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RDC / Entretien

Un périple en kayak « au coeur des ténèbres »

Article publié le 22/05/2009 Dernière mise à jour le 22/05/2009 à 17:13 TU

Marc Hoogsteyns, journaliste indépendant, ancien cameraman de l'agence Reuters, témoigne de son périple en kayak « au coeur des ténèbres » et tente de rendre la parole des milliers de personnes, coupées du monde, qui peinent à survivre au centre du pays et dont les souffrances n'ont jusqu'ici pas été remarquées par la communauté internationale.
Marc Hoogsteyns, cameraman de l'agence Reuters, lors de son périple en kayak allant du Kasaï oriental à Kinshasa. (Photo : http://www.bobongo.be)

Marc Hoogsteyns, cameraman de l'agence Reuters, lors de son périple en kayak allant du Kasaï oriental à Kinshasa.
(Photo : http://www.bobongo.be)

 

RFI : Marc Hoogsteyns, pour quelles raisons avez-vous décidé de descendre cette rivière en démarrant du Kasaï oriental pour rejoindre Kinshasa ?

Marc Hoogsteyns : L’année passée, j’ai reçu une petite bourse pour faire une étude journalistique sur la déforestation et les changements climatiques au Congo et dans la région des grands lacs. C’est là que j’ai commencé à voyager dans les régions au Congo, surtout la région du lac Tumba dans la province équatoriale, la province de Bandundu. Je me suis rendu compte à cette occasion qu’au Congo, il y a des milliers et des milliers de gens qui vivent là, dont personne ne parle, en absence des organisations humanitaires.

RFI : Justement, dans quelles conditions vivent ces populations ? Est-ce que vous pouvez nous décrire les endroits où vous passez et où on imagine que peu de monde passe ?

MH : La population n’est pas en train de vivre, la population est en train de survivre parce que depuis quelques années, toute activité économique s’est arrêtée. La population est livrée à elle-même sur le plan médical aussi bien que sur le plan social. Parfois, les gens doivent marcher trois ou quatre cents kilomètres pour arriver dans un dispensaire ou un hôpital. Pour beaucoup de petites maladies comme par exemple la variole du singe ou la malaria, ou même une fracture ouverte d’une jambe, il n‘y a pas de solution. Les gens meurent quand ils ont ça. A l’intérieur du pays, il n’y a plus de lois. Je vous donne un exemple : dans une ville comme Dekesse, un homme qui viole une femme, il ne sera jamais puni pour la simple raison qu’il n’y a pas de juge, il n’y a plus de police, il n’y a plus de prison, il n’y a plus rien. Donc les gens peuvent faire ce qu’ils veulent.

Pour survivre, il y a beaucoup de braconnage parce que les gens doivent se munir de protéines pour survivre. Avec les quelques armes de guerre qui circulent dans la région, ils vont tuer les éléphants, les buffles, les singes, et ils survivent comme ça. Et là-dessus, il n’y a pas de contrôle non plus. Le problème du braconnage, c’est un très grand problème. Les forêts, on peut dire qu’elles sont relativement intactes dans la plupart du bassin du fleuve du Congo et les autres rivières à côté. Mais la forêt est en train de se vider de tous les animaux qui vivent dedans et ça aussi, c’est grave.

RFI : Comment ça se passe quand vous arrivez ? Vous pagayez toute la journée et ensuite vous essayez de repérer un village sur la rive pour vous arrêtez ?

MH : J’ai pagayé 1 300 kilomètres, 50 à 60 kilomètres par jour, c’est-à-dire 8 à 10 heures par jour. J’essaye de trouver ou bien un bivouac de pêcheurs où l’on peut dormir, ou bien on accoste dans un petit village. Les gens sont très hospitaliers, ils sont très ouverts, ils sont très gentils mais la population est très surprise de me voir arriver parce que, dans ces villages là, ils n’ont plus vu de Blancs depuis 20 ou 30 ans. Ca m’est arrivé que tout le village a fui parce qu’ils étaient tellement surpris de voir un Blanc qu’ils croyaient que j’étais un fantôme.

RFI : Et alors de quoi vivent les gens en règle générale ? Quelles sont leurs activités ?

MH : Il y a la pêche et le braconnage et les quelques fruits qu’ils trouvent en forêt. Ils cultivent aussi un tout petit peu de manioc et un tout petit peu de maïs juste pour leur propre usage.

RFI : Dans tous ces villages, les enfants par exemple ne vont pas à l’école. Il n’y a pas d’administration, il n’y a rien du tout ?

MH : Il n’y a rien du tout, il n’y a pas d’administration. Les écoles fonctionnent à peine. Il y a des jeunes qui essaient d’encadrer un tout petit peu les enfants mais ils n’ont pas été formés pour faire cela. Donc là aussi, il y a une autre catastrophe qui se prépare c’est-à-dire qu’il y aura toute une génération de Congolais qui ne sera pas en mesure dans quelques années de reprendre les choses en main dans les petits villages, à deux cents kilomètres de toutes ces grandes villes, là où la population vit vraiment isolée. La plupart d’entre eux n’ont même pas voté. Ils ne savent ce que c’est que les élections. Encore une fois, ce sont des gens qui sont vraiment engagés dans la lutte de survie de tous les jours.

RFI : Vous avez l’impression de faire un saut un siècle, voire deux, en arrière ?

MH : Oui, si vous avez lu le livre de Joseph Conrad « Au cœur des ténèbres », maintenant ce livre est en train de se réécrire au 21e siècle au Congo. Il y a des milliers de gens qui n’ont pas de moyens de communiquer avec le monde extérieur. Ils ne savent vraiment pas ce qui se passe dans le reste du pays. Il n’y a pas de téléphone, pas de courant, il n’y a pas de route (toutes les routes sont recouvertes par la brousse). Et le seul moyen pour communiquer avec le monde extérieur, c’est la rivière. Mais par la rivière, ça leur prend des journées entières pour atterrir dans la prochaine ville.

RFI : Que vous disent les villageois quand vous les rencontrez ? Est-ce qu’ils se sentent abandonnés?

MH : Ils se sentent complètement abandonnés par leurs propres dirigeants pour commencer et ils se sentent abandonnés par la communauté internationale qui ne parle jamais d’eux et qui ne veut même pas entendre parler de leurs problèmes. Ils nous ont demandé presque dans chaque village où l’on est passé, de faire passer ce message au monde extérieur et de raconter aux autres ce que l’on a vu ici pour essayer de trouver de l’aide. Il y a des milliers de gens qui vivent à l‘intérieur du Congo et ils sont oubliés par tout le monde. C’est vraiment grave de voir par exemple mourir des enfants dans les villages, des enfants qui sont déshydratés, des enfants qui ont la variole, des enfants qui ont la malaria et ces gens n’ont même pas de l’aspirine, ou des médicaments pour traiter ces maladies-là. Il y a une mortalité énorme des nourrissons, il y a beaucoup de bébés qui meurent avant l’âge d’un an. Et encore une fois, il n’y a personne qui en parle.

Propos recueillis par Gislaine Dupont