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Iran

Des Iraniens entre peur et révolte

Article publié le 10/08/2009 Dernière mise à jour le 13/08/2009 à 10:20 TU

Les autorités dénoncent toujours l’ingérence étrangère dans les affaires politiques intérieures du pays. Le pouvoir conteste notamment les déclarations des pays occidentaux, mettant en doute la validité du procès instruit contre les opposants intérieurs et extérieurs du régime. En France, le président Nicolas Sarkozy a déclaré que la libération de la jeune française Clotilde Reiss était un « objectif prioritaire ». Témoignage d'une Iranienne qui raconte comment se sont déroulées les manifestations et la répression.

Des milliers de personnes ont manifesté le 9 juillet à Téhéran pour marquer le 10e anniversaire des émeutes étudiantes et afficher leur hostilité au pouvoir.(Photo: Reuters/via Your View)

Des milliers de personnes ont manifesté le 9 juillet à Téhéran pour marquer le 10e anniversaire des émeutes étudiantes et afficher leur hostilité au pouvoir.
(Photo: Reuters/via Your View)

Sepideh Farkhondeh a rencontré une étudiante iranienne Mariam, qui a assisté en juin et en juillet aux manifestations contre la réélection controversée de Mahmoud Ahmedinejad. Cette étudiante explique que Téhéran, la capitale, est quadrillée par les forces de l'ordre, mais que cela n'empêche pas la population de défiler dans les rues, pacifiquement, même si la police et les miliciens répriment à tour de bras. Mariam explique d’abord comment elle et des membres de sa famille ont vécu la manifestation du 9 juillet.

Mariam : On se dirigeait avec ma mère et mes deux sœurs vers l’avenue de la Révolution. Il y avait plein de policiers partout. Ce n’étaient pas des policiers, mais des miliciens habillés dans une tenue étrange. De la tête aux pieds, ils étaient habillés en noir, leur visage recouvert d’un masque noir, ils étaient armés avec des matraques, des pistolets. Il y en a un que j’ai vu moi-même, de mes propres yeux, il avait une sorte de grande épée, comme un couteau de boucherie mais beaucoup plus grand que ça et il chassait les gens avec ça. Donc, il faisait vraiment peur aux gens. Il a commencé à lancer du gaz lacrymogène, d’autres gaz qui piquent et ensuite te paralysent complètement, tu ne peux plus bouger, tu as l’impression de suffoquer, c’est vraiment horrible… Il a commencé à lancer ses gaz, les gens se sont dispersés.

Nous, nous avons perdu ma petite sœur. Ce n’était pas possible de la joindre par portable, parce que les portables ne marchaient plus. On voyait les miliciens qui venaient vers nous, mais ma mère, qui avait peur parce qu’on avait arrêté ma petite sœur, ne voulait pas bouger, et  donc elle restait là. Elle a insisté pour qu’on retrouve ma sœur. Les miliciens se sont approchés de nous et nous ont demandé de partir. Et puis, ils ont commencé à nous insulter et du coup, ma mère s’est fâchée, elle a dit : « Moi, je resterai ici, si vous voulez m’arrêter, arrêtez-moi ». Du coup, un milicien a donné un coup de pied dans le ventre de ma mère. Il faut vous expliquer que ma mère est une personne très religieuse, très pratiquante. Le jour de la manifestation, elle était habillée en manteau long et elle ne se teint jamais les cheveux, donc elle avait les cheveux gris. Elle était toute simple et en plus, c’est une institutrice à la retraite. Le milicien qui nous a brutalisées, a commencé à nous insulter. Il a appelé ma mère « une prostituée » alors qu’elle était juste inquiète pour ma petite sœur.

Sepideh Farkhondeh : Mais pourquoi votre mère continue-t-elle d’aller dans les manifestations ? Est-ce qu’elle se considère comme un partisan de Moussavi ?

Mariam : Ma mère avait voté pour Moussavi, mais en fait, après la mort de Neda (NDLR : Agha-Soltan, une jeune Iranienne abattue lors de la manifestation du 20 juin, devenue un symbole de la contestation), elle voulait participer à des manifestations. Ma mère a dit : « Il y a du sang qui coule, il y a des gens qui sont tués, donc je ne peux pas rester à la maison ». Ensuite, on est rentrées à la maison et c’est là qu’on a vu que ma mère avait une côte cassée.

Sepideh Farkhondeh : Vous avez expliqué que les miliciens sont présents pour disperser les gens et empêcher les grands rassemblements. Cette violence dont vous parlez, est-ce qu’elle est également visible les jours de deuil et même quand les manifestants sont silencieux ?

La police anti-émeutes dans les rues Téhéran, le 30 juillet 2009.(Photo: Reuters / YouTube)

La police anti-émeutes dans les rues Téhéran, le 30 juillet 2009.
(Photo: Reuters / YouTube)

Mariam : Ce qui m’a beaucoup choqué, c’est ce que j’ai vu le 30 juillet, c’était le 40ème jour après la mort de Neda. Les gens se sont donné rendez-vous devant le Mossala de Téhéran qui est un grand espace où se tiennent les cérémonies religieuses. Pendant la campagne électorale, c’est là, par exemple, que Ahmadinejad faisait venir ses partisans. Et en fait, Moussavi avait demandé l’autorisation de réunir les gens dans cet espace simplement pour allumer une bougie pour les victimes de cette manifestation. Il n’a pas obtenu cette autorisation. Mais les gens se sont quand même dirigés vers cet endroit, mais il était bouclé, donc on ne pouvait plus y pénétrer. Il y avait beaucoup, beaucoup de monde.

Neda Agha-Soltan(Photo: DR)

Neda Agha-Soltan
(Photo: DR)

Là, j’ai vu trois jeunes, deux garçons et une fille, âgés environ de 18-19 ans. La fille avait un manteau vert, je crois qu’elle avait une écharpe verte aussi. Et les 2 garçons portaient le bracelet vert qui est le signe de la contestation. Donc, ils étaient sur une moto et ils tenaient leurs doigts en signe de victoire. Moi, j’ai pris une photo parce que ça m’a impressionné – c’était vraiment beau à voir. Ils ne disaient rien, ils levaient juste leurs doigts en signe de V. J’ai rangé mon appareil photo. Quelques minutes après, j’ai vu 5 miliciens les attaquer : ils ont d’abord arraché la plaque de leur moto, et puis ils ont commencé à les battre, les battre à mort avec leurs matraques.

Nous, on n’était pas loin. J’étais vraiment choquée, on s’est arrêté, on a essayé de les aider et du coup, ce sont d’autres Bassidjis qui ont commencé à nous insulter, à nous ordonner de partir. Et moi, ce qui m’a en fait beaucoup marqué, c’est qu’un des garçons qui a été battu nous regardait dans les yeux. Il m’a regardé fixement, et j’ai vu son regard, mais je ne pouvais rien faire. Je peux vous dire qu’en fait,  les gens qui ne protestent pas aujourd’hui et qui peut-être ont soutenu Ahmadinejad ou Khameneï, ce sont des gens qui, soit sont  tentés par l’argent, soit sont  vraiment très naïfs,  parce qu’il suffit d’un peu de liberté d’esprit pour connaitre la vérité sur l’Iran.

La police anti-émeute prête à entrer en action, le 22 juin à Téhéran.(Photo : AFP)

La police anti-émeute prête à entrer en action, le 22 juin à Téhéran.
(Photo : AFP)

Sepideh Farkhondeh : Dans les quartiers de Téhéran, les gens ont donc été témoins des violences infligées aux manifestants. On sait aussi par Twitter et YouTube que les gens continuent ces jours-ci de scander le soir sur les toits : « A bas le dictateur » (le dictateur, c’est Ahmadinejad, NDLR), « Dieu est grand ». Avez-vous été personnellement témoin de cela et qu’est-ce que cela signifie ?

Mariam : Aujourd’hui quand les gens crient « Allah Akbar » sur les toits de leurs maisons, en fait c’est une manière de défier le régime. C’est risqué, parce que si on vous trouve en train de crier « Allah Akbar » sur le toit de votre maison, vous êtes coupable. Cet « Allah Akbar », aujourd’hui, ça n’a pas la même signification qu’avant. Il y a certains quartiers où il y a « Allah Akbar » tous les soirs, tous les soirs, à partir de 22h00 jusqu’à 22h30. Les cris sont plus forts dans les quartiers qui ont largement voté pour Moussavi.  Là, les gens ont moins peur.

Il faut aussi dire que les gens qui disent « Allah Akbar » sur leurs toits, ce ne sont pas les riches. Ils n’appartiennent pas aux classes aisées de la société. Moi-même, je ne viens pas d’une famille riche, donc ce n’est pas une question de richesse, ce n’est pas une question de croyance, c’est juste une question de respect des droits de l’homme. Donc, oui, vous entendez les gens sur les toits. Il y a en fait certains quartiers où les gens sont plus sûrs de leur sécurité, donc, ils disent « Allah Akbar » tous les soirs. Et il y a quartiers plus risqués, où vivent beaucoup de Bassidjis, donc là les gens font plus attention. Mais, le jour de la manifestation, vous entendiez dans tous les quartiers de Téhéran des gens qui disaient « Allah Akbar » sur leurs toits la nuit, même dans les quartiers pauvres.

J’ai entendu beaucoup parler des Bassidjis. Et aujourd’hui, ils ont une image très mauvaise auprès des gens. Mais, il faut savoir que tous les Bassidjis ne sont pas les mêmes. Moi, j’ai un proche de ma famille qui est un membre de Bassidj, il est membre à vie. Il était membre des Bassidj depuis la révolution. Il donnait des coups de main aux paysans. Après les élections, on est venu le chercher pour qu’il aille intimider les manifestants. Eh bien, lui, il a refusé d’y aller. Et pourtant, on lui a proposé de l’argent, une grosse somme d’argent en fait, 500 euros pour deux jours. Lui, il est vraiment pauvre, mais il n’a pas accepté d’y aller. Il a dit : moi, je ne suis pas prêt à aller frapper des gens qui pourraient être mes propres enfants. Donc, aujourd’hui même chez les Bassidjis, il y a des divisions internes. Peu importe leurs conditions de vie, peu importe leurs croyances religieuses, tous ne sont pas prêts à frapper les gens dans les rues.

A écouter

Seyed Mehdi Miraboutalebi, ambassadeur d’Iran en France

« Cette demoiselle a préféré enseigner la langue française pendant quinze jours au milieu des manifestants et de l'agitation, il y a un certain nombre de chefs d'accusation à son encontre. »

11/08/2009