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Portraits de la société sud-africaine

Les De Jager, fermiers blancs du Limpopo.

par Sarah Tisseyre

Article publié le 14/04/2009 Dernière mise à jour le 21/04/2009 à 09:17 TU

Theo De Jager et ses filles.(Photo : S.Tisseyre/RFI)

Theo De Jager et ses filles.
(Photo : S.Tisseyre/RFI)

Rencontre avec la famille de Théo De Jager, un fermier installé dans le Limpopo, région agricole du nord du pays, frontalière du Zimbabwe.
Theo De Jager devant la ferme, aujourd'hui en ruines, de son ancien associé.(Photo : S.Tisseyre/RFI)

Theo De Jager devant la ferme, aujourd'hui en ruines, de son ancien associé.
(Photo : S.Tisseyre/RFI)

 
« Ici c'était la cuisine… Le four était là… Les placards, là-bas... Tout a été cassé et volé », explique Theo De Jager. Il promène sa carrure de rugbyman et son crâne chauve dans les ruines d'une ferme du Limpopo... C’était celle de son ancien associé. Plus de fenêtres, plus de portes, plus de tôles sur le toit. Ici, des restes de citrouille, là des chaussures, un camion rouillé, et la brousse qui a tout envahi.

« Le fermier qui vivait ici avait beaucoup de succès », précise Theo De Jager, « il exportait des mangues et des avocats dans le monde entier. Mais vous voyez, il ne reste plus rien ! ». Comme ce fermier, Theo De Jager a vendu son exploitation il y a 3 ans dans le cadre de la réforme agraire, à une communauté noire qui réclamait la restitution de ces terres confisquées à partir de 1913 par le pouvoir blanc. Directeur adjoint d’Agri SA, le principal syndicat d’agriculteurs sud-africains, il est amer aujourd’hui. « Le problème, dit-il, c’est que le gouvernement ne donne pas aux communautés l’aide financière et technique dont elles ont besoin pour reprendre nos exploitations, alors tout s’effondre ».

Vue sur la propriété De Jager (450 hectares) et sur Georges Valley.(Photo : S.Tisseyre/RFI)

Vue sur la propriété De Jager (450 hectares) et sur Georges Valley.
(Photo : S.Tisseyre/RFI)

A 75 km de là, Theo De Jager, lui, a racheté une nouvelle ferme : 450 hectares sur les flancs du Drakensberg, « la montagne du dragon ».  Il y produit des avocats et des litchis entre autres. Au bout d’une allée bordée de palmiers majestueux, il vit dans une grande maison avec Karin, sa femme, avocate, leurs 3 enfants blonds âgés de 2 à 8 ans, qui jouent pieds nus sur le gazon, et des chiens de garde, Saddam et Kadhafi.

Depuis qu’il s’y est installé, sa nouvelle ferme est elle aussi revendiquée, désormais, par quatre tribus. « Je ne vendrai pas cette fois, prévient Théo, de toute façon, presque toutes les fermes sont réclamées par des communautés ici… Où irais-je après ? J’ai le droit de posséder de la terre dans cette province, comme quiconque ».

A 45 ans, Theo estime faire partie de la génération sacrifiée de l’Apartheid. « Nos aînés ont profité du système, nos cadets sont partis étudier et vivre à l’étranger, et nous, nous avons été envoyés au combat », dit il. Sous le régime ségrégationniste, Theo De Jager était agent des services secrets. « Vous savez, on faisait la guerre, ça n’était pas un pique-nique, se souvient-il, il y a la peur… les dangers… et vous qui tirez sur des gens dont vous découvrez après-coup qu’ils n’étaient pas forcément des soldats entraînés. Je n’oublierai jamais ».

La famille De Jager : Theo De Jager, son épouse Karin, les 3 enfants (Ludovic Theodorus, 8 ans ; Rachel, 5 ans ; Kristi, 1 an et demie).(Photo : S.Tisseyre/RFI)

La famille De Jager : Theo De Jager, son épouse Karin, les 3 enfants (Ludovic Theodorus, 8 ans ; Rachel, 5 ans ; Kristi, 1 an et demie).
(Photo : S.Tisseyre/RFI)

L’ex-agent secret au regard bleu assure aujourd’hui qu’il s’efforce de ne pas transmettre cet héritage à ses enfants. Il demande à son fils de 8 ans d’entonner le Nkosi Sikelel’ iAfrika, l’hymne national en 4 langues du pays dont le Zulu, et se dit heureux que l’enfant puisse chanter sans préjugés. « C’était ma guerre, pas la-leur, ils vivent dans un monde différent ».

La nuit tombe. En short, Theo De Jager fait griller d’épaisses côtes de bœuf pour le « braai », le barbecue afrikaner. Avant de passer à table, il dira le bénédicité : ici, on va à l’église tous les dimanches.

Karin, son épouse, assure que son quotidien n’a pas foncièrement changé ces dernières années. Elle n’a qu’un reproche à formuler : les services publics se dégradent. Et de s’exclamer : « regardez nos routes, pleines de trous ! Ils en font même des blagues à la radio. Ils disent que si on vous cherche, on vous trouvera dans un trou… Si vous comparez à l’état de nos routes avant, c’était bien différent ».

La famille De Jager ne compte pas non plus sur la police pour se défendre. Il faut dire que les fermiers de Georges Valley sont très bien organisés. A tour de rôle, ils font des rondes de nuit en voiture, et chacun possède une radio VHF portable pour pouvoir lancer l’alerte en cas d’attaque. Theo De Jager tient à en faire la démonstration. Instantanément, une dizaine de fermiers de la vallée répondront à l’appel.

La famille De Jager et l'un des deux chiens de garde, Saddam et Kadhafi.(Photo : S.Tisseyre/RFI)

La famille De Jager et l'un des deux chiens de garde, Saddam et Kadhafi.
(Photo : S.Tisseyre/RFI)

La réforme agraire en Afrique du Sud

En 1994, 87% des terres arables étaient aux mains de la minorité blanche en Afrique du Sud. Objectif de la réforme agraire lancée il y a 15 ans : faire en sorte que 30 % de ces terres reviennent aux populations noires d’ici 2014. Il s’agit de restituer des terres aux tribus qui en avaient été chassées sous le pouvoir blanc, sur la base d’une loi de 1913, et d’en redistribuer aux Noirs de manière générale.

Dans la province du Limpopo par exemple, 90 % des terres agricoles font l’objet de réclamations. Contrairement au Zimbabwe voisin, où la réforme agraire lancée par le président Mugabé a conduit à des expropriations massives et dans la violence de fermiers blancs, l’Etat sud-africain s’est engagé à racheter les propriétés au prix du marché pour les redistribuer. C’est le principe du « vendeur volontaire, acheteur volontaire ». Mais le processus a pris beaucoup de retard.

Aujourd’hui, environ 5 % des terres seulement ont été redistribuées. Les autorités (accusant certains fermiers de bloquer la négociation sur le rachat de leurs propriétés) ont un temps envisagé d’accélérer le processus par une loi sur l’expropriation, mais le texte n’a pas été réellement appliqué. Quant aux terres redistribuées, elles sont souvent sous-exploitées. Selon un rapport de l’Université de Pretoria, dans 44 % des cas, la production a baissé significativement, et dans 24 % des cas, il n’y a pas eu de production du tout. En cause notamment : le manque de formation et de moyens financiers des nouveaux propriétaires.

A suivre demain, le deuxième épisode de notre série avec la famille Monzanga, des émigrés congolais installés en Afrique du Sud.