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Chine

Diplomatie « made in China »

par Georges Abou

Article publié le 30/09/2009 Dernière mise à jour le 30/09/2009 à 20:55 TU

Structurée pendant les trente premières années de son existence autour d’une rhétorique idéologique marquée par l’autarcie économique et le répertoire anti-impérialiste, la République populaire de Chine a brusquement normalisé ses relations avec la communauté internationale au tournant des années 70, en même temps qu’elle procédait à la modernisation de son économie.

Un homme et sa fille se tiennent devant la bannière célébrant le 60e anniversaire de la création de la République Populaire de Chine, le 27 septembre 2009. (Photo : Stringer / Reuters)

Un homme et sa fille se tiennent devant la bannière célébrant le 60e anniversaire de la création de la République Populaire de Chine, le 27 septembre 2009.
(Photo : Stringer / Reuters)

C’est une évidence incontestable : dans les décisions qui engagent la communauté internationale, il n’est plus envisageable de se passer de l’avis de la Chine. Ce pays est désormais en mesure de peser d’un poids considérable sur tout dossier de politique étrangère. Dans l’examen des problèmes dont la communauté internationale est saisie, la position de Pékin, voire sa susceptibilité, est toujours l’objet d’une considération attentive. La Chine n’a certes pas le profil d’une hyper-puissance de nature impérialiste, mais aujourd’hui ses positions influencent toute prise de décisions internationale.

C’est le résultat de trente ans de réformes, sous la conduite des présidents Deng Xiaoping, Jiang Zemin et Hu Jintao, notamment. C’est également la conséquence d’une évolution en forme d’ouvertures, économique et vers l’extérieur, dont les racines plongent au cœur même de la révolution chinoise, mais dont la mise en œuvre s’est nécessairement heurtée au processus révolutionnaire qui a caractérisé l’histoire moderne de la Chine depuis la prise du pouvoir par les communistes, en 1949.

« Grand bond en avant » et « Révolution culturelle »

Les communistes chinois arrivent au pouvoir dans un contexte dominé par une redéfinition des statuts et une redistribution des rôles au sein d’une communauté internationale profondément affectée par les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale. Les puissances anciennement dominantes sont déclinantes et les guerres de libération anticoloniales nourrissent largement le débat de politique étrangère.

Le poste de la Chine à l’ONU est occupé par Formose (Taiwan) où Tchang Kai-chek s’est réfugié après sa défaite face à l’armée populaire conduite par Mao Zedong. Privée de légitimité internationale, c’est naturellement avec les peuples engagés sur la voie des indépendances que la Chine communiste établit ses premières relations internationales. Le ministre des Affaires étrangères (également Premier ministre) s’appelle Zhou Enlai.

En 1954, il conduit la délégation chinoise à la conférence de Genève, qui aboutit à la décolonisation du Vietnam. L’année suivante il est en Indonésie, à Bandung où, aux côtés des Tito, Nehru, Nasser, Sihanouk, naît le mouvement des pays non-alignés qui se donne pour mission de promouvoir les indépendances des pays coloniaux, de défendre leur souveraineté, leur sécurité et leur intégrité territoriale ; et de leur apporter toute contribution utile dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, la ségrégation, le racisme, le sionisme et toute forme d’agression, d’occupation, de domination, d’interférence, d’hégémonie de la part des grandes puissances ou des blocs politiques.

Cette profession de foi dresse les contours d’un programme diplomatique initial marqué à la fois par la radicalité révolutionnaire et la place accordée aux pays nouvellement indépendants, dont on ignore encore qu’ils seront bientôt des puissances émergentes, voire des hyper-puissances en devenir.

Pourtant, de Zhou Enlaï,  ce n’est pas l’œuvre diplomatique révolutionnaire que retiennent ses biographes mais, au contraire, sa volonté de tisser des liens avec les Occidentaux. Enfant, il a étudié au Japon, jeune homme, il a vécu en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Sa loyauté à l’égard des idéaux du communisme sont indiscutables, mais il ne soutient pas le principe d’une Chine isolée et autarcique. Zhou Enlai est l’artisan du désenclavement et des premières réformes économiques. La confiance que lui témoigne Mao Zedong le protège de la brutalité des grandes impostures révolutionnaires du « Grand bond en avant » des années 50 et autre « Révolution culturelle » des années 60.

La diplomatie du ping-pong

Patiemment, discrètement, Zhou Enlaï envoie des émissaires à l’Ouest et noue des contacts avec des diplomates occidentaux, dont un certain Henry Kissinger, conseiller du président des Etats-Unis, Richard Nixon. Sa volonté d’ouverture rencontre celle des Américains de contenir la menace soviétique et, au-delà des divergences et du profond antagonisme entre les deux régimes, Pékin et Washington trouvent un tapis vert autour duquel se rencontrer : ce sera une table de ping-pong. Nous sommes en 1971, l’équipe américaine de tennis de table se rend à Pékin en marge des 31e championnats du monde. C’est le premier acte diplomatique officiel entre les deux pays depuis 1949.

Six mois plus tard, le 26 octobre 1971, l’Assemblée générale de l’ONU accède enfin à la demande d’adhésion de la Chine qui devient membre de l’organisation internationale. En février 1972, le président Nixon fait le voyage de Pékin. En 1979, le président Jimmy Carter termine le travail en établissant des relations diplomatiques formelles entre Washington et Pékin, ultime étape de la normalisation des relations diplomatiques entre la Chine et l’ensemble de la communauté internationale. Pour Taiwan, c’est une trahison.

Ces années 70 marquent un profond changement d’orientation. Décomplexé par ses succès diplomatiques et son retour parmi les nations, Pékin est débarrassé de ses obsessions sécuritaires. Le spectre de la menace d’une guerre imminente s’estompe et la Chine peut enfin concentrer ses efforts sur le développement et la défense de ses intérêts nationaux : combattre les forces centrifuges en sauvegardant la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale (Tibet, Xinjiang), réaliser la réunification des provinces séparatistes (Taiwan) ou des territoires sous contrôle de l’étranger (Macao, Hong Kong) et se faire des amis, le plus possible, sur tous les continents.

L’interdépendance et souveraineté

Outre les grandes instances internationales avec lesquelles elles travaillent (ONU) et dialoguent (UE, OTAN), les autorités chinoises sont impliquées dans les travaux des différentes instances régionales à l’égard desquelles elles sont soucieuses de maintenir un partenariat privilégié : l’Organisation de la conférence de Shanghai sur leur frontière ouest, l’ASEAN sur leur frontière sud, l’APEC et les « pourparlers à 6 » (sur la Corée du Nord) sur leur frontière est.

C’est la diplomatie dite « du périmètre » que Pékin protège comme une assurance-vie face à une opinion publique internationale qui manifeste une sensibilité exacerbée à des affaires intérieures qui, selon Pékin, relèvent de sa stricte souveraineté et des gouvernements occidentaux toujours prompts à menacer Pékin de sanctions.

Pourtant, en raison de l’interconnexion de plus en plus étroite entre l’économie chinoise et celles de ses partenaires, et de l’interdépendance entre Pékin et ses associés sur le plan diplomatique, commence à émerger l’idée dominante qu’il devient compliqué de critiquer la Chine sans se punir soi-même.

 Les derniers soubresauts de l’économie mondiale ont montré que la croissance chinoise a certainement permis d’éviter de creuser davantage les déficits américains. Et, dans ces conditions, il est vraisemblable qu’en dépit de la persistance prévisible des différends de nature idéologique, l’interdépendance toujours plus profonde entre les économies devrait certainement peu à peu atténuer la vivacité des débats. C’est en tout cas un objectif stratégique pour la Chine : des relations internationales marquées par la prospérité au service de l’harmonie.

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(Photo : Reuters/Paul Zhang)