par Sarah Tisseyre
Article publié le 18/04/2009 Dernière mise à jour le 21/04/2009 à 09:25 TU
Un arrêt à l’école coranique où Outhmaan, 6 ans, se rend tous les après-midi et la famille Bhamjee met le cap sur le stade de football, pour l’entraînement du petit. « Avant, ce terrain de foot était réservé aux Blancs », précise Youssouf, petites lunettes et barbe fournie, « dans le temps, seuls les Blancs pouvaient venir jouer ici, ou même regarder, on n’avait pas le droit de venir ».
L'entraînement du Mayfair Football Club, créé par Youssouf Bhamjee et ses frères.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)
Comme les Noirs et les Métis, les Indiens ont souffert des lois ségrégationnistes qui leur imposaient notamment des zones de résidence spécifiques, et un « pass » obligatoire pour circuler au-delà.
Sur les gradins, Asma explique que son père ne s’en remettra jamais. « Un jour en ville, sa mère a eu un malaise cardiaque », raconte la jeune femme aux joues rondes et larges lunettes noires, « il s’est assis sur un banc avec elle. Et la police est venue les déloger, parce que c’était un banc réservé aux Blancs. Ils ont dû attendre les secours par terre. Ce sont des choses que mes parents ne peuvent pas dépasser ».
Asma, elle, avait 14 ans en 1994, au moment des premières élections libres. Elle se souvient d’être allée se réfugier deux semaines en famille au Botswana, de peur que l’Afrique du Sud ne plonge dans la guerre civile. A la même époque, elle est passée d’une école indienne à une école de plus en plus multiraciale. Résultat, explique-t-elle, sa vision de la société sud-africaine est forcément moins cloisonnée que celle de ses parents. « J’ai découvert que des adolescents blancs et noirs avaient les mêmes préoccupations que moi, les mêmes sentiments », dit-elle, « ensuite, à l’université, nous avions tous les mêmes objectifs : on voulait réussir nos examens, faire la fête, avoir des amis. Les parents ont complètement sauté cette étape ».Une autre jeune mère de famille indienne, un foulard sur les cheveux, et du rouge sur les lèvres, s’invite dans la conversation. Interrogée sur la transition démocratique et ses conséquences, elle lance en riant : « Qu’on ait un gouvernement blanc ou noir, nous serons toujours au milieu… parce que nous sommes les Indiens ! ». « Ce qu’elle veut dire », précise Asma, « c’est que sous l’apartheid, nous n’étions pas assez blancs, et maintenant, nous ne sommes pas assez noirs. Par exemple, en matière d’embauche, la discrimination positive favorise les Noirs d’abord ». Il n’empêche, aux yeux d’Asma, il y a eu un réel changement. « Silencieusement, nous avons tiré des bénéfices, en matière d’éducation par exemple, et puis nous sommes libres d’aller où nous voulons aujourd’hui. Nous emmenons nos enfants partout ! ».
Asma et sa famille dînent chez ses parents ce soir. Le père, Shebir, porte une longue barbe grise. Son magasin de chaussures lui a permis d’acheter cette maison aux volumes dignes d’un hall de gare. Il regarde la télévision dans un large fauteuil bordeaux. Il fuit les photos et le micro.
En cuisine, Faatimah la mère, de retour de La Mecque, dispose les marmites sur la longue table. Née en Afrique du Sud, elle assure que « c’est de la vraie cuisine du Gujarat ». « Nos mères nous ont appris à cuisiner ces lentilles, ce riz, ces aubergines », explique Faatimah, « la mienne venait d’un village à 5 heures de route de Bombay ». Elle-même se sent toutefois profondément sud-africaine : « Je suis allée plusieurs fois en Inde… et je peux vous dire… ça n’est pas comme l’Afrique du Sud ! Ils sont vraiment, vraiment pauvres… Ils vivent dans des cahutes, ils n’ont pas de frigos, pas de toilettes comme les nôtres. S’ils y allaient, nos enfants n’aimeraient pas ! ».
Sa fille, Asma, parle d’ailleurs très peu le Gujaratee.
Chez les parents d'Asma. A droite, Michael, le fils de l'employée de maison, converti à l'Islam.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)
Les Indiens en Afrique du Sud |
2,6 % des 49 millions de Sud-Africains sont d’origine indienne. Pour la plupart, ils vivent dans le KwaZulu-Natal. C’est là qu’ils ont été amenés en grand nombre, à partir de 1860, depuis Madras notamment, pour travailler dans les plantations de canne à sucre. Beaucoup d’autres viennent du Gujarat.
Les deux tiers des Indiens d’Afrique du Sud sont hindous. Les autres sont musulmans.
C’est en Afrique du Sud que le Mahatma Gandhi a développé sa stratégie de désobéissance civile non-violente, à la fin du 19ème siècle. Après des études de droit en Angleterre, le jeune avocat né au Gujarat arrive en Afrique du Sud en 1893, pour défendre les intérêts d’une entreprise indienne au cours d’un procès. Par la suite, choqué par la discrimination raciale dans ce pays, Mohandas Gandhi organise la lutte de la communauté indienne pour ses droits civiques et contre les lois ségrégationnistes, ce qui lui vaut plusieurs séjours en prison, jusqu’à son retour en Inde, en 1914.
Dans la foulée, un « Congrès Indien d’Afrique du Sud » (South African Indian Congress) voit le jour quelques années plus tard. En 1946, il engage la lutte contre une loi restreignant sévèrement le droit des Indiens à la propriété. Comme les Noirs et les Métis, les Indiens sont victimes des lois ségrégationnistes en tant que « Non Blancs ».
Six ans plus tard, en 1952, le Congrès Indien s’allie à l’ANC pour lancer une vaste campagne de désobéissance civile consistant à pénétrer sur les lieux réservés aux Blancs. Des milliers de personnes sont arrêtées. Dès lors, l’ANC et le South African Indian Congress combattront l’apartheid main dans la main. |
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par Sarah Tisseyre
19/04/2009