par Laurent Correau
Article publié le 19/10/2009 Dernière mise à jour le 24/10/2009 à 23:14 TU
Le 28 septembre, en fin de matinée, des milliers de personnes sont sur la pelouse et les gradins du stade. Elles brandissent des banderoles, font le tour de la piste, protestent pacifiquement. Les responsables des forces vives sont à la tribune sans sonorisation et parlent à quelques journalistes. Les bérets rouges font alors irruption et tirent dans la foule. Ils frappent, tuent et violent. Témoignages de Guinéens sur ce massacre.
« Les gendarmes prenaient le téléphone des gens et bastonnaient les gens… Ils lançaient le gaz lacrymogène. [Mais] les gendarmes n’ont pas tiré, les policiers n’ont pas tiré. C’est quand l’aide de camp même du président est venu, Toumba [le lieutenant Aboubakar Diakité, dit « Toumba »] c’est à ce moment qu’ils ont tiré à bout portant. Ils ne cherchaient pas à tirer en l’air, ils tiraient à bout portant. Ils ont commencé à tirer lorsque les bérets rouges sont venus. Et violer les filles… »
Un troisième témoin anonyme
Quand les militaires sont rentrés, ils étaient nombreux. Ils ont commencé à tirer sur le stade. Ils ont pris les gens, les ont chicotés, il y a un militaire qui avait un couteau, qui perçait aussi les gens. Mes deux camarades ont été tués là-bas devant moi. »Les leaders de l’opposition sont à la tribune et assistent à la scène avant d’être eux-même pris pour cible.
Ensuite on a vu comment ils faisaient : ils dispersaient tous les attroupements et ils se mettaient à plusieurs par exemple sur un seul manifestant jusqu’à ce qu’il cesse de bouger… on l’a vu de la tribune. On voyait certains avec des couteaux. On sentait qu’ils avaient des couteaux. On a vu aussi beaucoup de gens qui avaient des planches en bois cloutées et on les voyait taper un peu sur tout le monde. C’est comme si ils voulaient vider la pelouse.
Cellou Dalein Diallo, président de l'Union des forces démocratiques de Guinée, s'adressant aux journalistes avant que les violences n'éclatent.
(Photo : DR)
Moi-même, je ne connais pas bien le stade. J’ai pu sortir de la tribune et prendre un couloir… et au sortir de ce couloir, à ma droite, j’ai vu qu’ils étaient en train de cogner sur monsieur Jean-Marie Doré.»
Moi, pendant ce temps, on m’avait enlevé ma veste. On m’avait délesté de mes téléphones et de mon argent. On m’a mis à genoux et l’un des deux bérets rouges qui s’acharnaient sur moi a dit ‘toi, on te cherchait depuis longtemps. Tu nous a fait trop de mal. Aujourd’hui je vais te tirer deux balles dans la tête'. Son copain dit ‘non, ça serait simple. Il ne faut pas lui tirer deux balles dans la tête, il faut l’égorger’.
Les seuls qui ont un contentieux avec moi sont les gens de l’ULIMO, parce que les autres militaires guinéens n’ont aucun contentieux avec moi. J’affirme – je ne dis pas combien ils étaient de l’ULIMO au stade - mais les deux que j’ai vus, ces deux-là, j’affirme catégoriquement qu’ils étaient de l’ULIMO. »
« Lorsqu’ils sont montés à la tribune nous étions assis paisiblement, on attendait. On pensait qu’on avait affaire à des gens civilisés qui seraient venus nous arrêter pour nous amener au commissariat… et nous nous sommes vus entre leurs mains. Ils nous ont frappés, molestés. Frappés avec des crosses, il nous ont frappés avec des gourdins, avec des planches, nous avons été violentés. Tout le monde a été mis à sang. Voila la preuve : la tenue que je portais. Je portais une chemise blanche, comme vous voyez. Vous voyez les traces, c’est des coups que nous avons reçus. Cette chemise était blanche, mais elle est devenue rouge. Rouge de sang ».
Je n’ai pas eu le temps de raisonner sur cela quand on est venu se saisir de nous-mêmes et qu’on a commencé à nous frapper, à nous tabasser, donner des coups de pieds… Moi j’ai reçu un coup violent sur la tête, je suis tombé mais je me suis relevé tout de suite. Ceux qui n’ont pas pu se relever ont reçu des coups de pieds dans les côtes et tout ce qui s’ensuit.
Et c’est à ce moment où je me relevais, où on me trimbalait vers la sortie que j’ai vu… ces différentes scènes… avec les femmes… et là encore une fois j’ai eu une deuxième rupture au niveau de ma compréhension des choses. Nous avons vu des gens violer des femmes, nous avons vu des gens introduire des instruments contondants ou bien le canon de leur arme dans les parties génitales des femmes après les avoir déshabillées. Et le traumatisme qui restera dans ma tête ce sont ces scènes-là. »
Une femme frappée par les militaires
« On m’a frappée. Il y en a un qui a pris un morceau de bois, il m’a cognée. Je suis tombée par terre. Il y en a un qui a parlé en Soussou, il a dit : ‘Envoie le téléphone, envoie le téléphone, envoie l’argent !’ ...‘Imbécile, soulève ton pagne !’ ...
Ils l’ont enlevé comme ça, ils ont soulevé mon pagne. Ils ont vu que j’avais un pantalon. ‘Donne le téléphone !’ ...
Après j’ai pu résister un peu, je me suis levée. Ils m’ont dit : ‘Fous le camp, batarde, fous le camp !’
Maintenant il y avait une femme qui était à côté, ils ont écarté les pieds de la femme ils ont pris le fusil, ils l’ont fait rentrer sur la femme… »
Une femme agressée au couteau par les militaires :
« Un soldat est venu me prendre, me mettre sur le sol. J’ai vu un soldat qui avait un couteau. Il a déchiré tous mes habits, me mettre à nu. Après j’ai entendu un soldat dire ‘il faut les piquer ! il faut les piquer !’.
Il a pris le couteau, il m’a piqué sur la fesse. L’autre fesse il l’a déchirée. Après il m’a frappée, il m’a frappée, il m’a frappée. C’est ça ».
« Faut voir les gens comment ils étaient. Tout le monde cherchait à sortir. Moi j’ai pris le courage, je me suis engagée. J’ai rencontré le garde du corps de Dadis, qui s’appelle Toumba… qui m’a frappée. Après j’ai couru. Je me sauvais. Il y a un autre militaire qui avait le cauri sur sa tête. Il m’a pris. Déshabillée. Violée. Il m’a frappée tout mon corps. Je peux pas expliquer ce que j’ai vu.
[Soupir au bord des larmes]
Je suis pas… je peux pas expliquer… Je peux pas expliquer ce que j’ai vu… Je peux pas expliquer... Ce que je sais, on m’a violée, on m’a frappée partout ».
« Je courais, parce que j’ai tout fait pour me sortir. Partout là où tu vois il y avait les militaires. Je me suis plongé là où on joue le basket. J’ai ouvert la porte, j’ai vu ça. Ils violaient dans la salle où on joue au basket. J’ai trouvé plus de cinq filles violées là-bas. Moi, j’ai vu un béret rouge, je l’ai trouvé sur la fille, il la violait ».Un garçon qui a vu des militaires tirer dans le sexe d’une femme
« Il y avait deux ou trois militaires, ils ont attrapé une femme là-bas. Elle était en train de pleurer, pleurer. Ils ont dit ‘comme vous n’êtes pas pour Dadis, on va vous tuer’...
Ils ont fait rentrer le fusil dedans, ils ont fait rentrer même dans son sexe, ils ont tiré ».