Article publié le 20/10/2009 Dernière mise à jour le 20/10/2009 à 21:11 TU
Yan Chen, journaliste à la rédaction chinoise de RFI, a été reçu par le Dalaï Lama à Dharamsala (Inde) où le chef spirituel et politique des Tibétains vit en exil depuis 1959. Le Dalaï-Lama s’est notamment exprimé sur l’état des libertés en Chine, la situation des Ouïghours dans le Xinjiang et sur sa future rencontre avec le président américain Barack Obama. À lire et à écouter. L'interview sera diffusée sur l'antenne en français de RFI, mercredi 21 octobre, à 6h13, 7h20 et 13h10 (heure de Paris).
Le Dalaï Lama interviewé par Yan Chen, journaliste de la rédaction chinoise de RFI.
(Photo : RFI/Philippe Nadel)
Extraits de l’interview exclusive avec le Dalaï Lama, réalisée le 19 octobre 2009.
Yan Chen : Vous êtes une personnalité influente aussi bien dans le monde politique qu’auprès de l’opinion publique. J’aimerais connaître votre point de vue sur la position actuelle de la Chine et sur la place que la Chine est amenée à occuper dans les années à venir.
Dalaï Lama : Je voudrais souligner, à l’occasion de cet entretien avec la rédaction chinoise de RFI, que la Chine est un grand pays, et qu’elle est amenée à occuper une position importante sur la scène mondiale. La Chine doit, à l’avenir, servir le monde, aider le monde.
Pour l’instant, la Chine est loin de pouvoir assumer sa responsabilité de grand pays parce que le monde ne lui fait pas confiance en raison de son manque de transparence. Il n’y pas de liberté de la presse ni de liberté de parole en Chine. Par exemple, le gouvernement parle encore aujourd’hui de secret d’Etat. Ce mot avait peut-être du sens en temps de guerre, pendant la guerre civile ou pendant la guerre de Corée, mais en temps de paix, est-il nécessaire de tout censurer ? C’est vraiment triste.
Donc, si la Chine veut un jour occuper dignement sa position de grande puissance, il faut absolument qu’elle s’oriente vers la transparence politique. C’est précisément parce que la Chine ne se dévoile pas que ses voisins et la communauté internationale la redoutent. La censure envers les medias nuit à l’image de la Chine, elle donne par ailleurs à l’extérieur une image tronquée de la Chine.
N’importe qui, n’importe quel pays, peut commettre des erreurs. Il suffit de les reconnaître et d’implorer pardon, et on n’en parle plus.
« La Chine à l’avenir doit servir le monde. »
YC : Vous n’avez pas été reçu par le président Obama lors de votre précédent voyage aux Etats-Unis. Savez-vous si Obama a subi des pressions du gouvernement chinois ? Avez-vous pour projet de le rencontrer, et quand ?
DL :Obama a certainement reçu des pressions de la part du gouvernement chinois. Obama avait projeté de parler calmement avec le gouvernement chinois des problèmes du Tibet lors de sa visite en novembre, dans le but d’améliorer réellement la situation des Tibétains. Pour ne pas irriter le gouvernement chinois, Obama a jugé plus opportun que nous ne nous voyions pas avant sa visite en Chine. J’étais aussi de son avis parce que notre but final est de résoudre le problème tibétain. Par ailleurs, j’ai des amis chinois qui entretiennent des contacts avec des officiers chinois de haut rang. Ils m’ont aussi conseillé de ne pas voir Obama cette fois-ci. Donc, pour ces deux raisons, j’ai suivi ces conseils.
Il a été convenu qu’au retour de sa visite en Chine, Obama me recevrait dès que possible. Comme mes voyages sont programmés longtemps à l’avance et que je n’ai pas l’intention de modifier mes projets pour aller le voir, je pense que la rencontre avec Obama aura lieu probablement à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.
J’ai déjà parlé de cela sur CNN et sur d’autres médias américains. Je leur ai dit que j’avais vu l’année dernière la chancelière allemande et le président français, et qu’ils avaient été « punis » tous les deux par le gouvernement chinois. Si Obama me reçoit maintenant, les Chinois vont être très embarrassés. Faut-il ou non « punir » aussi Obama ? Du reste, je suis allé dans de nombreux pays, non pas dans le but de rencontrer les dirigeants des gouvernements, mais pour rencontrer les peuples. J’estime tout d’abord qu’en tant que membre des six milliards d’êtres humains vivant sur la planète, il est de mon devoir de promouvoir la bonté qui réside en chacun, pour que le monde soit un monde harmonieux.
Ensuite, en tant que chef religieux, j’essaie, dans la mesure du possible, de favoriser le dialogue entre les religions. Voilà pourquoi, chaque fois que je visite un pays, je donne toujours des conférences au plus grand nombre de personnes. En ce qui concerne les dirigeants des gouvernements, je ne veux pas leur causer d'es ennuis.
YC : La Chine a connu de grandes crises depuis le début de l’année 2008 : d’abord au Tibet, ensuite dans le Xinjiang. Quel est votre point de vue sur ces deux événements ? Une alliance est-elle possible entre les peuples tibétain et ouïghour pour lutter ensemble, que ce soit pour l’indépendance ou une véritable autonomie ? Si cela est possible, sous quelle forme ?
DL : Déjà quand j’étais à Pékin en tant que délégué du peuple en 1954, j’ai rencontré quelques représentants des Ouïghours, et j’ai constaté qu’ils n’étaient pas satisfaits de leur situation et qu’ils en souffraient profondément. Quand j’ai quitté le Tibet en 1959, j’ai aussi rencontré des Ouïghours. Nous nous réunissions pour parler de notre souffrance et de notre avenir. Il y en avait parmi eux qui recherchaient l’indépendance et qui préconisaient la lutte armée pour obtenir cette indépendance. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes éloignés petit à petit les uns des autres. Depuis que Madame Rebiya Kadeer (Ndlr: dissidente ouïghoure vivant en exil) a quitté la Chine, je l’ai vue pour la première fois aux Etats-Unis. Nous n’avons pas pu beaucoup nous parler. Ensuite, je l’ai revue longuement une deuxième fois en Allemagne, en 2007.
Je lui ai exposé longuement mes convictions et mon point de vue sur l’autonomie et la lutte non-violente. Elle a approuvé entièrement mes idées. Après les événements du 5 juillet dernier à Urumqi, je l’ai revue à Prague à l’occasion d’une conférence de la Fondation Nobel. Elle m’a à nouveau conforté sur son choix pour la non- violence. Récemment, à l’occasion d’une conférence aux Etats-Unis, Mme Kadeer a dit ouvertement que l’avenir du Xinjiang résidait dans une véritable autonomie et que la non-violence était le seul moyen d’y parvenir. Là-dessus, nos idées convergent.
YC : Madame Kadeer ne jouit pas d’une haute autorité, comme vous. Son influence au Xinjiang est très limitée. Peut-elle diriger tout le peuple ouïghour ?
DL : J’ai abordé ce sujet avec Mme Kadeer. Je lui ai dit qu’en tant que leader des Ouïghours à l’étranger, elle avait le devoir de souder tous les Ouïghours et les enfants des Ouïghours à l’étranger. De la même façon, après les événements de Tiananmen, beaucoup de dissidents chinois sont partis aux Etats-Unis, en Europe et en Australie. J’en ai rencontré beaucoup, et je leur ai dit qu’ils allaient devoir s’unir et former une force commune. Malheureusement, cette force n’a pas encore vu le jour.
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