par Piotr Moszynski
Article publié le 13/03/2009 Dernière mise à jour le 27/03/2009 à 18:18 TU
Un des premiers visés : la Suisse. Elle subit déjà d’énormes pressions américaines pour lever le secret bancaire, et maintenant c’est l’Union européenne, l’OCDE et le G20 qui redoublent d’efforts dans le même sens. Mais, curieusement, ce sont justement les crises, les drames et les pressions extérieures qui sont à l’origine du « devoir de discrétion » et de ses renforcements successifs qui ont mené au secret bancaire dans sa forme actuelle, tellement contestée.
Les rois et les banquiers
On peut dire que ce sont les rois de France qui ont le plus contribué à l’élaboration du principe de la non-divulgation des informations sur les avoirs des clients par les banquiers suisses. En révoquant l’édit de Nantes en 1685, Louis XIV a fait fuir de nombreux protestants. Une partie s’est installée à Genève. Ils ne se sont pas montrés rancuniers, mais réalistes. C’est de là-bas qu’ils continuaient à financer la monarchie française malgré les persécutions qu’elle leur avait infligées. En effet, à l’époque, il était difficile d’imaginer un meilleur client que le roi. Il avait à la fois de grands besoins d’emprunter et une grande capacité d’honorer ses dettes.
Toutefois, le roi avait un talon d’Achille : il était impensable que l’on dise ouvertement qu’il empruntait de l’argent à des hérétiques protestants. C’est de ce besoin impérieux de couvrir le client royal qu’est née l’idée de la discrétion des banquiers quant aux avoirs et à l’identité de leurs clients en général. Le Grand Conseil Genevois décide formellement en 1713 que les banquiers doivent « tenir un registre de leur clientèle et de leurs opérations, mais il leur est interdit de divulguer ces informations à quiconque autre que le client concerné, sauf accord exprès du Conseil de la Ville ».
Asile financier
La Révolution française et le XIXe siècle tourmenté ont créé les conditions particulièrement propices au développement du secret bancaire. Par exemple, les nobles fuyant la Révolution trouvaient en Suisse non seulement un asile politique, mais aussi un refuge financier.
Bien sûr, les banquiers se sont très vite aperçus que la pratique assidue du « devoir de discrétion » était, certes, dans l’intérêt de leurs clients, mais aussi dans le leur. En effet, cette pratique attirait beaucoup de capitaux et leur apportait beaucoup d’argent. Pendant longtemps, la législation en la matière n’avait donc pas besoin d’être trop contraignante : tout le monde était content et le mécanisme se perpétuait de lui-même. Il a suffi d’établir un cadre juridique cohérent s’appuyant sur la jurisprudence et sur les dispositions du code civil.
Ce n’est que face aux cataclysmes du 20ème siècle que le système vieux de plus de cent ans s’est avéré insuffisant. Le krach de 1929, la récession qui a suivi, la montée du fascisme et de la gauche radicale en Europe – tous ces facteurs ont finalement amené la Suisse à véritablement « bétonner » son secret bancaire et le protéger non plus seulement par le code civil, mais aussi par les sanctions pénales contre les banquiers qui oseraient le lever. Les causes directes de ce renforcement du secret bancaire étaient les pressions très fortes exercées par l’Allemagne et la France qui voulaient qu’il soit levé.
Peine de mort pour un compte
Confrontée à une grave crise financière en 1931, l’Allemagne instaure un sévère contrôle des changes. Ses services fiscaux et douaniers n’hésitent pas à mener des opérations d’espionnage à grande échelle en Suisse pour découvrir les citoyens allemands qui y placent leurs capitaux. Au début de 1933, le gouvernement suisse réagit en établissant les sanctions pénales pour les violations du secret bancaire. Juste à temps, car l’arrivée de Hitler au pouvoir rend la situation vraiment dramatique. En effet, le gouvernement nazi instaure la peine de mort pour ceux qui omettent de déclarer des avoirs à l’étranger.
En 1934, trois propriétaires allemands de comptes en Suisse sont exécutés. Pour les découvrir, la Gestapo employait des méthodes simples et efficaces. Par exemple, un SS en civil entrait dans une banque suisse et présentait au caissier une somme d'argent à déposer sur le compte de quelqu’un, dont la Gestapo soupçonnait qu'il avait un compte en Suisse. Si le banquier acceptait de faire le dépôt, la preuve de l'existence d'un compte était faite. Il suffisait ensuite à la Gestapo, en Allemagne, d'exercer des pressions sur le client présumé de la banque pour obtenir de lui des instructions à la banque suisse demandant le rapatriement des fonds. Seuls les détenteurs des comptes à numéros étaient mieux protégés, car ni les caissiers, ni les employés de banques ne connaissaient l'identité de leurs titulaires.
La France s’en mêle
Egalement au début des années 1930, une énorme affaire éclate en France. Dans le contexte de la crise financière internationale et du programme d’austérité préparé par le gouvernement radical soutenu par les socialistes, la police découvre la liste de deux mille clients français ayant discrètement déposé leurs avoirs en Suisse. Il y a, parmi eux, plusieurs sénateurs, un ancien ministre, des évêques, des généraux, des industriels… La gauche crie au scandale et réclame un inventaire de tout le patrimoine des contribuables français pour rendre impossible toute évasion et fraude fiscale. Le gouvernement veut négocier avec la Suisse un droit de regard dans les comptes des citoyens français.
Mais la réaction suisse, c’est le renforcement du secret bancaire en 1933 et 1934. En effet, l’ingérence de plus en plus évidente de l’Etat dans le domaine privé – visible aussi bien en France qu’en Allemagne, bien qu’exercée de manières différentes – paraissait insupportable aux Suisses et heurtait de front leurs convictions libérales, tout en menaçant leurs intérêts économiques.
A la différence de celle des années 1930, la crise actuelle semble commencer à véritablement ébranler le système du secret bancaire en Suisse. De façon durable ? L’histoire le montrera.