par Laurent Correau
Article publié le 19/10/2009 Dernière mise à jour le 19/10/2009 à 17:44 TU
Sortis ensanglantés du stade, les opposants sont transportés jusqu'à la clinique Ambroise Paré.
« Cette hésitation entre les deux éléments de l’ULIMO m’a sauvé la vie parce que, à cet instant précis, le ministre Tiegboro Camara, le ministre chargé de la lutte contre le grand banditisme, est passé et il a crié sur les deux forcenés : ‘Mais vous ne savez pas que c’est Monsieur Doré ?’
Ils lui ont dit : ‘mais on sait que c’est lui, c’est pourquoi on va le tuer. Si toi tu fais un pas de plus on va te flinguer.’
A ce moment-là, beaucoup de gendarmes qui suivaient Tiegboro ont encerclé les deux éléments que j’affirme être de l’ULIMO et c’est comme ça que je n’ai pas été exécuté sur place.
Mais quand Tiegboro a pris ma main, l’un d’entre eux a pris ma main droite et ils nous ont suivis. Et au milieu de la terrasse, ils ont réussi à me retirer des mains de Tiegboro, à m’agenouiller. Ils ont commencé à me rouer de coups : la mâchoire, la tête, les épaules, les fesses, les côtes… Tout y passait… et mon problème était de ne pas tomber, parce que si je tombais ils me tiraient une balle dans la tête pour s’occuper d’autres personnes.Du point où on m’a pris pour m’emmener dans les véhicules qui nous ont transporté, dans un premier temps vers la clinique Ambroise Paré puis à l’état-major de la gendarmerie, pour échouer enfin à la clinique Pasteur, j’ai vu non seulement des femmes ensanglantées, les jambes écartées, mais j’ai vu [aussi] 3 ou 5 corps sans vie, notamment sur l’esplanade qu’on appelle la terrasse. Ca, j’ai vu des cadavres. »
« Ils nous ont traînés jusque dans la rue pour nous embarquer, pour nous amener d’abord dans une clinique. Nous étions conduits par le lieutenant Toumba qui est l’aide de camp du chef de l’Etat. Le commandant Tiegboro était présent. Et lorsque nous avons été amenés à la clinique Ambroise Paré pour recevoir les premiers soins puisque tout le monde saignait, alors le neveu du président, Siba [Siba Théodore Kourouma] s’est levé avec une grenade. Il a dit que si on introduisait ces ‘traîtres’ - parce qu’il nous appelait ‘traîtres’ – il allait faire exploser toute la clinique avec la grenade. Sous les yeux de Toumba et de Tiegboro. »
Les opposants seront finalement hospitalisés à la clinique Pasteur. Des hommes en uniforme visitent alors certains domiciles à leur recherche… Ces hommes saccagent et pillent les habitations.
Conakry, elle, est traumatisée.
« On a reçu plus de cinq filles. Elles ont passé la nuit chez nous. Elles avaient toutes été violées. C’est du sang qui coulait. C’est du sang qui coulait. Les filles sont arrivées chez nous à 13h00. Moi ma femme a été obligée de sortir beaucoup de pagnes pour les donner aux filles. Parce qu’elles sont venues nues. Il n’y avait que du sang qui coulait. Certaines ont passé la nuit chez moi, jusqu’au lendemain et elles sont parties. Elles pleuraient, elles pleuraient. Elles ne pouvaient même pas marcher. Elles disaient qu’elles avaient été violées. Il y a même les bérets rouges qui prenaient le fusil et le rentraient dans leur sexe. »
Ce lundi 28 septembre dans l’après-midi, les corps sont ramassés.
Selon plusieurs témoins, certains sont alors enlevés et cachés par des militaires. Une information que confirme l’un d’eux, interrogé par RFI.
Trois semaines après, la Guinée cherche encore à comprendre.
Pourquoi ? Selon ce même militaire, il s’agissait de donner une leçon à l’opposition.Un béret rouge guinéen qui a participé à l’opération
La junte affirme que les manifestants ont brûlé un commissariat et se sont saisis d’armes sur la route du stade. Pour tenter de disculper sa garde présidentielle le capitaine Moussa Dadis Camara lui-même soutient que les leaders de l’opposition ont tenté ce jour-là de le déstabiliser.
« Cette manifestation allait m’emporter. Parce que c’est le plan qui a été fait. Il fallait que toute la capitale se soulève, que les militaires participent à ce mouvement. Et s’il y a eu ce carnage, c’est que les leaders sont à la base [de ce qui s’est passé]. Parce que pour eux il faut obligatoirement le pouvoir. »
Le chef de la junte a-t-il donné des ordres et si oui lesquels ?
Quel rôle ont joué les membres de son entourage qui ont été vus ce jour-là au stade du 28 septembre ?
Combien y a-t-il eu de victimes à ce massacre ?
Pour beaucoup de Guinéens, seule une commission d’enquête internationale pourra faire toute la lumière sur ce qui s’est passé.