Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Portraits de la société sud-africaine

Daniel Gadia et Flavie, migrants congolais en mal d'intégration

par Sarah Tisseyre

Article publié le 16/04/2009 Dernière mise à jour le 21/04/2009 à 09:21 TU

3ème volet de notre série. Nous avons évoqué l’intégration réussie d’une famille congolaise. Beaucoup n’ont pas cette chance parmi les 5 millions d’immigrés que compte le pays. Un an après les violences xénophobes, Daniel et Flavie, Congolais eux aussi, vivent toujours dans la peur.

Daniel Gadia, 31 ans, et Flavie Kasongo, 29 ans, dans leur chambre.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Daniel Gadia, 31 ans, et Flavie Kasongo, 29 ans, dans leur chambre.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

C’est un quartier chaud de Johannesburg : Yeoville. L’alcool a coulé à flots hier soir. Il y avait la musique, la foule, et de fortes odeurs de marijuana dans la cage d’escalier sans lumière aux vitres brisées. Ce matin, le calme est revenu. On ramasse les bouteilles vides dans la cour. Au premier étage de ce bâtiment baptisé Time Square, Flavie Kasongo et Daniel Gadia nous offrent des arachides, des bananes, et du café.

Ils ont la trentaine, et partagent l’appartement avec 3 autres Congolais installés dans le salon derrière un rideau. Le jeune couple a pris la chambre : un couvre lit vert olive, une télévision, des chaises en plastique, et un placard qui abrite pêle-mêle du sucre, de la farine de manioc, de l’huile, des produits de toilette. « Nous gardons tout ici », justifie Flavie, « pour éviter que d’autres personnes ne se servent de nos produits. Vous comprenez, c’est ce qu’on a acheté, on fait nos provisions pour un mois, et la vie est tellement dure ici ».

Flavie et Daniel devant leur immeuble, avec une affiche électorale de l'ANC.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Flavie et Daniel devant leur immeuble, avec une affiche électorale de l'ANC.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Flavie et Daniel sont arrivés à Johannesburg il y a 3 ans, via la Zambie et le Zimbabwe. Daniel avait un peu étudié la construction à Kinshasa. Il voyait l’Afrique du Sud comme un eldorado. « Les gens racontent plein d’histoires à Kinshasa au sujet de l’Afrique du Sud, ils parlent des merveilles et des bons salaires qu’on va y trouver, c’est ça qui nous pousse à quitter notre pays », explique-t-il, et d’ajouter : « malheureusement, c’est pas ce qu’on a trouvé en arrivant ! On gagne plus d’argent qu’à Kinshasa, c’est vrai, mais le niveau de vie est bien plus élevé ».

Du coup, le couple a du mal à joindre les deux bouts. Faute d’argent pour payer le billet, Daniel n’a d’ailleurs pas pu se rendre aux obsèques de son père décédé le mois dernier à Kinshasa. « Ça me pèse beaucoup » dit-il dans un souffle. Le jeune homme vient aussi de perdre son emploi de gardien de parking. Or « trouver du travail dans ce pays, en tant qu’immigré, ça n’est pas facile » dit-il. « Nos frères Noirs sud-africains nous repoussent, nous les Noirs venus d’ailleurs », poursuit Daniel, « ils disent qu’on est venu ici pour voler leur travail, leur copine ». Il faut dire qu’en Afrique du Sud, le taux de chômage est estimé à 40 %.

Flavie et Daniel derrière la grille d'entrée de leur appartement.(Photo : Sarah Tisseyre /RFI)

Flavie et Daniel derrière la grille d'entrée de leur appartement.
(Photo : Sarah Tisseyre /RFI)

Pour Daniel, c’est aussi ce qui est à l’origine des violences xénophobes qui ont fait une soixantaine de morts il y a un an, en mai 2008. Daniel a lui-même été attaqué à l’époque ; il en garde une trace au poignet. « Je suis passé à côté d’un groupe qui jouait au ballon dans la rue », se souvient-il, « ils m’ont posé une question en zoulou, je n’ai pas pu répondre, alors ils ont compris que j’étais étranger, et une vingtaine d’entre eux se sont jetés sur moi ». Depuis, le jeune couple congolais vit dans l’angoisse.

La grille d’entrée de leur appartement est d’ailleurs toujours soigneusement fermée à clé, d’après Flavie. « Des gens peuvent rentrer comme ça subitement, et vous agresser », explique-t-elle, « nous avons peur de l’insécurité qui règne ici ». Daniel précise que le phénomène touche tout le monde, riches et pauvres. Flavie conclut : « ce qui nous manque ici, c’est la liberté ».

Immigration et violences xénophobes en Afrique du Sud

 

L’Afrique du Sud s’est ouverte à l’immigration africaine au début des années 90, quand le régime d’apartheid est tombé. Aujourd’hui le pays compte environ 5 millions d’immigrés, parmi lesquels beaucoup de Zimbabwéens. Leur nombre est estimé à 3 millions et la plupart sont sans papiers. Le pays héberge aussi des Africains du Mozambique (venus travailler notamment dans les mines, comme les  Burundais), du Malawi, de Somalie, du Nigéria, de République démocratique du Congo (20 000 Congolais identifiables selon les autorités).

 

La main d’œuvre étrangère est souvent qualifiée, mais les pauvres accusent les étrangers de voler le travail. Les Sud-Africains rendent aussi les immigrés responsables de la criminalité ; seulement 2 à 3 % de la population carcérale pourtant est étrangère. En langage de rues, le terme de « kwerekwere » (« barbares ») est utilisé pour désigner les étrangers.

 

Le pays a été confronté l’an dernier (en mai 2008) à des violences xénophobes, pendant deux semaines. Elles avaient commencé dans le bidonville d’Alexandra, à Johannesburg, avant de s’étendre à d’autres bidonvilles de la région, pour se répandre ensuite à travers les plus grandes villes du pays. Bilan : une soixantaine de morts, environ 650 blessés graves, et plusieurs dizaines de milliers de déplacés.

 

Le peu de réaction du gouvernement du président Thabo Mbeki avait suscité beaucoup de critiques à l’époque. Il avait fallu attendre 10 jours avant qu’il ordonne le déploiement de l’armée, et 5 jours de plus pour que Thabo Mbeki et Jacob Zuma (président de l’ANC, et candidat à la présidence) condamnent les violences.