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Philippines

New Bilibid, la prison de haute liberté

Article publié le 01/10/2009 Dernière mise à jour le 01/10/2009 à 21:27 TU

La prison de haute sécurité de New Bilibid, à côté de Manille, est le plus grand centre de détention des Philippines. Et elle est réservée aux plus grands criminels de l’archipel : violeurs, assassins et même terroristes. Cependant, le manque de moyens et le peu de gardes disponibles a fait de cette prison un endroit unique, où les détenus sont libres de circuler et de faire du commerce, et même de recevoir leurs épouses une fois par semaine, pendant toute la nuit. Une formule, qui aurait même fait drastiquement baisser la criminalité.

(Crédits photos : Andy Maluche)

De notre correspondant à Manille, Sébastien Farcis

« Jeu, set et match ». Les joueurs de tennis lâchent leur raquette, et rejoignent les bancs. Il commence à faire chaud en cette fin de matinée tropicale. L’ambiance est décontractée, autour de ce cours en coquillages battus. Tout, ici, pourrait faire penser à un club de tennis de classe moyenne de Manille, si ce n’était l’inscription en lettres capitales rouges, peinte sur la façade en face des bancs : « MAXIMUM SECURITY PRISON ».

Warren Zinparan n’a pas peur d’ironiser sur ce décalage : « ce club de tennis est le plus exclusif du monde, car vous devez d’abord être condamné à 20 ans de prison avant de pouvoir en faire partie », lâche cet homme de 35 ans, dans un rire contenu. Warren est le responsable de l’association Lamb of God, formée des personnes les plus éduquées de la prison, et qui gère les œuvres sociales et caritatives à l’intérieur. Cet ingénieur de formation, condamné à 20 ans de prison pour homicide involontaire sur un ancien camarade de classe, est en contact régulier avec le directeur de la prison par SMS. Ce directeur, comme d’ailleurs la plupart des gardes de la New Bilibid, ne rentrent pratiquement jamais à l’intérieur de l’enceinte de ce qui ressemble à une prison autogérée. Une prison sans gardes, ou presque : ce centre pénitentiaire de haute sécurité ne compte que 143 gardes de service en même temps, pour 20 000 prisonniers.

Un taux de criminalité étonnamment bas

C’est que la New Bilibid manque cruellement de moyens, ce qui a obligé la direction à adopter une gestion très particulière. La sécurité est assurée par les détenus eux mêmes, par l’intermédiaire de 12 gangs régionaux, et de leurs maires élus. Cette responsabilité a un double tranchant : les chefs sont punis en même temps que les fautifs en cas de grave infraction au règlement. Ce qui pousse à certaines actions préventives : « nous essayons au maximum d’empêcher les violences, et nous servons d’intermédiaires entre les personnes. Mais si cela ne suffit pas, il nous arrive d’infliger des punitions physiques sur les récalcitrants », explique Mario Reyes, commandant dans le gang Bantay Cebu. Warren Zinparan confie à demi-mots que des châtiments plus sévères arrivent, parfois. « Un homme peut être retrouvé mort un matin, et tout le monde dira qu’il s‘est brisé le cou en tombant de son lit… »

Mais en se promenant dans la prison, la violence semble absente des regards et des gestes des prisonniers. L’atmosphère est étonnement décontractée pour une prison de haute sécurité. Et le taux de criminalité, particulièrement bas pour un lieu de détention largement surpeuplé : seulement 56 morts en 2008, dont trois tués par balle et un par des coups de couteau, selon un rapport de la commission philippine des droits de l’homme.

Les détenus sont de fait libres de se balader pendant toute la journée dans les dix hectares de l’enceinte, et de faire du commerce. Des dizaines d’épiceries de quartiers sont remplies de nourriture, sodas ou friandises, des vendeurs de DVD piratés ambulants abordent les passants, dans les allées d’un marché rempli de fruits et légumes frais, alors que d’autres prisonniers sont assis en terrasse d’un café. Ce lieu de rétention donne le visage d’un village normal des Philippines.

Le « privilège de la visite des épouses »

On est samedi, jour spécial pour les détenus. Car en ce jour, ils peuvent recevoir la visite de leur famille, et leurs épouses peuvent même rester dormir sur place toute la nuit. Une révolution, dans ce lieu de détention masculin et surpeuplé. Dans les rues de la prison, on voit des couples assis sur des bancs, les femmes coupant les cheveux de leur homme. A l’intérieur des bâtiments, les détenus qui s’entassent d’habitude à six par petite chambre, font des tours pour laisser de l’intimité à leur colocataire forcé.

Pour beaucoup de prisonniers, ce « privilège des visites des épouses », comme l’appelle la direction, introduit en 2001, est le secret de la paix sociale actuelle. « Quand je suis arrivé ici, il y avait des guerres de gangs. Mais depuis qu’ils ont autorisé la visite des femmes, plus rien !, avance Emile Leclercq, un Hollandais de 73 ans condamné pour malversation financière. Car si vous empêchez un homme d'avoir une vie sexuelle, vous créez de l'irritation et de la violence. Or ici, vous pouvez baiser sans arrêter, si vous me permettez l'expression. Et c'est donc un endroit pacifique. Si seulement l'Europe pouvait apprendre cela de cet endroit. »

Mais la New Bilibid n’a rien pour autant d’un paradis. Le manque de moyens fait souffrir physiquement certains détenus, car le budget de la prison est à peine de 70 centimes d’euros par jour et par prisonnier pour la nourriture, et 4 centimes pour les médicaments. Un niveau dramatiquement bas, et qui par exemple empêché Kerry O’Brian, un Américain de 60 ans, d’être traité d’une pneumonie. « En général, la pharmacie est vide, témoigne cet homme faible. Donc, il faut connaitre quelqu'un qui peut vous rapporter des médicaments. Sinon, vous avez allez avoir de sérieux problèmes ici. Par exemple, il n'y a jamais d'insuline à disposition. Et il y a des personnes qui ont de graves problèmes de diabète. Moi je pense qu'ils ne survivront pas ici.”

La Commission des droits de l’homme est alarmée par ces manques élémentaires. Elle a réussi à faire pression et à obtenir que la ration alimentaire soit quasiment doublée, mais pour Renante Basas, directeur du service de visite des prisons à la commission, les conditions de vie dans les prisons philippines restent majoritairement « sous-humaines ». « Imaginez : que pouvez-vous acheter avec 3 pesos – 4 centimes d’euros- par jour de médicaments ? Du Paracétamol, c’est tout ! Mais si le détenu a besoin ne serait-ce que d’antibiotiques, ce n’est plus possible, et son état empirera ». Les prisonniers de la New Bilibid sont autonomes, pour le meilleur et pour le pire.