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Portraits de la société sud-africaine

Les sœurs Harrison, dans le vieux Soweto

par Sarah Tisseyre

Article publié le 17/04/2009 Dernière mise à jour le 21/04/2009 à 09:22 TU

Roseline Harrison et Bongan, cinq ans. «&nbsp;<em>C'est ma grand-mère&nbsp;»</em>, dit-il.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Roseline Harrison et Bongan, cinq ans. « C'est ma grand-mère », dit-il.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

4e volet de notre série. Notre reporter nous emmène à Kliptown, le plus vieux quartier de Soweto, le South Western Township, à une quinzaine de kilomètres de Johannesburg. Les sœurs Harrison et leurs petits-enfants y vivent dans le plus grand dénuement.

Le Holiday Inn, l'hôtel 4 étoiles de Soweto.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Le Holiday Inn, l'hôtel 4 étoiles de Soweto.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Des ouvriers s’activent à Kliptown, le plus ancien des quartiers de Soweto. Ils construisent un parking souterrain pour l’hôtel 4 étoiles Holiday Inn qui a ouvert ses portes ici il y a deux ans, en 2007.

A deux pas de là, un petit musée. En quelques pièces, il raconte comment 3000 délégués des organisations de résistance contre l’apartheid ont convergé vers Kliptown en 1955 pour y proclamer la Charte de la liberté.

Nous sommes ici dans un lieu chargé d’histoire, un symbole de la lutte menée par l’ANC. Le mémorial Walter Sisulu, érigé à l’entrée du quartier, est d’ailleurs là, lui aussi, pour le rappeler.

Mais de l’autre côté de la voie ferrée que les habitants de Kliptown traversent à pied, Roseline Harrison n’en a cure. « Ça fait quelques années qu’ils ont construit ce monument, ça a coûté cher », dit-elle, « c’est beau, mais ici, il faut qu’ils pensent à nous aussi ! Ils nous ont promis des maisons, et ne les ont jamais données. Ils nous ont parlé de cliniques, d’hôpitaux, mais ils n’ont rien apporté. Depuis 1994, rien n’a changé ! ».

Roseline, Margaux (16 ans), Bongan, et un petit neveu, devant leur maison.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Roseline, Margaux (16 ans), Bongan, et un petit neveu, devant leur maison.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Les hanches larges, le cheveu court, la peau métisse, Roseline vit dans une maison en torchis avec Margaux et Bongan, deux de ses petits-enfants. Agés de 16 et 5 ans, ils ont abandonné l’école, faute d’argent pour payer les frais de scolarité. Roseline est née dans cette maison même, il y a 49 ans. Cinq petites pièces, un plafond bas, et des canapés à fleurs noircis par le temps. « Il faut que je traverse la rue pour aller chercher de l’eau avec des seaux », explique-t-elle de sa petite voix, « il n’y a pas d’électricité, je dois acheter des bougies. Et la pluie rentre dans la maison… Vous voyez là ? … Il y a des trous dans le toit, la pluie rentre, il fait froid ici l’hiver ».

Roseline est au chômage, comme environ 40 % de la population sud-africaine. Elle survit en faisant la lessive pour deux voisines.  La voilà d’ailleurs qui y retourne, une rangée de pinces à linge accrochées à sa blouse bleue. Du robinet d’eau, l’eau s’écoule au milieu de la rue en terre jonchée de poubelles.

Roseline fait la lessive de l'autre côté de la rue.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Roseline fait la lessive de l'autre côté de la rue.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)


Sa sœur Sheila, 50 ans, les cheveux hirsutes, habite une pièce adjacente, avec ses cinq petits-enfants, et Jason, un garçon de 16 mois qu’elle garde contre un peu d’argent, et qui ne la quitte pas.

Sheila dit qu’elle rêve d’une jolie maison, avec 3 pièces. Pour l’instant, elle n’en a qu’une, occupée par deux lits doubles où elle dort avec tous les enfants. Des chaussettes pendent à un fil. La télévision est éteinte, pour économiser la batterie de voiture qui l’alimente. Et un poêle à pétrole rend l’atmosphère irrespirable.

« Vraiment, c’est un combat que je mène », raconte Sheila, « en tout, je gagne 880 rands par mois (75 euros) pour moi et mes 5 petits-enfants, et la nourriture est tellement chère maintenant. En ce moment, je n’ai même pas une paire de bonnes chaussures pour aller à l’église, ou une jolie jupe… c’est vraiment un combat... ».

Sheila Harrison, chez elle, avec Jason, 16 mois, l'enfant dont elle s'occupe.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Sheila Harrison, chez elle, avec Jason, 16 mois, l'enfant dont elle s'occupe.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)


Les 3 fils de Sheila sont en prison. Son mari est mort il y a 6 mois. Elle est séropositive.

Elle écoute du gospel sur son petit poste de radio tout en mangeant sa purée de pommes de terre. Elle assure que Dieu lui donne de l’espoir. Les hommes politiques, plus vraiment. Roseline, elle, pense même qu’elle n’ira pas voter cette année. L’enthousiasme des premières élections libres de 1994 est retombé. Les 2 sœurs n’ont qu’une expression à la bouche : « Rien n’a changé, rien n’a changé ».

Les soeurs Harrison.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Les soeurs Harrison.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

L’Afrique du Sud, pays aux très fortes inégalités

L’Afrique du Sud est avec le Brésil l’un des pays où les écarts de revenus sont les plus grands. 10 % de la population assure 44 % des dépenses de consommation.

Une classe moyenne noire s’est formée depuis la fin de l’apartheid. Elle est aujourd’hui estimée à 3 millions de personnes environ. Cela ne représente que 10 % de la population noire.

Au classement des pays selon leur Indice de Développement humain (indice créé par le PNUD et croisant des indicateurs économiques, de santé et d’éducation), l’Afrique du Sud est passé de la 89ème place en 1995 à la 125ème place en 2006.

Le taux de mortalité infantile a même augmenté, passant de 50 pour mille en 2000 à 55 pour mille en 2008.

Le taux de chômage est estimé entre 23 % et 40 % de la population active. 23 % si l’on prend une définition stricte du taux de chômage, selon laquelle il faut rechercher activement un emploi pour être considéré comme chômeur. 40 % si l’on englobe ceux qui ont arrêté de chercher.