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CPI/Soudan

Omar el-Béchir, chef d’Etat protégé par le droit

par Stéphanie Maupas

Article publié le 06/03/2009 Dernière mise à jour le 07/03/2009 à 23:19 TU

Après avoir émis un mandat d’arrêt le 4 mars 2009 contre le président du Soudan, Omar el-Béchir, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis au Darfour, les juges devront désormais le faire exécuter. Mais il apparaît quasi-impossible de voir, demain, le chef d’Etat rejoindre le box des accusés de la Cour pénale internationale.
Le président soudanais Omar el-Béchir lors d'une rencontre avec des représentants parlementaires iraniens et arabes, dans son domicile, à Karthoum, le 6 mars 2009.(Photo : Reuters)

Le président soudanais Omar el-Béchir lors d'une rencontre avec des représentants parlementaires iraniens et arabes, dans son domicile, à Karthoum, le 6 mars 2009.
(Photo : Reuters)

Il faudra attendre sans doute encore longtemps avant de voir Omar el-Béchir franchir, menotté, les portes de la prison des criminels de guerre de Scheveningen, en banlieue de La Haye, aux Pays-Bas. Sa reddition volontaire est évidemment exclue et « un kidnapping serait illégal », explique Solomon Moriba, l’un des porte-parole du tribunal spécial pour la Sierra Léone, qui juge depuis plus d’un an, l’ancien président du Libéria, Charles Taylor.

A Khartoum, suite à l’émission du mandat d’arrêt, les groupes rebelles au Darfour ont demandé au président de démissionner et de se rendre volontairement à La Haye. Improbable scénario. Etablie sur des bases éminemment politiques, la Cour pénale internationale (CPI), qui est le résultat de négociations diplomatiques qui se sont étalées sur près de dix ans, dispose d’une marge de manœuvre extrêmement restreinte voire quasiment nulle pour faire exécuter le mandat. Le code de procédure pénale de la Cour « recèle une multitude de pièges pour les juges, qui sont autant de garde-fous pour les diplomates », rappelle un juriste.

Comme les autres tribunaux internationaux, la CPI ne dispose d’aucune force de police. Elle ne peut donc compter que sur la coopération des Etats pour arrêter Omar el-Béchir. Mais contrairement aux juridictions saisies des crimes du Rwanda ou de l’ex-Yougoslavie, elle n’est pas établie par l’Onu et seuls 109 Etats - ceux qui à ce jour ont ratifié son Statut - sont tenus par cette obligation de coopération. Même pour ces derniers, de la théorie aux faits, la marge est grande. Si de nombreux Etats sont prêts à voir comparaître le président soudanais à La Haye, peu souhaiteraient être les auteurs d’une telle arrestation. Et dans le cas du chef de l’Etat soudanais, l’obligation de coopérer des Etats membres de la Cour, est déjà l’objet d’interprétations divergentes.

Au cours des dernières semaines, les Etats parties au traité de la Cour se sont penchés sur cette question. « A quelques semaines de l’annonce d’un mandat d’arrêt, les Etats, principalement européens, se sont inquiétés de savoir comment ils pourraient contourner une demande d’arrestation si Omar el-Béchir venait à fouler leur sol ». En fait, la réponse est rappelée dans le texte de la résolution par laquelle le Conseil de sécurité de l’Onu avait décidé, le 31 mars 2005, de saisir la Cour, des crimes commis au Darfour. Tout en saisissant cette juridiction indépendante de l’Onu, les diplomates de New York rappelaient l’existence de l’article 98, alinéa 2. L’un de ces pièges placés par les diplomates lors de la rédaction du Statut.

Les Américains, qui s’inquiètent des prérogatives de la Cour, avaient obtenu l’introduction de cette disposition à l’arraché. Elle précise que les Etats ne peuvent agir en contradiction avec leurs obligations internationales - traités et conventions – « sans le consentement de l’Etat d’envoi ». Une seconde échappatoire est encore à la disposition du chef de l’Etat soudanais, si toutefois la communauté internationale consentait à l’utiliser : l’article 16. Il permet au Conseil de sécurité de l’Onu de suspendre, pendant un an renouvelable, toute poursuite présentant un danger pour la paix et la sécurité.

Peu après l’émission du mandat d’arrêt par la Cour, l’Union africaine, qui s’oppose à des poursuites contre un chef d’Etat africain par toute autre juridiction que nationale ou continentale, a annoncé qu’elle engagerait de nouveau des débats en ce sens à New York. A l’automne 2008, seuls les Américains avaient fermement bataillé pour empêcher une suspension des poursuites. La France et le Royaume Uni avaient longuement hésité.

Mercredi, les trois juges n’ont pas annoncé leur décision en audience. La Cour a choisi de laisser la greffière annoncer l’émission du mandat d’arrêt, lors d’une conférence de presse à laquelle étaient conviés des diplomates. Symbole d’une dépendance de fait de la Cour pénale internationale, dont elle ne semble toujours pas prête à s’affranchir.