par Anne-Laure Marie
Article publié le 25/06/2009 Dernière mise à jour le 08/07/2009 à 13:00 TU
Des recycleurs de déchets informatiques en route pour le marché Alaba à Lagos (Nigéria).
(Photo : © 2006 BAN)
Cherche mode d'emploi pour jeter vieil ordinateur.....
Premier constat, étonnant, en provenance de France : il n’est pas si simple, loin de là, de jeter « proprement » ou de donner son ordinateur à une association sans risquer qu’elle-même se retrouve avec un déchet sur les bras. Le témoignage de Marie, qui habite Clamart « charmante petite ville dans la proche banlieue de Paris », est de ce point de vue très éclairant. « J’ai deux ordinateurs complets (unités centrales plus écrans) qui ne fonctionnent plus, selon moi, et dont je veux me débarrasser », dit-elle. "Quelle est la meilleure solution ? Recyclage ou don du matériel à une association qui sera en mesure de le réparer et de le réutiliser ?""Tout" envoyer en Afrique ou trier avant... encore une question délicate
Si Marie continue de chercher des solutions pour ses ordinateurs, Didier, lui, est sur un autre registre. Bien conscient du besoin en informatique des pays africains de la zone, exprimé, entre autres, dans notre forum par Stéphane, il récupère auprès de son entreprise des ordinateurs qui peuvent encore servir. Mais, contrairement à Damala, dont vous pouvez retrouver l'interview ici, il ne les teste pas, car au Bénin, des « ingénieurs » se chargeront de les remettre dans le circuit d’une manière ou d’une autre.
Président de l'association Cultures Sud
« Il y a un parc (d'ordinateurs réformés à Rfi) qui est là et vous prenez tout ou rien. Sur 10 ordinateurs, au Bénin, ils arrivent à reconstituer 6 bonnes machines... Nous, en France, on récupère ce que l'on a sous la main. »
Une méthode approuvée par certains des participants à la discussion, comme Abani Ali Hamza qui, depuis Zinder au Niger, pense que "l'Afrique doit plutôt profiter de cette aubaine que constituent les articles d'occasion en provenance d'Europe ou d'autres pays mieux nantis ", Mara, d'Abidjan en Côte d'Ivoire, qui rappelle que « 99% des cyber cafés sont équipés de ces ordinateurs de "seconde main" et ( que) de nombreux Ivoiriens ne touchent à l'ordinateur pour la première fois que dans des cybers... » ou encore Stéphane , pour qui " force est de constater que ces ordinateurs nous aident énormément ! ».
Mais l'envoi de matériel informatique non testé pose de sérieux problèmes dans des pays où, Didier l'admet lui-même, certains responsables d'associations sont obligés de louer des espaces pour en faire des déchetteries informatiques "sauvages". Ce qui fait dire à Chantal , vice-présidente de l'association Al Amal de Zagora au sud du Maroc que « beaucoup de matériel et de machines sont acheminés, c'est vrai, mais sur 10, eh bien 7 ne marchent pas et deviennent des déchets de plus. »
Pour traiter ces déchets, rien ou presque n’est prévu dans les pays, à l’exception notable du Burkina Faso où les Ateliers du Bocage recyclent effectivement les ordinateurs inutilisables. Initiative assez exceptionnelle pour que Philippe nous la signale dès le début de notre enquête, expliquant que l'association « recycle le matériel en générant des emplois sur place et re-expédie le matériel non traitable en France (en attendant mieux) ». Membre de l'atelier des médias et des Ateliers du Bocage, Sanou a posté sur sa page une série de photos sur le sujet. Mais pour une association de recyclage, combien d’ordinateurs jetés à la décharge sans précaution ? L’organisation Enda Ecopole a entamé un recensement des déchets électroniques dans les décharges de Dakar et confirme leur présence de plus en plus alarmante.
Coordinateur de l'association Enda Ecopole
« Heureusement qu'il y a des recycleurs qui font le tri dans les décharges moyennant quelques pièces pour revendre en ville. »
Que faire avant d’en arriver à la situation du Ghana où certaines décharges comme celle "d’Agbogbloshie market" sont exclusivement destinées à ces déchets ? Nyaba Ouedraogo est photographe, il a travaillé sur la décharge d’Agbogbloshie où les conditions de « recyclage » sont effrayantes.
Photographe
« Les enfants ressentent des maux de tête et des troubles respiratoires qui les empêchent de dormir, mais ils ne savent pas d'où ça provient. »
A ce stade de notre enquête, la question qui se pose est bien de savoir à qui profite « le crime » ? A « certaines compagnies occidentales qui voient en cela un moyen plus avantageux c'est-à-dire moins coûteux. Car les envoyer à la casse surplace reviendrait plus cher », comme le pense Abdramane ? "A des revendeurs sur place qui revendent plus cher du matériel parfois récupéré gratuitement ou presque," comme le pense Karim ? ("Quand aujourd'hui, un même objet qui coûte 10 euros, vaut en Afrique 80 euros seulement par le fait qu'une mauvaise politique fiscale est instaurée sous prétexte de renflouer les caisse de l'Etat !" ) A certains notables bien placés qui profitent de leur position pour s’équiper à moindre frais comme en témoigne Emmanuel, qui prend en exemple "le cas du Cameroun et de l'université de Douala, lorsqu'en 2004 les ordinateurs portables de seconde main arrivaient au campus pour les étudiants (et que) les doyens dudit établissement les prenaient pour revendre !" .« Une chose est sûre : il y a de plus en plus d'importations d'ordinateurs vétustes à Abidjan", nous raconte Sikiri. " Vers 14 h heure locale, aujourd'hui j'ai aperçu plus d'une centaine de ces vieux "ordis" à vendre à 250 000 CFA l'unité à débattre". Il nous « laisse le soin d'apprécier... »
Les axes de recherche pour la suite
Au point où nous en sommes, quelles questions restent posées ? Stéphane demande « pourquoi, déjà, les douanes européennes laissent passer ces ordinateurs ? » "De l'autre côté", Saturnin atteste de l’absence de vérification aux frontières. "Outre les appareils de vérification, la douane en Afrique est poreuse, mal organisée avec un désordre absolu. Les pays du Nord profitent de ses faiblesses pour nous envoyer les déchets", en conclut-il. Enfin, Emmanuel aborde la question essentielle de l’information des populations sur les dangers de ces déchets. Mais comment ? Par internet ? Ou avec les ordinateurs écologiques que nous signale Lisa "à bas prix, plus accessibles et qui peuvent fonctionner dans des conditions plus précaires tel que le E2.
Autant d’axes à emprunter pour poursuivre ensemble cette enquête. Et pour vous y aider, retrouvez sur le site de l'atelier des Médias une liste de liens et de documents à consulter. Ainsi que les interviews de tous nos interlocuteurs ( Amadou Diallo, Enda Ecopole ; Damala, responsable d'association ; Didier, président de Cultures sud) dans leur intégralité.
Un document est également disponible (lié à cet article) avec la liste des programmes et des projets en cours et le point sur les axes déjà empruntés lors de ces premières semaines d'enquête.
02/07/2009