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Etats-Unis / Afghanistan / Pakistan

Washington révise sa stratégie

par Georges Abou

Article publié le 25/06/2009 Dernière mise à jour le 25/06/2009 à 18:21 TU

La nouvelle administration américaine du président Barack Obama veut sortir de la logique dans laquelle s’était enfermé son prédécesseur. Elle entame une réflexion sur l’engagement militaire occidental en Afghanistan et au Pakistan. Le budget de guerre est préservé : le président américain a promulgué mercredi un texte de loi essentiellement consacré au financement des deux conflits. En tout, 106 milliards de dollars sont engagés par le Trésor américain, dont 79,9 milliards pour couvrir les frais de guerre jusqu’au 30 septembre. Cette décision s’accompagne d’une série de déclarations indiquant la volonté américaine de modifier la qualité de son intervention militaire pour tenter de regagner la confiance des populations.
Le pavot fleurit surtout là où les talibans concentrent leur rébellion, dans le sud du pays. (Photo : AFP)

Le pavot fleurit surtout là où les talibans concentrent leur rébellion, dans le sud du pays.
(Photo : AFP)

Un usage massif des bombardements aériens ; une guerre perdue contre la drogue : autant d’éléments de nature à détourner les Afghans des projets occidentaux pour leur pays et à favoriser leur ralliement aux insurgés, découvre l’administration américaine. Depuis l’arrivée à la Maison Blanche du président Obama, elle se livre donc à un bilan critique et s’apprête à opérer des « ajustements significatifs » par rapport à la politique conduite par la précédente administration de George W. Bush.

Mercredi, une semaine après avoir pris ses fonctions, le nouveau commandant en chef des forces internationales déployées en Afghanistan déclarait la gravité de la situation. Le général américain Stanley McChrystal constate qu’il y a « des zones où les insurgés talibans ont réussi à infiltrer les structures de gouvernance ». Toutefois, selon lui, ce n’est pas « irréversible ». Mais il va falloir changer quelque chose dans la façon de conduire la guerre. Il faut déployer des hommes sur le terrain et l’occuper de façon permanente, raison pour laquelle des effectifs supplémentaires sont en voie de déploiement ; et il faut, estime le général américain, diminuer le recours aux bombardements aériens. Les bavures enregistrées au fil des mois, avec de nombreuses victimes civiles, ont provoqué l’exaspération des populations. Le général McChrystal veut minimiser ces pertes civiles et va donc demander aux soldats engagés au sol de bien réfléchir avant de réclamer un soutien aérien afin d’éviter, dit-il, de « se faire piéger en ripostant avec trop de puissance de feu et finir par atteindre les gens (qu’on) tente de protéger ».

La question de la lutte contre la production de drogue, obsession américaine ancienne, montre ici aussi toutes ses limites. Le diplomate américain Richard Holbrooke annonce là aussi des « ajustements significatifs ». Il a expliqué au Congrès que la politique d’éradication des cultures de pavots était pire qu’inefficace car elle pousse les paysans, privés de moyens de subsistance, à rejoindre les insurgés. Ironie du sort, depuis la chute des talibans, en 2001, la culture du pavot prospère à nouveau et financerait même la rébellion à hauteur de 100 millions de dollars, alors que les talibans, qui l’avaient prohibée, avaient même réussi à l’enrayer brutalement. Actuellement, on estime que l’Afghanistan fournit 90% de l’opium disponible dans le monde.

Pakistan, l’autre front

L’autre volet de l’engagement américain concerne le Pakistan. Comme on le constate, la guerre a débordé les frontières de l’Afghanistan. Il n’est plus possible de soutenir que l’offensive menée par l’armée pakistanaise contre « ses talibans », dans ses zones tribales, est une affaire intérieure, indifférente au conflit qui se déroule de l’autre côté de la frontière, dont la porosité est unanimement reconnue. Comme ce fut le cas dans d’autres conflits de même nature, à d’autres époques, faute d’avoir pu être gagnée dans des délais raisonnables, cette guerre a franchi les limites du cadre et elle est désormais régionale.

James Jones, conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis.(Photo : John Gress/Reuters)

James Jones, conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis.
(Photo : John Gress/Reuters)

C’est pour s’en entretenir avec l’administration pakistanaise et évaluer les conséquences de l’extension du conflit, que le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche s’est rendu jeudi à Islamabad. La visite de James Jones intervient deux jours après des bombardements américains qui ont fait des dizaines de morts dans les zones tribales du nord-ouest, limitrophes avec l’Afghanistan et réputées bases-arrière des insurgés afghans. Officiellement, Washington ne reconnaît pas les interventions de ses avions sans-pilote dans l’espace aérien pakistanais. Régulièrement, Islamabad dénonce ce droit de poursuite exercé par la coalition contre les combattants talibans qui trouvent refuge en territoire pakistanais. C’est encore le cas ce jeudi : le gouvernement pakistanais dénonce une nouvelle « violation de souveraineté ». Mais, en réalité, il semble bien qu’on assiste là une vaste comédie dans laquelle Islamabad fait semblant de s’offusquer d’attaques planifiées et consenties ; les coups de colère simulés d’Islamabad contre Washington n’étant destinés qu’à élever un rideau de fumée devant une opinion publique définitivement incrédule.

Car les autorités pakistanaises ne peuvent pas renoncer à l’alliance stratégique qu’elles entretiennent avec les Etats-Unis sans risquer de compromettre leur stabilité intérieure et leur sécurité régionale. Elles sont engagées depuis plusieurs mois dans une offensive militaire de grande ampleur visant à restaurer leur souveraineté sur les zones tribales du nord-ouest, dont le contrôle leur échappait au profit des réseaux islamistes radicaux. Et le soutien militaire, financier et diplomatique de l’Amérique leur est indispensable.

Le Pakistan, malgré sa capacité nucléaire, demeure un pays assiégé à la fois par ses démons intérieurs et l’hostilité de son énorme voisin indien. D’ailleurs, après Islamabad, M. Jones est attendu à New Delhi.

A écouter

Alain Labrousse, ancien directeur de l'Observatoire géopolitique des drogues (OGD)

« Obama a déjà dit qu'il fallait faire un effort beaucoup plus grand dans le domaine du développement économique de la population afghane au détriment de l'intervention militaire. »

25/06/2009