par Anne Toulouse
Article publié le 20/04/2009 Dernière mise à jour le 20/04/2009 à 01:14 TU
La tuerie de Columbine est restée dans la mémoire collective comme le symbole de la redoutable combinaison du malaise adolescent et des armes à feu.
(Photo : Reuters)
Les quatre filles et huit garçons tués par deux de leurs camarades, le 20 avril 1999, auraient aujourd’hui entre 25 et 28 ans ! 23 adolescents, blessés, restent marqués à vie par ce qu’ils ont vécu. Bien que l’on ait vu encore pire, il y a deux ans, avec la tragédie de Virginia Tech, où 33 personnes ont été abattues sur un campus universitaire, Columbine a frappé les esprits de façon unique. Cette tuerie est restée, dans la mémoire du monde entier, le symbole de la redoutable combinaison du malaise adolescent et des armes à feu.
Une tragédie vécue en direct
Le plus frappant dans ce fait divers, vécu quasi en direct sur les chaînes de télévision, est la froide détermination des deux meurtriers, décidés à tuer, selon leurs propres termes « le plus de monde possible ». Eric Harris et Dylan Klebold arrivent à Columbine Hight School, l’équivalent d’un lycée, un peu après 11 heures du matin, armés de fusils semi-automatiques, de bombes de fabrication artisanale, de cocktails Molotov et de couteaux. Ils déposent deux bombes bricolées avec des bouteilles de propane dans la cafétéria, où les élèves ne vont pas tarder à se rendre pour le déjeuner.
Lorsque les engins refusent d’exploser, les deux tueurs, une arme à feu dans chaque main, tirent sans discontinuer sur les élèves qui se trouvent sur leur passage. Sur le moment, la tragédie a semblé très longue car, jusqu’au début de l’après-midi, les télévisions ont filmé les élèves s’enfuyant par les fenêtres, alors que la police encerclait le bâtiment. En fait, la fusillade n’a duré que dix-sept minutes, ensuite les meurtriers ont erré pendant une demi-heure, avant de retourner leurs armes contre eux.
Le mystère des deux tueurs
Trois livres publiés récemment décortiquent cette tragédie et donnent un nouvel aperçu de la personnalité des deux adolescents meurtriers. Ils avaient été présentés à l’époque comme des victimes d’un phénomène typique des écoles et des universités américaines : les cliques. Les adolescents se divisent en quatre groupes : les « cool », ceux qui sont populaires ; les « jocks », les sportifs ; les « geeks », les forts en thème et les « nerds », les nuls. Les deux dernières catégories sont généralement méprisées et brimées par les deux premières. Harris et Klebold ont été assimilés à une catégorie marginale, dite Goth ou gothique, d’adolescents fascinés par la mort. Il semble que c’était faux : ils étaient vêtus de longs manteaux noirs le jour du massacre simplement pour dissimuler leurs armes. Harris a ciblé les jocks, les athlètes, mais plus en raison d’un différend personnel que d’un règlement de compte généralisé.
Contrairement à ce qui a été dit dans les premiers jours, les deux auteurs du massacre n’étaient pas des parias. Le meneur, Harris, avait trois amis proches et sortait régulièrement avec une bande d’élèves. L’étude de son caractère arrive à une conclusion terrifiante, son profil est celui d’un tueur de sang froid, qui a réussi à abuser son entourage en étant, à ses heures, convaincant et charmeur. Dans une configuration classique, il a entraîné dans son sillage un garçon timide, Klebold, qui l’a suivi aveuglément.
Leur équipée meurtrière semble avoir été inspirée par l’attentat d’Oklahoma City qui avait eu lieu quatre ans plus tôt. Les deux garçons préparaient leur attaque depuis plus d’un an et avaient d’abord projeté de se servir uniquement de bombes, mais les difficultés techniques pour les fabriquer les ont amenés à diversifier leurs méthodes.
Il ne s’agit pas d’un cas de folie furieuse, comme celui de Virginia Tech où un étudiant forcené a tué 32 personnes avant de se donner la mort. Il n’y a pas non plus, comme on l’a beaucoup dit à l’époque, de dysfonctionnement familial évident. Les deux adolescents vivaient avec leurs deux parents et, dans le cas de Harris, avec des frères dont le comportement était parfaitement normal.
Columbine, où s’est déroulée la tragédie, est située entre Denver et la petite ville de Littleton. Cette partie du Colorado était, dans le boom économique des années 90, réputée pour sa qualité de vie et avait attiré de nombreuses entreprises basées autour des nouvelles technologies. C’est donc dans un univers normal et même privilégié qu’a germé cette incompréhensible violence.
Pour les armes à feu, rien n’a changé…
Dans les deux années qui ont précédé Columbine, les écoles américaines ont connu une série de fusillades : entre octobre 1997 et avril 1999, 8 élèves ont attaqué leurs camarades à l’intérieur de leurs écoles avec des armes à feu, le plus jeune des meurtriers avait 11 ans. Il y en a eu d’autres depuis, quoique leur nombre doive être mis en perspective : une école américaine sur 100 000 a été victime d’une fusillade meurtrière au cours des 10 dernières années.
Les armes à feu sont le dénominateur commun de toutes ces tragédies. Elles n’ont cessé d’être mises en accusation, mais depuis Columbine trois élections présidentielles sont passées sans qu’aucun vainqueur, ni même aucun candidat mette en cause la vente libre des armes à feu. Harris et Klebold, qui étaient mineurs au moment du crime, n’avaient pas le droit d’acheter des armes à feu : ils les ont acquises par des intermédiaires, ce qui est illégal mais relativement facile. La plupart des jeunes meurtriers se servent tout simplement d’armes de chasse qu’ils trouvent chez eux. Dans les campagnes américaines, il est courant de chasser le gros gibier à l’arme semi-automatique.
Malgré le débat sur les armes à feu qui a fait rage au lendemain de Columbine, la situation n’a pas changé en 10 ans. Du point de vue des adversaires des armes à feu, on peut même dire qu’elle s’est détériorée. En 2004, a expiré une loi interdisant la vente libre des armes d’assaut. Elle n’a pas, à ce jour, été renouvelée. Pendant la dernière campagne présidentielle, les rumeurs selon lesquelles Barack Obama allait durcir la législation ont provoqué un boom de la vente des armes à feu. Si telle est l’intention du président, il se heurtera à l’opposition d’une partie des démocrates qui pensent avoir perdu de nombreuses élections, à cause de l’opposition de l’électorat rural, attaché au droit constitutionnel de porter des armes. En 2004, pendant sa campagne présidentielle, John Kerry s’était fait consciencieusement photographier en tenue de chasse, un fusil à la main, pour convaincre les électeurs sceptiques.
Après Virginia Tech, le balancier semble même être parti dans l’autre sens. Un mouvement s’est développé sur Internet pour autoriser le port des armes sur les campus, afin qu’ils puissent se défendre lors d’une fusillade. Pour l’instant, seul l‘Utah autorise les étudiants, ayant légalement le droit de posséder des armes, à les porter dans un périmètre universitaire. Une loi similaire est en ce moment discutée au Texas et a de grandes chances d’être votée.