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Thaïlande

Chemises et politique

par Georges Abou

Article publié le 10/04/2009 Dernière mise à jour le 11/04/2009 à 06:45 TU

La Thaïlande connaît un nouvel épisode de tension politique alors que s'ouvrait (pour vite s'interrompre) le sommet de l’Asean (Association des nations du Sud-Est-asiatique). Les « chemises rouges », proches de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra réfugié à l’étranger, poursuivent à Pattaya leur mouvement de protestation anti-gouvernemental entamé fin décembre à Bangkok. Les opposants exigent la démission du nouveau Premier ministre Abhisit Vejjajiva. Leur action s’inscrit dans un face à face qui, depuis deux ans, transporte systématiquement le débat politique dans la rue pour un bras de fer, souvent musclé, dans lequel pouvoir et opposition s’affrontent par l’intermédiaire des « chemises jaunes » et des « chemises rouges ».

Les « chemises rouges » réclament le départ du Premier ministre Abhisit Vejjajiva et la tenue d'élections anticipées.(Photo : Reuters)

Les « chemises rouges » réclament le départ du Premier ministre Abhisit Vejjajiva et la tenue d'élections anticipées.
(Photo : Reuters)

Sous le regard de l’ASEAN, les autorités thaïlandaises tentent, depuis quelques jours, de hausser le ton. Les déclarations de mise en garde à l’adresse de l’opposition se succèdent au moment où le mouvement de protestation menace de perturber le sommet. C’est la limite fixée aux « chemises rouges », dont la couleur symbolise le soutien au parti de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra. En toute logique tactique, l’enthousiasme revendicatif des manifestants a débordé la capitale pour investir le siège de la réunion, à Pattaya. Mais la fermeté des déclarations, promettant de punir les responsables des incidents, dissimule mal la fragilité qui continue de caractériser le pouvoir en Thaïlande, 16 mois après les élections législatives et le retour à une administration civile. Depuis 16 mois, l’essentiel de la politique thaïlandaise se discute dans la rue à coups d’arguments frappants et de couleurs de chemises.

Depuis ces élections, trois Premiers ministres se sont succédés à la tête de l’administration, témoignant de l’instabilité chronique du pouvoir et de l’influence directe de la rue sur la conduite des affaires. Depuis le départ des militaires en 2007, le pays est confronté à la difficulté de former une équipe incontestable qui, à la fois, respecterait le choix des électeurs et les critères de bonne gouvernance et d’intégrité. En effet, les élections de décembre 2007 ont porté à l’Assemblée une majorité favorable à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, réfugié à l’étranger pour échapper à une peine de prison pour « corruption ».

Les institutions affaiblies

En toute logique, après ces élections, les deux premiers chefs du gouvernement furent donc des proches de Thaksin Shinawatra. La carrière du premier, Samak Sundaravej, prend fin en septembre 2008,  sous la pression des « chemises jaunes » (la couleur symbole du palais royal thaïlandais) qui lancent au mois de mai un vaste mouvement de protestation pour barrer la route à un projet de réforme de la Constitution. Le second, Somchai Wongsawat, prend ses fonctions dans la foulée. C’est le beau-frère de Thaksin Shinawatra. Les « chemises jaunes » réinvestissent la rue. Les protestations vont crescendo. Le Parlement est assiégé, ainsi que l’aéroport international de Bangkok. Des centaines de milliers de touristes sont bloqués, l’activité est sinistrée. Au terme de 192 jours de protestations, le pouvoir cède : le parti pro-Thaksin, le Parti du pouvoir du peuple (PPP) est dissous et le Premier ministre est écarté de la vie politique. Abhisit Vejjajiva lui succède à la faveur d’un retournement d’alliance parlementaire, au grand dam des « chemises rouges » qui dénoncent une trahison.

Pour les supporters de l’ancien Premier ministre Shinawatra, Abhisit Vejjajiva est une créature de l’armée et du palais royal. Le mouvement de protestation redémarre dès le 28 décembre. Outre le pouvoir politique, il vise également le cabinet royal dont l’un des membres est accusé d’avoir orchestré le coup d’Etat militaire qui a entraîné la chute de Thaksin Shinawatra, en 2006. Ces différents mouvements, et l’incapacité du pouvoir à y mettre bon ordre en reprenant l’initiative du débat politique, traduisent un affaiblissement et une dérive des institutions, ballotées au gré des démonstrations de force des porteurs de chemises.