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Chine/Droits de l'homme/Entretien

Francis Perrin: « Pour les autorités chinoises, la stabilité justifie la répression »

par  MFI

Article publié le 30/09/2009 Dernière mise à jour le 30/09/2009 à 19:21 TU

Membre du bureau exécutif d’Amnesty International, Francis Perrin était le porte-parole de l’organisation pendant les Jeux olympiques de Pékin. Il estime que la situation des droits humains reste très inquiétante en Chine. Selon lui, la répression ne se fait plus au nom de dérives idéologiques, mais pour garantir la paix sociale et la stabilité du pays. La poursuite du développement économique exigera cependant davantage de libertés politiques.

MFI : Comment qualifieriez-vous la situation des droits de l’homme aujourd’hui en Chine ?

Francis Perrin : Il ne faut pas se voiler la face. La situation des droits humains est très préoccupante en Chine, et nous ne voyons aucun signe tangible d’amélioration. Certes, la Cour suprême examine désormais toutes les condamnations à mort prononcées par des juridictions de première instance. A en croire les autorités chinoises, cette mesure a entraîné une baisse du nombre d’exécutions, mais les chiffres sont difficiles à vérifier. La certitude est que l’Empire du milieu reste de loin le pays au monde où le nombre de condamnations à mort est le plus élevé.

Aucun progrès n’est enregistré en matière de liberté religieuse, de liberté d’association, de liberté d’opinion… Les droits fondamentaux ne sont pas respectés en Chine. C’est particulièrement grave dans un pays de cette puissance, membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, dont la voix compte sur les grands dossiers de la planète. Les militants des droits de l’homme – qui n’agissent pas pour défendre leur intérêt personnel, mais une cause juste – sont surveillés, harcelés, condamnés à la première occasion. Même des victimes lorsqu’elles réclament justice peuvent être arrêtées, emprisonnées, persécutées. Ainsi, les victimes du tremblement de terre qui a frappé le Sichuan au printemps 2008 ont été durement réprimées quand elles ont critiqué les autorités et manifesté pour savoir la vérité sur les conditions de construction des écoles où avaient péri leurs enfants.

Les droits civils et politiques ne sont pas respectés, les droits sociaux non plus. Il n’existe pas de syndicats indépendants, les ouvriers sont souvent exploités, le sort des travailleurs migrants – qui quittent les campagnes pour les villes – est particulièrement inquiétant ; ils n’ont aucun droit, peuvent être renvoyés du jour au lendemain, ont l’interdiction de faire venir leur famille avec eux.

MFI : Néanmoins, les grèves, les manifestations sont de plus en plus fréquentes. Cela ne témoigne pas d’une plus grande liberté d’expression ?

F. P. : Il est vrai que les gens ont davantage conscience de leurs droits, qu’ils osent réclamer justice, malgré les risques que cela représente. Il s’agit souvent de mouvements spontanés de la société civile ; les habitants d’un quartier, les paysans d’un district… qui n’acceptent plus de se laisser faire lorsqu’ils s’estiment lésés, qui entendent défendre leurs intérêts. De tels mouvements sont porteurs d’espoir à long terme. Aujourd’hui, ils ne sont pas organisés et ne défendent que des intérêts particuliers, mais ils auraient été impossibles il y a vingt ans, et seront certainement mieux structurés dans vingt ans. Les autorités ne peuvent pas ignorer la multiplication des revendications. Ces manifestations spontanées les inquiètent car conserver la paix sociale est l’une de leurs priorités.

Néanmoins, il est encore bien trop tôt pour crier victoire. Lorsque le pouvoir le décide, la répression est immédiate et musclée. Des milliers de personnes sont emprisonnées – même pour de courtes périodes – simplement pour avoir réclamé justice.


MFI : Les atteintes aux droits de l’homme aujourd’hui sont-elles du même type qu’à l’époque maoïste ?

F. P. : Les méthodes répressives sont les mêmes aujourd’hui que dans les années 1950 ou 1960. La différence est l’ampleur ; on ne voit plus aujourd’hui de répressions de masse comme à l’époque de la Révolution culturelle. Les arrestations sont ciblées ; elles concernent un individu ou un groupe précis, pour des faits précis, même si elles restent inacceptables lorsqu’il s’agit d’atteintes aux libertés fondamentales. Ainsi, des chrétiens peuvent être harcelés pour avoir célébré une messe. C’est un groupe précis pour un fait précis, mais c’est une atteinte inadmissible à la liberté religieuse. L’arbitraire crée un sentiment d’insécurité: pour un même fait, une personne sera surveillée ou interrogée dans une région mais pas dans une autre, un mois mais pas le suivant.

La différence d’avec le passé, c’est que les « dérives idéologiques » ne sont plus la raison principale des atteintes aux droits humains. Les autorités ne brandissent plus en permanence le drapeau du communisme international. Personne n’est arrêté pour avoir déclaré, lors d’un dîner privé entre amis, que le Petit livre rouge était mal écrit. Ce qui importe aux autorités chinoises, c’est la paix sociale et la stabilité du pays. Si une personne ou un mouvement menace cette stabilité, alors la répression se met en route. Les revendications des Tibétains ou des Ouighours sont matées car Pékin les considèrent comme une menace à l’unité nationale, une voie vers le séparatisme de certaines provinces.

En matière sociale et politique, le gouvernement cherche à déminer les conflits. C’est pourquoi il satisfait régulièrement les demandes de manifestants en butte avec des autorités locales. L’essentiel est de préserver la stabilité sociale, dans un pays qui connait déjà d’importants bouleversements. Mais si un mouvement prend de l’ampleur ou s’il conteste le système même, alors il est réprimé. C’est pourquoi, en juin 1989, les manifestants de la place Tian-an-Man se sont retrouvés avec des chars face à eux. C’est pourquoi Internet est si surveillé. C’est pourquoi aucun syndicat ou parti politique n’est toléré.

MFI : Si la Chine veut poursuivre son développement économique, sera-t-elle obligée à terme d’accorder plus de libertés politiques ?

F. P. : Je le pense. L’être humain ne se découpe pas en tranches. On ne peut pas exiger de lui qu’il soit créatif, autonome, entreprenant, doué d’initiatives au travail, et qu’il abandonne ces mêmes qualités dans sa vie privée. L’économie, ce n’est pas que du capital et des matières premières. Ce sont aussi des hommes et des femmes qui ont besoin d’un équilibre personnel pour pouvoir être performants dans leur travail. La façon dont ils sont reconnus, respectés, écoutés guide cet équilibre personnel. L’ingénieur, l’informaticien, à qui on demande d’être imaginatif, suffisamment libre intellectuellement pour concevoir des produits qui se vendront dans le monde entier, finira par revendiquer cette même liberté comme citoyen. C’est pourquoi, pour poursuivre son développement économique, la Chine devra finir par assouplir son système politique.

En outre, les Chinois ne se contenteront pas éternellement d’une amélioration de leur niveau de vie. Une fois leurs besoins matériels satisfaits, ils réclameront de meilleures qualités de travail – donc plus de libertés sociales – et davantage de libertés publiques. Le phénomène se constate dans tous les pays, une fois atteint un certain niveau de développement.

Les dirigeants chinois en sont conscients. Ils n’évacuent plus la question des droits de l’homme d’un revers de la main. Ils reconnaissent le concept et son universalité, mais l’interprète toujours de façon restrictive. Le discours évolue progressivement, même si la pratique reste répressive.