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Portraits de la société sud-africaine

Bongi Selane et les « Diamants Noirs » d’Afrique du Sud

par Sarah Tisseyre

Article publié le 19/04/2009 Dernière mise à jour le 21/04/2009 à 09:26 TU

6e et avant-dernier volet de notre série. On les appelle les «Buppies» (les «Black Urban Professionals») ou encore, les «Black Diamonds». C’est cette bourgeoisie noire qui a émergé en Afrique du Sud ces quinze dernières années. Bongi Selane et sa famille en font partie.

Bongi Selane, ses fils, Marumo (5 ans) et Kamogelo (9 ans), et son mari Tamoledi, sur leur terrasse.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Bongi Selane, ses fils, Marumo (5 ans) et Kamogelo (9 ans), et son mari Tamoledi, sur leur terrasse.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Bongi Selane au travail, chez M-Net.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Bongi Selane au travail, chez M-Net.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Devant son ordinateur, son i-phone à portée de main, Bongi Selane nous présente son dernier bébé : une série de documentaires qu’elle vient de lancer sur M-Net, une télévision sud-africaine par satellite. Prochaine mission pour la jeune productrice de 38 ans : créer une chaîne dédiée aux « Black Diamonds », la nouvelle bourgeoisie noire d’Afrique du Sud. « Cette télévision payante a été créée dans les années 80, et seuls les Blancs pouvaient à l’époque y accéder », explique Bongi, « maintenant les Noirs dépensent beaucoup plus, ils montent dans l’échelle sociale, et ils ont M-Net. Mais les contenus de la chaîne ne leur parlent pas, c’est beaucoup de films américains, et il est temps d’introduire des programmes locaux, qui parlent des Africains, de nous, qui résonnent en nous ».

Yeux de biche, longues tresses en queue de cheval, discrets diamants aux oreilles, Bongi Selane appartient elle-même à cette nouvelle élite noire. Née à Soweto, elle a étudié six ans à Londres, grâce à une bourse qu’elle a décrochée auprès du British Council à l’âge de 17 ans. De retour depuis 1995, elle a produit des films, fréquenté les festivals, Cannes, le Fespaco...

Bongi Selane au volant de son 4x4 Range Rover.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Bongi Selane au volant de son 4x4 Range Rover.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Dans son 4x4 Range Rover noir, une montre Cartier au poignet, elle nous emmène à Lonehill, sa banlieue chic de Johannesburg. « Ici, il ne faut jamais faire trop de bruit », raconte la jeune femme, « les gens ne se connaissent pas, entre voisins et, c’est vraiment drôle, nous-mêmes les Noirs qui avons emménagé dans ces quartiers, nous sommes devenus pareils. A Soweto, les gens se rassemblent pour regarder la télévision, le foot.Tout tourne autour du fait d’être ensemble. Il y a un sens incroyable de la communauté, de l’appartenance au groupe ». Bongi avoue être parfois un peu nostalgique, mais elle s’empresse d’ajouter : « Je dois dire aussi que j’aime le calme, et avoir un espace privé ».

Elle vit dans un « cluster », un ensemble de maisons avec garde à l’entrée. Déco afro-chic, piscine, piano. Ses fils, Kamogelo et Marumo, ont 9 et 5 ans, et son mari, Tamoledi, a créé une agence de pub. Lui aussi vient de Soweto. « Je ne serais pas où j’en suis si des politiques comme le Black Economic Empowerment n’avaient pas été mises en place », précise-t-il, « par exemple, ma société est détenue à 90 % par des Noirs, et pour décrocher des contrats, ça nous donne un avantage, nous sommes prioritaires ».

Bongi Selane et sa mère, Fikile Ngcobo, à Soweto.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Bongi Selane et sa mère, Fikile Ngcobo, à Soweto.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Direction Soweto. Bongi va voir sa mère à Orlando West, dans l’une de ces innombrables rangées de petites maisons de plain-pied qui caractérisent le township. Au passage, des habitants saluent la voiture de la main. « Tu vois, ils font bonjour, et ils ne me connaissent pas », dit la jeune femme dans un éclat de rires, « c’est ce que j’adore à Soweto ! ».

Ici, la maison où vécut Nelson Mandela, là, celle de Desmond Tutu. Puis l’école où enseignait la mère de Bongi, en 1976, quand les élèves se sont soulevés contre le régime d’apartheid qui voulait leur imposer d’étudier en afrikaans. Fikile Ngcobo, la soixantaine, se souvient bien de ce 16 juin : « c’était un matin comme les autres », raconte-t-elle, « j’ai marché jusqu’à l’école avec mes livres et mon sac. Mais quand j’ai dit à mes élèvesallez, on rentre en classe ? », ils m’ont dit « non madame, pas aujourd’hui ». Des élèves arrivaient d’autres écoles petit à petit, et soudain, les gens se sont mis à courir, et la police était là, elle tirait, on aidait ceux qu’on pouvait, ceux qui tombaient. C’était juste le chaos ! ». Un an plus tard, elle démissionnera en signe de résistance.

Fikile Ngcobo, devant les maisons de ses voisins, maisons «boîtes d'allumettes» (matchboxes) typiques du township.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Fikile Ngcobo, devant les maisons de ses voisins, maisons «boîtes d'allumettes» (matchboxes) typiques du township.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)


Fikile Ngcobo vit aujourd’hui dans une confortable petite maison avec 5 canapés dans le salon. La rue est goudronnée, les trottoirs engazonnés. A côté, deux maisons typiques de Soweto, ces fameuses « matchboxes », boîtes d’allumettes en briques rouge. « Vous voyez, il y a beaucoup de travaux sur les routes, c’est pour la Coupe du Monde 2010 », explique Fikile Ngcobo, « à part ça, ceux qui ont pu s’en sortir s’en sont sortis, et je ne suis pas la seule dans ce cas, d’autres travaillent et se sont construit des maisons, mais beaucoup vivent encore dans des conditions inacceptables ! ».

La rue devant chez Fikile Ngcobo.(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

La rue devant chez Fikile Ngcobo.
(Photo : Sarah Tisseyre / RFI)

Fikile Ngcobo travaille aujourd’hui pour la Fondation Nelson Mandela pour les enfants. Ses cinq enfants, eux, ont tous fait des études. Elle se dit aujourd’hui fière de Bongi : « fière de ce qu’elle a accompli, et fière aussi qu’elle se souvienne d’où elle vient. Tous les week-ends, cette voiture est garée ici », dit-elle en désignant le 4x4 noir dans son allée.

Black Economic Empowerment et Affirmative Action en Afrique du Sud

La communauté noire représente l’essentiel des classes les plus défavorisées en Afrique du Sud.

Pour corriger les déséquilibres économiques nés de la colonisation et l’apartheid, alors que le pays connaissait une expansion rapide jusqu’en 2007, le gouvernement a mis en place à la fin des années 90 un programme en 2 volets : l’« Affirmative Action », une politique de discrimination positive à l’embauche pour les Noirs, Métis et Indiens ; et le « Black Economic Empowerment », BEE (littéralement « Emancipation économique des Noirs ») demandant aux entreprises de céder une partie de leur capital à des actionnaires noirs.

Le BEE, dans sa première version, a été très critiqué pour avoir enrichi très vite un petit groupe d’hommes et femmes d’affaires proches du pouvoir, et qui ont été baptisés les « ANC Fat Cats », les « gros chats gras de l’ANC ».

Un BEE élargi a ensuite été mis en place, avec pour objectif de profiter à un plus grand nombre. Un bulletin d’évaluation des entreprises en matière de promotion des Noirs a été publié ; il donne des points aux entreprises quand elles transfèrent du capital, emploient des cadres noirs, mettent en place une politique de formation continue, et aident les sociétés noires à se développer. 

Ces programmes ont contribué à l’émergence d’une élite et une classe moyenne noire, les Black Diamonds. Ils représentent aujourd’hui environ 10 % de la population noire.