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Guinée

Après-midi du 28 septembre : soigner les coups, cacher les corps

par Laurent Correau

Article publié le 19/10/2009 Dernière mise à jour le 19/10/2009 à 17:44 TU

C’est une capitale traumatisée qui sort du déchaînement de violence. Les opposants ensanglantés sont emmenés dans une clinique de Conakry où ils trouvent un proche du chef de la junte fou de rage, grenade à la main. Dans le stade, les corps sont ramassés. Selon plusieurs témoignages, les militaires cherchent à cacher certains cadavres. Reste la question des responsabilités : qui a pu ordonner un tel massacre ?

Sortis ensanglantés du stade, les opposants sont transportés jusqu'à la clinique Ambroise Paré.

Jean-Marie Doré, secrétaire général de l’UPG (Union pour le progrès de la Guinée)

17/10/2009 par Laurent Correau

« Cette hésitation entre les deux éléments de l’ULIMO m’a sauvé la vie parce que, à cet instant précis, le ministre Tiegboro Camara, le ministre chargé de la lutte contre le grand banditisme, est passé et il a crié sur les deux forcenés : ‘Mais vous ne savez pas que c’est Monsieur Doré ?’

Ils lui ont dit : ‘mais on sait que c’est lui, c’est pourquoi on va le tuer. Si toi tu fais un pas de plus on va te flinguer.’

A ce moment-là, beaucoup de gendarmes qui suivaient Tiegboro ont encerclé les deux éléments que j’affirme être de l’ULIMO et c’est comme ça que je n’ai pas été exécuté sur place.

Mais quand Tiegboro a pris ma main, l’un d’entre eux a pris ma main droite et ils nous ont suivis. Et au milieu de la terrasse, ils ont réussi à me retirer des mains de Tiegboro, à m’agenouiller. Ils ont commencé à me rouer de coups : la mâchoire, la tête, les épaules, les fesses, les côtes… Tout y passait… et mon problème était de ne pas tomber, parce que si je tombais ils me tiraient une balle dans la tête pour s’occuper d’autres personnes.

(Photo : DR)

(Photo : DR)

Du point où on m’a pris pour m’emmener dans les véhicules qui nous ont transporté, dans un premier temps vers la clinique Ambroise Paré puis à l’état-major de la gendarmerie, pour échouer enfin à la clinique Pasteur, j’ai vu non seulement des femmes ensanglantées, les jambes écartées, mais j’ai vu [aussi] 3 ou 5 corps sans vie, notamment sur l’esplanade qu’on appelle la terrasse. Ca, j’ai vu des cadavres. »  

François Fall, président du FUDEC (Front uni pour la démocratie et le changement)

17/10/2009 par Laurent Correau

François Fall, quelques jours après les événements.(Photo : Laurent Correau /RFI)

François Fall, quelques jours après les événements.
(Photo : Laurent Correau /RFI)

« Ils nous ont traînés jusque dans la rue pour nous embarquer, pour nous amener d’abord dans une clinique. Nous étions conduits par le lieutenant Toumba qui est l’aide de camp du chef de l’Etat. Le commandant Tiegboro était présent. Et lorsque nous avons été amenés à la clinique Ambroise Paré pour recevoir les premiers soins puisque tout le monde saignait, alors le neveu du président, Siba [Siba Théodore Kourouma] s’est levé avec une grenade. Il a dit que si on introduisait ces ‘traîtres’ - parce qu’il nous appelait ‘traîtres’ – il allait faire exploser toute la clinique avec la grenade. Sous les yeux de Toumba et de Tiegboro. »

Sidya Touré, président de l’UFR (Union des forces républicaines)

17/10/2009 par Laurent Correau

Sidya Touré, quelques jours après les événements.(Photo : Laurent Correau /RFI)

Sidya Touré, quelques jours après les événements.
(Photo : Laurent Correau /RFI)

« Nous avons été trimbalés jusqu’à la voiture et on a tenté de nous amener à la clinique Ambroise Paré. Arrivé là-bas, il y a un sous-chef qui a interdit à Tiegboro et à Toumba de nous laisser rentrer, parce qu’il disait que non, il ne fallait pas que l’on nous soigne, il fallait qu’on nous envoie au camp. Nous voilà donc repartis vers le camp, à la dernière minute nous nous sommes retrouvés à la gendarmerie où tout de suite l’ambiance a changé. Et j’entendais ces ‘hordes’ qui nous avaient laissé un peu bien malgré elles à la gendarmerie repartir comme si vraiment on leur avait arraché leur proie. Nous sommes restés à la gendarmerie jusqu’au moment où on nous a transféré à la clinique Pasteur. » 

Les opposants seront finalement hospitalisés à la clinique Pasteur. Des hommes en uniforme visitent alors certains domiciles à leur recherche… Ces hommes saccagent et pillent les habitations.

Conakry, elle, est traumatisée.

Un habitant de Conakry qui a accueilli des femmes violées

17/10/2009 par Laurent Correau


« On a reçu plus de cinq filles. Elles ont passé la nuit chez nous. Elles avaient toutes été violées. C’est du sang qui coulait. C’est du sang qui coulait. Les filles sont arrivées chez nous à 13h00. Moi ma femme a été obligée de sortir beaucoup de pagnes pour les donner aux filles. Parce qu’elles sont venues nues. Il n’y avait que du sang qui coulait. Certaines ont passé la nuit chez moi, jusqu’au lendemain et elles sont parties. Elles pleuraient, elles pleuraient. Elles ne pouvaient même pas marcher. Elles disaient qu’elles avaient été violées. Il y a même les bérets rouges qui prenaient le fusil et le rentraient dans leur sexe. »  

Ce lundi 28 septembre dans l’après-midi, les corps sont ramassés.

Selon plusieurs témoins, certains sont alors enlevés et cachés par des militaires. Une information que confirme l’un d’eux, interrogé par RFI.

Un béret rouge guinéen qui a participé à l’opération

17/10/2009 par Olivier Rogez


« Il y a eu tellement de morts, qu'on ne pouvait même pas les compter. J'en ai eu des vertiges, franchement, des vertiges. Il y a eu 160, 180 morts...je ne peux même pas vous dire combien de cadavres. Et je sais que dans la nuit du lundi, ils nous ont dit d’aller récupérer les corps. On en a récupéré quarante-sept, qui ont été enfouis, mais je ne peux vraiment pas vous dire où exactement » 

Trois semaines après, la Guinée cherche encore à comprendre.

Pourquoi ? Selon ce même militaire, il s’agissait de donner une leçon à l’opposition.

Un béret rouge guinéen qui a participé à l’opération

17/10/2009 par Olivier Rogez

« C’est la gendarmerie qui était d’abord concernée, mais comme elle ne s'est pas entendue avec les opposants, nous avons reçu l'ordre d’aller mater cette opposition, que nos chefs ont qualifiée d’indisciplinée. Nous y sommes allés. J'en faisais partie. Nous ne pouvions pas refuser les ordres à savoir, aller mater les opposants, leur faire comprendre qu’il n’y a qu’une seule autorité en Guinée et leur donner une leçon.»

La junte affirme que les manifestants ont brûlé un commissariat et se sont saisis d’armes sur la route du stade. Pour tenter de disculper sa garde présidentielle le capitaine Moussa Dadis Camara lui-même soutient que les leaders de l’opposition ont tenté ce jour-là de le déstabiliser.

Moussa Dadis Camara, chef de la junte guinéenne

17/10/2009 par Laurent Correau

Le capitaine Moussa Dadis Camara dans son bureau.(Photo : Laurent Correau /RFI)

« Cette manifestation allait m’emporter. Parce que c’est le plan qui a été fait. Il fallait que toute la capitale se soulève, que les militaires participent à ce mouvement. Et s’il y a eu ce carnage, c’est que les leaders sont à la base [de ce qui s’est passé]. Parce que pour eux il faut obligatoirement le pouvoir. »

Le chef de la junte a-t-il donné des ordres et si oui lesquels ?

Quel rôle ont joué les membres de son entourage qui ont été vus ce jour-là au stade du 28 septembre ?

Combien y a-t-il eu de victimes à ce massacre ?

Pour beaucoup de Guinéens, seule une commission d’enquête internationale pourra faire toute la lumière sur ce qui s’est passé.