intéressante quand nous nous parvenons à intéresser des gens qui sont dans ces réseaux-là.

RFI: Et pourtant, c’est bien pour cette raison que vous êtes au festival de Cannes cette année (2008) ?

MNB: Oui, je ne suis pas le seul. Il y a un certain nombre de réalisateurs, de producteurs qui sont là un peu dans la même perspective, ce que je trouve bien. Nous sommes  un peu tous conscients qu’il faut revoir notre stratégie. Celle-ci passe par la mise en œuvre de coproductions intelligentes.

RFI: Coproductions intelligentes avec l’étranger, mais aussi coproductions panafricaines. Vous avez notamment produit plusieurs films de cinéastes qui n’étaient pas sénégalais. Vous venez d’ailleurs, cette année à Cannes, avec Ramata qui est l'oeuvre d’un cinéaste sénégalais. Donc, cette coproduction s’entend aussi au niveau panafricain ?

Tournage de <em>Paris à tout prix</em> de Joséphine Ndagnou.© Union européenne

Tournage de Paris à tout prix de Joséphine Ndagnou.
© Union européenne

MNB: Je pense qu’elle commence par là. Je crois qu’il y a d’abord à organiser le côté sud-sud. Nous avons des micromarchés, il faut les mettre les uns à côté des autres pour qu’ils représentent quelque chose. Nos États ne sont pas forcément riches, mais s’ils sont plusieurs à mettre la main à la poche, au bout du compte, on peut avoir de vrais moyens. Peut-être que nos États n’ont pas les moyens de financer les productions en termes d’investissements lourds. Mais, avec de la bonne volonté, ils ont les moyens d’aider au développement. Or, c’est peut-être là où tout se joue: le développement, c'est-à-dire l’écriture, la manière de présenter les projets de sorte qu’à un moment donné le film devienne un produit qui peut intéresser les autres [...]

Je suis au festival Cannes cette année avec Léandre-Alain Baker, qui est le réalisateur de Ramata, une adaptation d’un roman d’un auteur sénégalais, Abbas Ndione, paru chez Gallimard, pour lequel nous avons acquis les droits d’adaptation cinématographique. Le film a été développé pendant trois ans à peu près et on a, à un moment donné, pris le parti de plonger, de tourner. Le film est tourné, mais il n’est pas financé. En tout cas, pas entièrement. Le but de notre présence ici est donc d’essayer de trouver des partenariats, des compléments de financements, afin de pouvoir terminer le film !

Est-ce que vous pensez que vous avez une chance à Cannes, de rencontrer plus de gens que vous ne pourriez en voir dans d’autres festivals ?

MNB: Indiscutablement. C’est le lieu où il y a quand même des opportunités, parce que l’offre est très diversifiée. Mais il faut aussi y travailler en amont, identifier les gens. Voir ceux qui recherchent ce que vous avez à vendre et vice-versa. Faire des échanges de bons procédés, car il y a des choses qu’on sait faire et qu’on peut mettre dans la balance. Mais c’est vraiment le lieu, où on peut assez vite, je ne dis pas, finaliser des choses, mais enclencher celles qui, ensuite, se poursuivront à Paris,  Londres ou  Munich, que sais-je...

Léandre-Alain Baker, 49 ans, est né en Centrafrique et est de nationalité congolaise (Brazzaville).Écrivain, comédien, metteur en scène de théâtre, il est l'auteur de courts métrages et de documentaires.

RFI: Léandre-Alain Baker, vous êtes le réalisateur de Ramata, un film dans lequel Katoucha apparait dans son dernier rôle.  Pourquoi aviez-vous choisi de prendre des acteurs très différents comme Katoucha, Viktor Lazlo, Ismaël Cissé ?

Léandre-Alain Baker: Si on prend le cas du Sénégal et du Congo, on n’a pas de marché. Pour atteindre le plus grand nombre, ce qui était intéressant, c’était d’avoir une distribution internationale. Sinon avec nos petits moyens, qu’est-ce qu’on a fait ? On a pris Katoucha qui est guinéenne, Viktor Lazlo qui est franco-belgo-antillaise, et puis d’autres acteurs au Sénégal. Moi, je suis congolais, Moctar est sénégalais, l’auteur du roman est sénégalais. Donc, il y avait cette espèce de panafricanisme pour atteindre le plus grand nombre. Le problème du cinéma africain réside dans le fait qu’on travaille sur des marchés très restreints. Il est très intéressant qu’un pays comme le Sénégal, où on produit quand même beaucoup plus qu’au Congo, travaille aussi avec des Congolais, des Gabonais, des Maliens. C’était ça l’idée, mais c’est Moctar qui a initié ce projet.

RFI: Pouvez-vous  nous parler un petit peu de l’histoire de cette Ramata ?

LAB: Ramata, c’est une histoire fabuleuse. Quand j’ai lu le roman, je me disais: «ça, c’est un film à faire. Mais on n’a pas les moyens de faire un tel film». Donc, il fallait une adaptation, mais en s’affranchissant beaucoup du roman, parce que c’est un pavé de 500 pages, en se concentrant sur le personnage de cette femme, Ramata. Son destin est extraordinaire: à 20 ans, elle rencontre un homme qu’elle finit par épouser, et qui devient l’amour de sa vie. Cet homme est procureur, puis ministre de la Justice. Ils sont riches, ils habitent dans des villas incroyables. À 50 ans, elle rencontre un jeune homme, qui est de 25 ans son cadet. À partir de là, tout bascule. Sa vie bascule.

Katoucha, dans <em>Ramata</em>.

Katoucha, dans Ramata.

RFI: Je comprends pourquoi il vous fallait Katoucha dans ce rôle-là pour que ce soit crédible. Une femme de 50 ans avec un jeune de 25 ans...

LAB: Ce qui est intéressant c’est que Katoucha avait quelque chose. Je n’aimerais pas trop parler d’elle au passé. Elle a quelque chose de fascinant dans le regard. Elle a ce côté fauve, et c’était une femme un peu atypique. Dans le roman déjà, il s’agit d’une femme atypique, Ramata. Nul ne sait d’où elle vient. Elle a un côté femme-sirène, femme-terrienne, femme-aérienne. Même si on a rencontré d’autres actrices, Katoucha était la seule qui, à mon avis et de l’avis de Moctar, était crédible pour ce rôle. Mais elle n’était pas actrice, et c’était là le seul point discutable. De toute façon, elle hésitait énormément. Elle disait: «Ma sœur est comédienne, pourquoi vous me choisissez, et puis moi, le cinéma africain, ça ne m’intéresse pas trop». […] Elle a mis un an pour finir par accepter de faire le film. Et pendant un an, on a travaillé plusieurs versions du scénario et, chaque fois, elle était en concertation avec nous pour travailler son personnage aussi.

                                   Propos recueillis par Catherine Ruelle/RFI

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