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Ecosse / Libye

La libération d’al-Megrahi continue de faire des vagues

par Piotr Moszynski

Article publié le 24/08/2009 Dernière mise à jour le 24/08/2009 à 23:22 TU

Le ministre écossais de la Justice, Kenny MacAskill, n’en finit pas d’expliquer sa décision de libérer le Libyen Abdelbaset al-Megrahi, le seul condamné pour l’attentat de Lockerbie. Le ministre est intervenu de manière exceptionnelle devant le Parlement écossais. L’ampleur de la polémique internationale continue. Les Américains ne veulent pas en rester là et Londres annule la visite officielle en Libye du prince Andrew.

Le ministre écossais de la Justice Kenny MacAskill lors de la session extraordinaire du Parlement à Edimbourg, le 24 août 2009.(Photo : Reuters)

Le ministre écossais de la Justice Kenny MacAskill lors de la session extraordinaire du Parlement à Edimbourg, le 24 août 2009.
(Photo : Reuters)

Réuni en session extraordinaire, le Parlement écossais a entendu, ce lundi, le ministre de la Justice expliquer de nouveau les raisons qui l’ont amené à prendre la décision controversée de libérer Abdelbaset al-Megrahi, condamné à la prison à vie pour la mort de 270 personnes dans l’attentat de Lockerbie.

Kenny MacAskill s’était déjà longuement expliqué le jour de la libération du Libyen, le 20 août dernier, mais la décision a fait tellement de bruit que le Premier ministre écossais lui-même, Alex Salmond, a dû prendre la défense de son pays et de son gouvernement face à une vague de critiques internationales. Et le ministre s’est vu obligé de renouveler ses explications, cette fois devant le Parlement.

Deux logiques

Dans le débat à l’échelle internationale, deux logiques s’affrontent : juridico-humanitaire et politico-morale.

L’Ecosse est attaquée surtout sous l’angle politico-moral. Les critiques fusent principalement du côté des Etats-Unis, au plus haut niveau gouvernemental. Le président Barack Obama, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et le directeur du FBI Robert Mueller n’ont pas hésité à protester haut et fort contre ce qu’ils considèrent presque comme une trahison des Ecossais. L’accueil d’al-Megrahi en héros par les autorités libyennes, ainsi que les analyses des médias présentant comme un « triomphe » de la diplomatie libyenne non seulement la libération du détenu libyen, mais aussi les excuses de la Suisse pour l’arrestation « infondée » d’un des fils du colonel Kadhafi, n’ont certainement pas contribué à calmer le jeu.

Dans une lettre acerbe au ministre écossais Kenny MacAskill, le chef du FBI juge sa décision inexplicable. Pire, selon ce responsable américain, cette décision risque d’avoir pour conséquence politique directe de « conforter les terroristes à travers le monde » et de « ridiculiser l’état de droit ». Lourdes accusations, quand on s’explique entre deux pays démocratiques.

Mais les victimes de l’attentat de Lockerbie étaient en majorité américaines et les dirigeants de Washington ne peuvent pas ignorer la colère et la déception des familles. En effet, la décision prise à Edimbourg a dû être dure à vivre pour elles, dans la mesure où, pour pouvoir faire le deuil d’une personne assassinée, il doit être assez important de savoir que le coupable est puni. Or les familles ont dû, non seulement supporter des années de tractations et marchandages assez humiliants avec les Libyens, non seulement vivre dans la conviction que tous les vrais coupables n’ont pas été traduits devant la justice, mais encore éprouver maintenant l’humiliation de voir le seul condamné dans cette affaire libéré et accueilli triomphalement à Tripoli par le colonel Kadhafi. Humiliation assortie de suggestions du fils de celui-ci indiquant que la libération en question serait liée à des accords commerciaux entre la Libye et la Grande-Bretagne.

www.boycottscotland.com

Dans un réflexe de défense psychologique collective, les Américains s’en prennent non seulement à l’Ecosse, mais au Royaume-Uni tout entier, bien que, du moins sur le plan purement formel, le gouvernement britannique n’ait pas eu voix au chapitre dans cette affaire, la justice écossaise jouissant d’une pleine autonomie. L’initiative citoyenne la plus spectaculaire en Amérique, c’est la création du site « www.boycottscotland.com » (ce qui veut dire « boycottez l’Ecosse »). On y invite les internautes à ne plus se rendre en Ecosse ou à remplacer le whisky écossais par celui produit en Irlande, au Canada ou aux Etats-Unis…

Du côté écossais, on s’étonne de la violence des réactions à une décision présentée à Edimbourg comme strictement conforme à la législation du pays et motivée uniquement par des raisons humanitaires. « La procédure de libération pour raison humanitaire – explique patiemment le Premier ministre Alex Salmond – n’a rien à voir avec la culpabilité ou l’innocence de la personne concernée. Il s’agit d’une mesure fondée essentiellement sur l’état de santé du détenu ». Selon  la loi écossaise, un condamné peut bénéficier d’une telle procédure si, selon les médecins, il n’a plus que trois mois au maximum à vivre. Or al-Megrahi est atteint d’un cancer de la prostate en phase terminale.

Décision « incroyablement difficile »

Alex Salmond ne cache pas que la décision était « incroyablement difficile » à prendre. En effet, la question qui se pose dans des circonstances de ce genre est la suivante : faut-il considérer que le fait de mourir précocement dans de grandes souffrances à cause d’un cancer est une punition suffisante pour un terroriste coupable de la mort de 270 personnes et que le laisser, en plus, croupir en prison serait équivalent à lui infliger une double peine – ou alors faut-il se rappeler que lui-même ne s’était guère soucié des souffrances qu’il a fait subir à ses victimes et à leurs familles, et donc, à notre tour, ne pas se soucier des siennes et lui appliquer froidement la peine prévue par le verdict jusqu’à son terme ?

L’Ecosse a choisi la première solution, bien que la deuxième semble aussi légitime. C’est son droit et elle paraît assez fière d’avoir fait ce choix. Contrairement aux familles des victimes américaines, de nombreuses familles écossaises soutiennent la décision de Kenny MacAskill. « Les Ecossais – a-t-il expliqué devant le Parlement – sont des gens fiers de leur humanité (...). Une atrocité perpétrée (...) ne peut pas et ne doit pas être l'occasion de perdre de vue ce que nous sommes ».

Paradoxalement, le spectacle organisé à Tripoli autour de l’arrivée d’al-Megrahi a démontré encore mieux, par effet de contraste, l’énorme dignité et la solidité des valeurs des Ecossais. Même si, en même temps, ils ont fait preuve d’une certaine naïveté politique. Selon le ministre de la Justice écossais, « des assurances avaient été données » du côté libyen que le retour d’al-Megrahi « serait traité de manière discrète et sensible ». Une preuve de plus que les promesses en politique n’engagent que ceux qui les croient.

Débat sur la libération d'al-Megrahi au Parlement écossais

« Il a révélé que la Libye lui avait assuré d'accueillir son ressortissant dans la discrétion et avec tact. »

25/08/2009