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Thaïlande

Le pouvoir poursuit Thaksin, les «chemises rouges» se replient

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 14/04/2009 Dernière mise à jour le 14/04/2009 à 14:31 TU

Partisane de Thaksin Shinawatra, le Premier ministre thaï évincé, une femme en pleurs quitte la manifestation à Bangkok, le 14 avril 2009.(Photo : Reuters)

Partisane de Thaksin Shinawatra, le Premier ministre thaï évincé, une femme en pleurs quitte la manifestation à Bangkok, le 14 avril 2009.
(Photo : Reuters)

Au lendemain des émeutes de Bangkok, des milliers de manifestants opposés au gouvernement, cernés par l'armée se sont dispersés sur ordre de leurs dirigeants. Après trois semaines d’un siège bruyant mais pacifique, les « chemises rouges » ont aussi décidé de lever le siège du palais du gouvernement « pour éviter que l'armée nous tue », a expliqué à RFI, une manifestante jointe par téléphone à Bangkok. Pour autant, les « chemises rouges » ne rendent pas les armes. Leurs militants disent vouloir poursuivre le combat. Car ils se considèrent victimes d'un gouvernement illégitime dirigé par un Premier ministre « marionnette ». C’est ce gouvernement qui a décidé, ce mardi, de lancer des mandats d’arrêts contre treize personnes dont Thaksin Shinawatra, l’ancien Premier ministre renversé en 2006.

« Pour apaiser les esprits, le règlement de la crise ne doit pas passer par un règlement de compte ».  A Bangkok, de nombreux analystes redoutaient ce mardi une chasse aux coupables. En s'attaquant directement à Thaksin Shinawatra, l'ancien Premier ministre renversé le 19 septembre 2006, le gouvernement a pourtant lancé sa contre-offensive pour décapiter symboliquement le mouvement de contestation.

Un mandat d’arrêt symbolique

Car depuis 2 ans et demi Thaksin vit en exil. Interdit de séjour à Londres, il passe son temps entre Pékin, Hong-Kong et Singapour. Ce mandat d'arrêt n'a donc aucune chance d'aboutir. En revanche, les douze autres personnes poursuivies seront jugées pour « rassemblement illégal de plus de dix personnes, menace de violence et atteinte à la paix civile ».

Loin de calmer les « chemises rouges », cette riposte judiciaire du pouvoir risque de rallumer la flamme rebelle des opposants qui ont juré de poursuivre le combat afin d’abattre Abhisit Vejjajiva et instaurer une « véritable démocratie ».

« C’est une pause, pas la fin du combat » !

Comme de nombreuses « chemises rouges », cette militante qui se fait appeler « Nit », a levé le camp ce mardi matin près du palais du gouvernement. Trois semaines de siège et beaucoup de tension. « Le chef des rouges a décidé d’évacuer les lieux car nous ne voulons pas de morts supplémentaires ». Cette manifestante accuse volontiers l’armée et ses supplétifs d’avoir tué « au moins trente personnes » pendant ces émeutes. Elle les accuse aussi de cacher les corps.

Dans le camp des « rouges », ces rumeurs de « massacres » circulent depuis lundi matin 13 avril et les combats de rue très violents qui se sont déroulés dans le quartier de Din Daeng, dans le nord-est de Bangkok. Nit précise « qu’elle n’a rien vu », mais assure que l’armée et le parti du Premier ministre sont « très cruels ». Pour le moment, aucun témoignage crédible ne permet d’accréditer cette thèse. Ce genre de commentaires alimente toutefois la rancune contre un gouvernement jugé illégitime, corrompu et partisan.

A les entendre grommeler dans les bus affrétés spécialement par la police pour évacuer le palais du gouvernement, les opposants n'ont donc pas l'intention de baisser les bras. Certes, ils sont parfois déçus d'avoir abandonné le dernier bastion de la lutte, mais tous ont promis de continuer le mouvement. Si le gouvernement a décidé de s’attaquer aux têtes pensantes, il a offert l'impunité aux manifestants qui n'ont pas participé aux violences. Chez les « rouges », on compte bien utiliser ce moment pour reprendre des forces.

L’objectif n’a pas changé : ces militants veulent la démission du Premier ministre Abhisit Vejjajiva et le retour aux affaires de leur bien aimé Thaksin Shinawatra, renversé par un coup d'Etat militaire le 19 septembre 2006. Autant dire que, si le calme est revenu dans les rues de Bangkok, la crise politique thaïlandaise est loin d'être terminée. Et les deux jours de vacances décrétés ce mardi par le gouvernement n’y changeront rien !

Le chef du gouvernement va désormais devoir démontrer qu'il est véritablement aux commandes. Qu’il est capable d'ouvrir un dialogue avec l’opposition vêtue de rouge. « Aujourd’hui, c’est mission impossible », expliquent certains analystes, alors que Thaksin est poursuivi par la justice de son pays pour « atteinte à la paix civile ».

Abhisit Vejjajiva le sait, il n'y a pas d'autre voie pour la réconciliation nationale. Pas d'autre solution, non plus, pour renforcer sa légitimité.

Une société qui reste divisée

En deux ans et demi, le royaume de Thaïlande a vécu un coup d’Etat militaire et a connu trois Premiers ministres. Cependant, les changements politiques opérés, sur le fond comme sur la forme, n’ont pas permis d’atténuer l’extrême polarisation de la société, toujours divisée entre les « pro » et les « anti » Thaksin. Ces dernières années, les élites politiques et militaires ont eu tendance à confisquer le pouvoir, passant outre le verdict des urnes. « Il n’y a pas de justice. Les jaunes, les rouges, les bleus : aujourd’hui et on ne peut pas vivre ensemble », constate Nit. Les militants habillés de rouge ont peut-être momentanément enlevé leurs chemises, mais ils n'ont pas encore retourné leurs vestes.

Sophie Boisseau du Rocher

Chercheuse à Sciences Po

« Le gouvernement ne devait pas laisser s'installer le doute sur ses intentions. Il a donc montré qu'il avait la situation en main. C'était, à court terme, le plus important. »

14/04/2009

Récit des dernières heures

Avec notre correspondant à Bangkok, Arnaud Dubus             

Les leaders qui étaient sur le lieu même du dernier bastion, donc autour du siège du gouvernement, se sont livrés à la police. C’est une manière de parler, car ils étaient entourés par des centaines de soldats ; ils n'avaient donc pas trop le choix.

Certains leaders avaient déjà été arrêtés après les manifestations à Pattaya, qui avaient conduit à l’annulation du Sommet élargi de l’Asean et le gouvernement a annoncé que des poursuites judiciaires seraient prises à l’encontre de quiconque - du côté des « chemises rouges » ou du côté des civils de Bangkok – avait enfreint les lois et l’ordre public.

Il y a eu beaucoup de destruction d’équipements publics, de cabines téléphoniques, des bus incendiés et même des banques qui ont été cambriolées. On dénombre surtout la mort de deux civils qui tentaient de protéger un marché contre « les chemises rouges ». Evènement auquel le Premier ministre a réagi vivement en faisant passer clairement le message que la loi sera appliquée sévèrement.         

Quelques heures après la levée des barrages, on assiste à une normalisation. Les transports ferroviaires ont repris et la circulation est maintenant à peu près normale. Les grands magasins ont réouverts effectivement, il faut rappeler que c’est le Nouvel an thaï qui a commencé en fait, hier, mardi.

Les gens ont commencé à le célébrer en s’aspergeant mutuellement d’eau, comme c’est la tradition. Mais à vrai dire, l’ambiance est quand même un peu gâchée, et ce Nouvel an thaï restera une date noire dans l’histoire politique de la Thaïlande.