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Iran / Entretien

Bernard Hourcade: «Le régime a donné un double tour de vis»

par Nicolas Falez

Article publié le 23/06/2009 Dernière mise à jour le 23/06/2009 à 13:45 TU

Le Conseil des gardiens de la Constitution a exclu ce mardi l'annulation de la présidentielle contestée du 12 juin et annoncé que le nouveau président et son gouvernement allaient être investis entre le 26 juillet et 19 août. Au micro de RFI, Bernard Hourcade, directeur de recherches au CNRS, analyse la situation en Iran et estime notamment que de nouvelles manifestations seraient actuellement « suicidaires ».

RFI : Quelle est l’importance de cette décision même si elle ne semble pas très surprenante ? Et quels sont la nature et le poids de cet organe dans la constitution de l’Iran ?

Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Iran. (Photo : DR)

Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Iran.
(Photo : DR)

Bernard Hourcade : Le Conseil des gardiens de la Constitution est composé d’une douzaine d’experts juridiques et religieux qui sont de facto nommés par le guide. C’est un peu l’équivalent du Conseil constitutionnel français : ils sont chargés de veiller à ce que les décisions du gouvernement soient conformes à la Constitution et donc ce sont eux qui proclament les résultats des élections. Tout ceci est très formel et très juridique, même si on sait que ce Conseil est évidemment très dévoué aux idées du guide.

RFI : Ils avaient été saisis après l’élection du 12 juin…

BH : C’est cela, 645 je crois ou 642 plaintes précises avaient été déposées. Le Conseil a donc examiné les plaintes et décidé aujourd’hui que ces erreurs étaient minimes et ne remettaient pas en cause les résultats des élections qui sont donc validées. Mais il s’agit là d’une décision évidemment attendue, on imaginait mal que le Conseil désavouerait le guide et l’élection. Mais maintenant, la question est de savoir quelles vont être les réactions à ce double tour de vis qui vient d’être donné.

RFI : Double, parce que notamment les Gardiens de la Révolution sont descendus dans l’arène hier ?

BH : Ils ne sont pas encore descendus dans l’arène mais ont annoncé comme en 1999 qu’ils entendaient bien défendre la République islamique. De ce point de vue là, il ne faut peut-être pas exagérer l’importance de cette décision. Elle montre que la « récréation est terminée », dramatiquement terminée, mais les Gardiens de la Révolution ne sont pas forcément tous pro-Ahmadinejad. Certains sont certainement pro-Moussavi, ils avaient voté pour Khatami en 1997 pour beaucoup d’entre eux. A noter que Mohsen Rezaee, l’ancien commandant en chef des pasdarans, héros des pasdarans, était candidat aussi. Même s’il a accepté la victoire d’Ahmadinejad, il n’a quand même pas été d’accord avec lui, loin de là. Et donc les Gardiens de la Révolution disent qu’ils sont là pour défendre la République mais ils n’ont pas soutenu directement Ahmadinejad. Ils restent peut-être en réserve de la République.

RFI : Dans le cadre de ces tensions qu’on observe au sein même du système - on parlait tout à l’heure du Conseil des gardiens de la Constitution -, il y a une autre assemblée très importante,  l’Assemblée des experts. A la tête de celle-ci se trouve l’ancien président Rafsanjani qui a soutenu Mir Hossein Moussavi. Cette Assemblée, la seule à pouvoir désigner, voire destituer le guide, a-t-elle encore aujourd’hui un rôle à jouer dans la crise en cours ?

BH : On pensait il y a quelques jours que, puisqu’Ahmadinejad n’était pas le verrou qui avait sauté, le deuxième verrou était le guide et monsieur Rafsanjani était d’ailleurs à Qom, la ville sainte, pour essayer de discuter avec les religieux de l’issue de la crise qui aurait pu être dans le sens d’une destitution du guide, d’une démission ou d’une mise à la retraite anticipée. Cette éventualité est maintenant exclue dans la mesure où les résultats sont proclamés et, apparemment, les rapports de force sont tels que l’élection d’Ahmadinejad est confirmée et ceux qui le soutiennent avec la force répressive sont assez sûrs, semble-t-il, de la situation pour pouvoir continuer le travail. On se pose la question cependant de ce séisme et de ses conséquences : un tsunami ça dure quelques heures, tout est ravagé mais ensuite il faut des années pour reconstruire. Et actuellement ce qui s’est passé laissera des traces et on peut supposer que les différentes structures administratives ou politiques iraniennes, ainsi que la rue iranienne, n’ont pas dit leur dernier mot.

RFI : Est-ce à dire que la partie peut encore se jouer dans la rue et aussi avoir des conséquences à moyen et long terme, même si la phase de manifestations massives semble s’éteindre, en tout cas se calmer ?

BH : Pour l’instant, les manifestants de rue seraient suicidaires. Si 5 000 ou 3 000 manifestent, ils vont être réprimés durement. C’est une évidence. Et les conditions ne sont pas réunies pour qu’il y ait à nouveau un million de personnes dans la rue. Donc cette phase là, dramatique, est terminée pour le moment. Mais les débats à l’intérieur du régime vont continuer et nul ne peut prévoir qu’il n’y ait pas, dans quelque temps, une vraie étincelle comme l’ont été ces élections, qui déclenche des mouvements, pas forcément dramatiques et massifs, populaires, mais des nuances dans le gouvernement. On peut se demander aussi s’il n’y a pas eu finalement un certain accord à un haut niveau pour garder monsieur Ahmadinejad à condition que celui-ci accepte une certaine ouverture. On verra cela lors de la composition du gouvernement au mois d’août prochain.

RFI : Un mot peut-être de l’attitude des pays étrangers, notamment occidentaux. On a eu l’impression d’avoir une attitude un peu à front renversé entre des Européens plutôt très présents pour contester les élections et soutenir la rue, et les Etats-Unis de Barack Obama extrêmement prudents ?

BH : Oui, mais il faut bien voir que cette révolution iranienne s’est passée justement parce que les Etats-Unis pour la première fois depuis trente ans ne se sont pas ingérés dans les affaires intérieures de l’Iran. Obama a déclaré au mois de mars « je respecte la République islamique d’Iran » et il a confirmé cela au discours du Caire. Et c’est justement parce que les Etats-Unis n’interféraient plus (enfin après trente ans) dans les affaires intérieures de l’Iran que les Iraniens ont enfin osé s’exprimer publiquement et ont pu le faire. Et donc il était absurde que les Etats-Unis qui ont réussi à secouer le joug despotique iranien en cessant justement de soutenir de facto Ahmadinejad et les plus radicaux du système, il serait absurde pour Obama d’abandonner cette tactique politique. Alors que côté européen, on est dans une situation un peu plus classique de soutien à une population en révolte au nom des droits de l’homme. Mais ce ne sont pas les Européens qui ont la main. Actuellement, ce sont les Etats-Unis parce que justement ils ont cessé leur ingérence en Iran et laissé les Iraniens se débrouiller avec leurs affaires. Et on constate que les rapports de force en Iran ne sont pas aussi clairement en faveur du despotisme qu’on le croyait.

RFI : Alors justement, comment le président réélu, puisque c’est le cas, Mahmoud Ahmadinejad sort-il de cette crise ? Renforcé, Affaibli ? Sa marge de manœuvre est-elle réduite ?

BH : Au début, il s’agissait je crois de faire d’Ahmadinejad quelqu’un de très bien élu à 64%. Ce chiffre est maintenant dégonflé. Il ne signifie plus grand-chose. C’est un élément de fragilité. Donc les répressions de ces jours-ci ont également fragilisé le président Ahmadinejad qui va donc se présenter devant Obama dans quelques mois en situation difficile. Cela dit : est-il assez intelligent ? Est-ce que le guide est assez conscient des rapports de force nouveaux pour que, certes, Ahmadinejad reste au pouvoir et soit très ferme, mais qu’il fasse rentrer dans son cabinet, dans son gouvernement des personnalités d’ouverture pour être capable de négocier efficacement avec le président Obama ? C’est la question qu’on se pose mais aujourd’hui on peut douter que le président Ahmadinejad, récemment réélu, soit disposé à faire des concessions.

Propos recueillis par Nicolas Falez