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Tchad / Sénégal/Justice internationale

Procès Habré, quels progrès ?

Article publié le 17/09/2009 Dernière mise à jour le 18/09/2009 à 08:18 TU

La plainte déposée par les 14 victimes, le 16 septembre 2008.(Photo : Laurent Correau)

La plainte déposée par les 14 victimes, le 16 septembre 2008.
(Photo : Laurent Correau)

Il y a un an, les victimes d’Hissène Habré déposaient une plainte devant la justice sénégalaise pour essayer d’accélérer la marche vers un procès de l’ancien président tchadien. Un an plus tard, l’instruction de cette plainte n’a pas encore été ouverte et ces victimes protestent dans un communiqué « contre l’immobilisme du Sénégal ». Les autorités leur répondent en disant que des progrès ont été réalisés, mais que la question du financement du procès doit toujours à être réglée.

De notre correspondant à Dakar, Laurent Correau

« Le Sénégal nous méprise depuis dix-neuf ans. Pendant ce temps, les victimes meurent les unes après les autres sans avoir obtenu justice ! Depuis dix-neuf ans, nous nous battons pour que la justice se prononce sur les atrocités que nous avons subies, mais le Sénégal refuse de nous entendre. » Clément Abaïfouta, le président de l’AVCRP, l’Association des victimes des crimes et répressions politiques au Tchad est en colère. La première plainte déposée contre Hissène Habré au Sénégal date de 2000. Il ne voit toujours pas l’affaire avancer, et l’espoir soulevé par le dépôt d’une plainte l’année dernière semble bien être retombé.

Il y a un an, Jacqueline Moudeïna, la présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme était sortie rassérénée du tribunal installé au bloc des madeleines, immédiatement après l’enregistrement de cette plainte déposée par 14 victimes. L’avocate avait solennellement lancé : « Cet acte posé ce matin donne de l’espoir aux victimes qui, à un moment donné, étaient complètement aux abois, parce que la lenteur qu’accusait le Sénégal ne pouvait pas faire penser à l’aboutissement de cette procédure judiciaire. Mais maintenant, les victimes sont rassurées que le Sénégal prendra en compte cet acte pour pouvoir assurer ses obligations internationales ».

C’est une Jacqueline Moudeïna dépitée qui a été jointe par RFI à Ndjamena, à l’occasion du premier anniversaire de ce dépôt : « Nous pensons que le Sénégal est vraiment décidé à ridiculiser les victimes d’Hissène Habré. A ce jour, nous n’avons aucune suite à la plainte qui a été déposée. »

Pourquoi cette plainte visant Hissène Habré n’a-t-elle pas encore été instruite par le procureur un an plus tard ? Selon des sources concordantes, les plus hautes autorités sénégalaises refusent de laisser commencer l’instruction tant que le montage financier du procès n’aura pas été réglé et que l’intégralité des fonds nécessaires n’aura pas été versée sur un compte spécialement ouvert à la BCEAO (Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest). Or, la question du financement reste pendante.

Longs ajustements entre l’UE, l’UA et le Sénégal

Les premières estimations du Sénégal sur le coût du procès (18,750 milliards de francs CFA, dont 5,856 milliards pour la réhabilitation du palais de justice du Cap Manuel) ayant été jugées excessives par les bailleurs de fonds, Dakar a été invité à revoir sa copie. Vu les difficultés à trouver un accord, l’Union africaine est entrée dans la danse.

Au début du mois de février 2009, le ministre sénégalais de la Justice annonçait dans une interview à Walfadjri : « On vient d’obtenir de l’UA qu’elle s’engage elle-même à arrêter le budget, à organiser avec l’Union européenne une conférence des bailleurs et des donateurs et que les fonds soient rassemblés pour nous permettre d’avancer dans la tenue du procès ».

Depuis, les deux organisations (UE et UA) et l’Etat sénégalais sont engagés dans un lent processus d’ajustement mutuel. Lors du sommet de l’Union africaine de Syrte, en Libye, en juillet dernier, la conférence des chefs d’Etat a adopté une « décision sur le cas Hissène Habré » dans laquelle elle prenait note « des estimations du budget définitif du procès » et invitait tous les pays et institutions partenaires « à participer à la table ronde des donateurs, qui sera organisée au dernier trimestre de 2009 à Dakar. »

Selon Demba Kandji, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère sénégalais de la Justice, les préparatifs de cette table ronde avancent. « L’Union africaine, sur la base des résolutions qui ont été prises à Syrte, a envoyé des experts à Dakar, qui ont avancé un certain nombre de paramètres tendant à la configuration de ce budget. Nous allons continuer à y travailler avant la tenue de cette table ronde des bailleurs de fonds. » Demba Kandji se dit affirmatif sur le fait que la réunion aura bien lieu avant la fin 2009.

Par la même occasion, ce magistrat répond aux critiques de la société civile sur l’ « immobilisme » de l’Etat sénégalais : « L’affaire avance, peut-être pas au grand jour, mais avance. Nous avons installé les juges ; ça c’est visible. Nous avons identifié les lieux qui seront affectés, éventuellement, à la tenue de ce procès (une aile de l’ancien palais du Cap Manuel). » Il annonce également : « Nous sommes en train d’échanger avec nos amis belges qui nous ont fait l’offre de mettre un certain nombre d’informations à notre disposition. Nous sommes en passe de leur envoyer des juges, pour s’enrichir de cette expérience et s’informer d’avantage auprès de ces magistrats du Royaume de Belgique. »

Les victimes pas convaincues

La plainte du 16 septembre des victimes d’Hissène Habré.(Photo : Laurent Correau)

La plainte du 16 septembre des victimes d’Hissène Habré.
(Photo : Laurent Correau)

Les victimes d’Hissène Habré et leurs défenseurs se disent sceptiques par rapport à ces arguments, et parlent de manœuvres dilatoires. A Dakar, Fatou Kama est chargée du dossier Hissène Habré à la Raddho, la Rencontre africaine des droits de l’homme. Elle reçoit dans un bureau plongé dans une quasi-obscurité par les délestages. « On nous dit : il n’y a pas d’argent on ne va pas commencer le procès, mais nous nous ne pensons pas que c’est un problème financier, maintenant, qui bloque le dossier. C’est juste une question de volonté politique. » La militante des droits de l’homme explique que l’Union européenne avait proposé la mise à disposition de 2 millions d’euros pour lancer la procédure, mais que le gouvernement sénégalais ne s’est pas saisi de l’offre.

« Il n’y a pas l’argent, mais l’argent ne nous empêche pas de travailler ! », s’emporte la jeune femme. On peut commencer à travailler et l’argent viendra après. Je ne pense pas que la communauté internationale s’engage et au cours de la procédure laisse le Sénégal seul. On ne peut pas avoir tout [tous les fonds] avant de commencer. C’est quasiment impossible… »

Dans le communiqué publié par le Comité international pour le jugement équitable d’Hissène Habré, le président de la Raddho, Alioune Tine, interpelle (lui) directement les autorités sénégalaises : « Le moment est venu de faire la lumière sur le jeu malsain du Sénégal qui consiste à poursuivre des manœuvres dilatoires depuis neuf ans afin d’éviter à Hissein Habré de comparaître devant la justice, explique-t-il. Comment comprendre que l'Etat sénégalais continue à défier de façon hautaine la décision de l'UA et des Nations unies depuis 2006 ? L’immobilisme absolu du Sénégal, un an après la plainte des victimes, est révélateur de l’absence totale de volonté politique dans cette affaire. Le Sénégal voudrait pousser les victimes de Hissène Habré à saisir une juridiction occidentale, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. »