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Afghanistan

Elections dans un pays en guerre

Article publié le 16/08/2009 Dernière mise à jour le 17/08/2009 à 07:23 TU

Le 20 août 2009, les Afghans seront appelés aux urnes pour élire leur président et leurs représentants provinciaux. C’est le deuxième scrutin présidentiel depuis la chute des talibans en 2001. La situation s’est passablement dégradée sur le plan sécuritaire depuis les présidentielles de 2004 et les législatives qui ont suivi fin 2005. La résurgence du mouvement taliban au lendemain de ces échéances est mise sur le compte des trop faibles moyens mis en œuvre par la communauté internationale pour venir en aide aux autorités afghanes ainsi qu’au bilan contesté de l’équipe au pouvoir, et notamment à la persistance d’un niveau de corruption élevé, dans la ligne de mire de tous les candidats se présentant contre Hamid Karzaï.

De notre envoyée spéciale à Kaboul, Sophie Malibeaux

Affiches électorales dans les rues de Herat à l'ouest de l'Afghanistan, le 16 août 2009.(Photo: Reuters)

Affiches électorales dans les rues de Herat à l'ouest de l'Afghanistan, le 16 août 2009.
(Photo: Reuters)

Tant du point de vue du pouvoir afghan que des pays engagés militairement à ses côtés, ces élections en forme de défi, relèvent d’une stratégie de mise en échec de l’insurrection. D’où le maintien de cette échéance politique, envers et contre tout. A défaut, tout le processus enclenché à Bonn au lendemain de la chute du régime taliban, visant à l’instauration d’institutions démocratiques en Afghanistan, serait réduit à néant. Mais la montée en puissance des insurgés depuis 2006, avec une capacité de frappe désormais étendue à l’ensemble du pays et pas seulement dans leurs bastions du sud et de l’est, risque néanmoins de porter atteinte à la crédibilité du scrutin. C’est toute l’ambiguïté de la tenue d’un scrutin dans un pays en guerre. Les conditions de sécurité rendront forcément l’accès des électeurs aux bureaux de vote très inégal, selon les provinces, en fonction de l’implantation de groupes d’insurgés plus ou moins radicaux. 

Le président de tous les Afghans ?

Une portion de la  population -difficile à évaluer- sera sans doute empêchée d’accéder aux urnes du fait du harcèlement pratiqué depuis plusieurs mois par des groupes talibans dans de nombreuses provinces du pays. Le nord et l’ouest n’ont pas été épargnés par les attentats et les attaques suicides conduits contre les forces de l’ordre, les candidats et le personnel électoral. Le sud et l’est restent néanmoins les zones les plus affectées par les violences. Des régions presque entièrement peuplées de pachtounes pourraient ainsi rester à l’écart du scrutin, ce qui priverait le président sortant, d’une partie non négligeable de son électorat. D’où les efforts mis en avant par l’équipe au pouvoir afin de conclure des accords de circonstances avec des chefs talibans, tentés de faire la sourde oreille aux appels au boycott lancés par le mollah Omar et la hiérarchie du mouvement. L’administration Karzaï, et notamment le frère du président choisi pour être son directeur de campagne –Ahmed Wali Karzaï - se sont emparés de cet argument pour mobiliser les électeurs contre le seul candidat capable de faire de l’ombre au président sortant, le Dr. Abdullah. Celui-ci estime que l’équipe Karzaï crie au loup sans raison, et qu’une victoire de l’opposition ne jetterait pas le pays dans le chaos. En tout cas, pas plus qu’il ne l’est actuellement.

Un parfum de contestation

Avant même la fin de la campagne électorale, le climat est lourd de contestation. Les derniers meetings d’Abdullah Abdullah ont servi à dénoncer une élection courue d’avance. Le système électoral du vote à la majorité absolue prévoit la possibilité d’un second tour entre les deux meilleurs candidats, au cas où aucun des prétendants ne remporterait plus de 50% des suffrages dès le 20 août. Pourtant, cette éventualité est si peu envisagée qu’aucune date n’a été fixée d’avance. Selon une source diplomatique afghane, la tenue d’un second tour nécessiterait des financements supplémentaires difficiles à trouver. Peu d’observateurs mettent en doute la réélection de Hamid Karzaï. Mis en selle par George W.Bush dès la première phase de la transition afghane en 2002, celui-ci a connu des débuts difficiles avec la nouvelle administration américaine. Barak Obama et son entourage n’auraient cependant pas trouvé de solution de rechange.

Des femmes attendent le taxi à Kaboul, le 16 août 2009.(Photo: Reuters)

Des femmes attendent le taxi à Kaboul, le 16 août 2009.
(Photo: Reuters)

Les talibans courtisés

A l’extérieur, comme à l’intérieur, la thématique de la réconciliation et de l’ouverture d’un dialogue avec les talibans n’a jamais tant fait recette. Jusque là très critique vis-à-vis d’Hamid Karzaï et de sa politique de la main tendue aux talibans, le Dr. Abdullah lui reproche aujourd’hui de ne pas en faire assez. De fait, la nécessité d’intégrer les talibans à la vie politique du pays dans une logique de réconciliation est devenue l’un des sujets les plus en vue de la campagne. Alors que l’insurrection fait rage, jamais les talibans n’ont été aussi courtisés.

Des candidats à court d’arguments

C’est que les différents candidats n’affichent pas de véritables programmes de gouvernement. Tous s’entendent sur la nécessité de lutter contre la corruption qui gangrène l’administration et contre la culture de l’opium qui nourrit l’insurrection. Le propre frère du président Karzaï dirige la campagne du président sortant, lui qui est la cible d’accusations récurrentes pour son implication dans l’économie de l’opium. A contrario, l’un des candidats les plus crédibles sur la question de la lutte anti-corruption et anti-narcotique, Ramazan Bachardost, s’est fait tellement d’ennemis en dénonçant ces plaies de la société afghane, que son isolement sur la scène politique lui accorde peu de chance de succès.

Favorisé par l’administration qu’il dirige depuis près de huit ans, le président Karzaï se trouvent néanmoins fragilisé par les attaques virulentes d’hommes qui ont tous –à un moment ou à un autre, travaillé à ses côtés, qu’il s’agisse de son ancien ministre des Affaires étrangères Abdullah, de son ancien ministre des Finances, Ghani ou de son ancien ministre du Plan, Bachardost. Mais les rivalités de personnes n’ont pas permis de créer un front d’opposition uni. D’autant que la vie politique reste embryonnaire, du fait de l’inexistence de divergences partisanes. Il n’y a pas de jeu des partis à l’Assemblée. C’est le pouvoir en place qui en est responsable, en ayant empêché les candidats aux élections législatives de 2005 de se présenter au nom de partis politiques. Les critères individuels et les critères ethniques ont ainsi été entretenus.

Pourtant, si le président Karzaï ne parvenait pas à remporter la présidentielle au premier tour, l’on pourrait assister –cette fois-ci- à un jeu d’alliance, qui cette fois, dépasseraient les clivages traditionnels.

Reste à savoir si une telle éventualité ferait courir le risque d’une déstabilisation du pays, comme semblent le craindre les Occidentaux ou le ferait progresser sur la voie démocratique.