Télévision
France : mais où sont les comédiens africains ?<br>
Le cinéma et le théâtre français font-ils de la résistance à l'encontre des comédiens d'origine noire-africaine ou maghrébine ? Un nombre croissant de talents émerge de ces communautés, dans l'Hexagone. Mais ils sont encore largement absents des écrans et de la scène.
Les comédiens d'origine noire-africaine ou maghrébine vivent une situation étrange en France. Ils sont de plus en plus nombreux sur le marché du travail. Et en cela, ils suivent la tendance générale dans l'Hexagone, puisque le nombre de «saltimbanques» y a doublé en 15 ans. Mais le cinéma et le théâtre français ne leur font guère de place. Sur les écrans ou au théâtre, de même qu'à la télévision, on ne voit encore que très rarement des acteurs issus de ces communautés. Certes, il n'est pas rare de voir un Noir en tête d'affiche. Mais il s'appelle Denzel Washington, Samuel Jackson ou Morgan Freeman, et est... américain.
Sur ce plan donc, la France est encore loin derrière les Etats-Unis, ou même la Grande-Bretagne. «En tant qu'Africain, je suis confronté, comme tous les comédiens, au manque de travail. Mais je pense qu'il y a de moins en moins de rôles pour nous», constate Hassane Kouyaté, comédien d'origine burkinabé. «Il y a un moment où c'était à la mode dans le cinéma et le théâtre. Mais depuis, ça a diminué.» Vers le milieu des années 80 et au début des années 90, en effet, quelques longs métrages et pièces de théâtre laissaient penser qu'une évolution était en cours. Le comédien d'origine ivoirienne Isaac De Bankolé, par exemple, est apparu dans plusieurs films, notamment Chocolat et S'en fout la mort de Claire Denis et Les Keufs, une comédie de Josiane Balasko.
Depuis, il se fait plus discret à l'écran. On l'a certes vu au théâtre, mais sa carrière se déroule aujourd'hui davantage à l'étranger. Un hasard ? Pas vraiment, assure la comédienne Félicité Wouassi. «C'est vrai qu'il y a eu un frémissement, il y a quelques années. Mais, en général, on arrive dans les films de manière anecdotique. J'ai l'impression que l'évolution est très lente. J'attends le moment où on montera une pièce moderne, grand public, avec une comédienne noire.» D'après elle, il y a un blocage. Elle en veut pour preuve la Haine, le film de Mathieu Kassovitz où elle apparaît brièvement. «Il y avait trois personnages principaux, un Noir, Hubert Koundé, un jeune Arabe [Saïd Taghmaoui] et un jeune Blanc, Vincent Cassel. Mais, dans tout le tapage médiatique, on n'a parlé que du troisième.»
Enfermés dans des clichés
Outre son ouverture limitée à des comédiens non-blancs, beaucoup d'acteurs d'origine africaine ou maghrébine reprochent au milieu du théâtre et, surtout, du cinéma français de les enfermer dans des clichés. «Quand il y a un rôle qui nous correspond on le prend. Malheureusement, nous devons presque toujours incarner des terroristes, des dealers ou des voleurs. Nous sommes pris dans un piège. Il y a une réticence vis-à-vis de nous et c'est lassant.» Amère constatation du Franco-Marocain Amidou, après 40 années de carrière en France, dont une bonne partie auprès de grands du théâtre comme Maria Casarès ou Jean-Louis Barrault. «Aux Etats-Unis, un Sidney Poitier ou un Denzel Washington ont des rôles magnifiques. Les Américains découvrent que les Noirs ont donné au pays un ressort fabuleux.»
Des propos que ne dément pas le Tunisien Ben Smaïl, qui va même plus loin. «Nous ne sommes que des acteurs de circonstances. On est dans une boîte, on est toujours reconnus comme des acteurs µ immigrés'». Comme beaucoup d'autres, ce dernier a fait la plus grande partie de sa carrière en France. Il estime que les Maghrébins sont victimes d'un contexte de méfiance. «En 1990, j'ai joué un second rôle dans un film sur Isabelle Eberhardt [une journaliste qui a suivi l'avancée du colonialisme dans le Maghreb], où je n'avais que de belles choses à dire et à faire. Voilà que la guerre du Golfe arrive. On a retiré mon nom de l'affiche et on a coupé mes scènes!»
Multiculturalité
Qu'en pense la nouvelle génération française issue de l'immigration ? Aïssa Maïga, jeune comédienne d'origine sénégalo-malienne qui a obtenu récemment le premier rôle dans une pièce de l'Ivoirien Koffi Kwahulé, mise en scène à Paris par Gabriel Garran, n'est guère plus optimiste que ses aînés. «J'ai eu la chance d'avoir quelques rôles intéressants. Mais le problème est que je suis souvent cantonnée à des rôles de Noires. Je voudrais être jugée avant tout comme comédienne.» Comme elle, d'autres acteurs en début de carrière ont trop souvent le sentiment qu'on les juge d'abord sur la couleur de leur peau, même s'ils reconnaissent qu'il y a des exceptions. «Il m'est arrivé d'avoir des rôles où le fait d'être noire n'était pas important mais, en général, les directeurs de castings veulent des gens typés», confie Nadège Beausson-Diagne, qui jouait précisément le rôle d'une actrice noire dans les Molières en chocolat, une comédie satirique présentée à Paris, début 1998.
Au bout du compte, à quelques exceptions près, les comédiens d'origine africaine ou maghrébine sont confrontés à un choix qui se résume souvent à accepter les clichés, quitte à en jouer, à voir les portes se fermer devant eux, ou bien à jouer dans des productions étrangères. Une situation qu'Hassane Kouyaté explique simplement : «Mon analyse est que la France n'a pas intégré sa multiculturalité. Même si politiquement on dit que c'est un pays républicain. Moi je suis Français, mais, dans la réalité, on me considère comme un étranger.» Le point de vue de Nadia Samir, comédienne et journaliste de télévision, qui connaît donc bien le milieu de l'audiovisuel et du spectacle français, est sensiblement différent. Selon elle, la société française a évolué, mais ce sont les milieux décisionnels qui ne suivent pas. «C'est dans la tête des gens qui font de la télévision et du cinéma qu'il y a un problème, pas dans le public. Khaled est au Top 50, il ne faut pas dire de bêtises. Il faut que les communautés noires ou maghrébines aient des gens qui leur ressemblent à la télévision ou au cinéma et qui ont réussi. Pour moi l'image est le meilleur facteur d'intégration.» Le mot est lancé. Car au-delà de la réussite individuelle des comédiens, la question est de savoir comment une partie importante de la population française peut se reconnaître comme telle si elle est aussi peu représentée sur le petit écran, au cinéma ou sur la scène.
Rompre avec les clichés
«Peut-être faudra-t-il un jour imposer des quotas», lance la comédienne. De leur côté, Aïssa Maïga et Nadège Beausson-Diagne envisagent plutôt la création d'une association de comédiens noirs. «Pour que les choses avancent, il faut être en nombre», estiment-elles. Hassane Kouyaté est plus réservé sur ce genre d'initiative : «Pour moi, c'est un rêve, car le monde des comédiens est un univers individualiste. Il faut que nous sortions par nous même de notre ghetto en créant des choses. Mais pas forcément entre nous.» Le comédien franco-burkinabé donne l'exemple avec sa troupe, le théâtre Spirale, avec laquelle il a déjà monté plusieurs pièces. Son principe : rompre avec les clichés. Dans l'une d'elle, Soundjata, qui raconte l'épopée du fondateur de l'empire du Mali, il n'a pas hésité à faire jouer le rôle du père de l'empereur par un comédien indonésien. «Il faut que les gens ne voient plus l'Africain ou l'Asiatique, mais l'acteur qui est devant eux». Une approche qui rappelle celle du metteur en scène anglais Peter Brook, dont l'acteur fétiche est le Malien Bakary Sangaré. Brook fait encore figure de pionnier par son ouverture à des comédiens de tous horizons. Mais le succès indéniable de ses spectacles est peut-être la preuve que le public français est plus prêt que beaucoup de producteurs ou de metteurs en scène à voir des acteurs noirs ou maghrébins sur scène ou à l'écran.
Sur ce plan donc, la France est encore loin derrière les Etats-Unis, ou même la Grande-Bretagne. «En tant qu'Africain, je suis confronté, comme tous les comédiens, au manque de travail. Mais je pense qu'il y a de moins en moins de rôles pour nous», constate Hassane Kouyaté, comédien d'origine burkinabé. «Il y a un moment où c'était à la mode dans le cinéma et le théâtre. Mais depuis, ça a diminué.» Vers le milieu des années 80 et au début des années 90, en effet, quelques longs métrages et pièces de théâtre laissaient penser qu'une évolution était en cours. Le comédien d'origine ivoirienne Isaac De Bankolé, par exemple, est apparu dans plusieurs films, notamment Chocolat et S'en fout la mort de Claire Denis et Les Keufs, une comédie de Josiane Balasko.
Depuis, il se fait plus discret à l'écran. On l'a certes vu au théâtre, mais sa carrière se déroule aujourd'hui davantage à l'étranger. Un hasard ? Pas vraiment, assure la comédienne Félicité Wouassi. «C'est vrai qu'il y a eu un frémissement, il y a quelques années. Mais, en général, on arrive dans les films de manière anecdotique. J'ai l'impression que l'évolution est très lente. J'attends le moment où on montera une pièce moderne, grand public, avec une comédienne noire.» D'après elle, il y a un blocage. Elle en veut pour preuve la Haine, le film de Mathieu Kassovitz où elle apparaît brièvement. «Il y avait trois personnages principaux, un Noir, Hubert Koundé, un jeune Arabe [Saïd Taghmaoui] et un jeune Blanc, Vincent Cassel. Mais, dans tout le tapage médiatique, on n'a parlé que du troisième.»
Enfermés dans des clichés
Outre son ouverture limitée à des comédiens non-blancs, beaucoup d'acteurs d'origine africaine ou maghrébine reprochent au milieu du théâtre et, surtout, du cinéma français de les enfermer dans des clichés. «Quand il y a un rôle qui nous correspond on le prend. Malheureusement, nous devons presque toujours incarner des terroristes, des dealers ou des voleurs. Nous sommes pris dans un piège. Il y a une réticence vis-à-vis de nous et c'est lassant.» Amère constatation du Franco-Marocain Amidou, après 40 années de carrière en France, dont une bonne partie auprès de grands du théâtre comme Maria Casarès ou Jean-Louis Barrault. «Aux Etats-Unis, un Sidney Poitier ou un Denzel Washington ont des rôles magnifiques. Les Américains découvrent que les Noirs ont donné au pays un ressort fabuleux.»
Des propos que ne dément pas le Tunisien Ben Smaïl, qui va même plus loin. «Nous ne sommes que des acteurs de circonstances. On est dans une boîte, on est toujours reconnus comme des acteurs µ immigrés'». Comme beaucoup d'autres, ce dernier a fait la plus grande partie de sa carrière en France. Il estime que les Maghrébins sont victimes d'un contexte de méfiance. «En 1990, j'ai joué un second rôle dans un film sur Isabelle Eberhardt [une journaliste qui a suivi l'avancée du colonialisme dans le Maghreb], où je n'avais que de belles choses à dire et à faire. Voilà que la guerre du Golfe arrive. On a retiré mon nom de l'affiche et on a coupé mes scènes!»
Multiculturalité
Qu'en pense la nouvelle génération française issue de l'immigration ? Aïssa Maïga, jeune comédienne d'origine sénégalo-malienne qui a obtenu récemment le premier rôle dans une pièce de l'Ivoirien Koffi Kwahulé, mise en scène à Paris par Gabriel Garran, n'est guère plus optimiste que ses aînés. «J'ai eu la chance d'avoir quelques rôles intéressants. Mais le problème est que je suis souvent cantonnée à des rôles de Noires. Je voudrais être jugée avant tout comme comédienne.» Comme elle, d'autres acteurs en début de carrière ont trop souvent le sentiment qu'on les juge d'abord sur la couleur de leur peau, même s'ils reconnaissent qu'il y a des exceptions. «Il m'est arrivé d'avoir des rôles où le fait d'être noire n'était pas important mais, en général, les directeurs de castings veulent des gens typés», confie Nadège Beausson-Diagne, qui jouait précisément le rôle d'une actrice noire dans les Molières en chocolat, une comédie satirique présentée à Paris, début 1998.
Au bout du compte, à quelques exceptions près, les comédiens d'origine africaine ou maghrébine sont confrontés à un choix qui se résume souvent à accepter les clichés, quitte à en jouer, à voir les portes se fermer devant eux, ou bien à jouer dans des productions étrangères. Une situation qu'Hassane Kouyaté explique simplement : «Mon analyse est que la France n'a pas intégré sa multiculturalité. Même si politiquement on dit que c'est un pays républicain. Moi je suis Français, mais, dans la réalité, on me considère comme un étranger.» Le point de vue de Nadia Samir, comédienne et journaliste de télévision, qui connaît donc bien le milieu de l'audiovisuel et du spectacle français, est sensiblement différent. Selon elle, la société française a évolué, mais ce sont les milieux décisionnels qui ne suivent pas. «C'est dans la tête des gens qui font de la télévision et du cinéma qu'il y a un problème, pas dans le public. Khaled est au Top 50, il ne faut pas dire de bêtises. Il faut que les communautés noires ou maghrébines aient des gens qui leur ressemblent à la télévision ou au cinéma et qui ont réussi. Pour moi l'image est le meilleur facteur d'intégration.» Le mot est lancé. Car au-delà de la réussite individuelle des comédiens, la question est de savoir comment une partie importante de la population française peut se reconnaître comme telle si elle est aussi peu représentée sur le petit écran, au cinéma ou sur la scène.
Rompre avec les clichés
«Peut-être faudra-t-il un jour imposer des quotas», lance la comédienne. De leur côté, Aïssa Maïga et Nadège Beausson-Diagne envisagent plutôt la création d'une association de comédiens noirs. «Pour que les choses avancent, il faut être en nombre», estiment-elles. Hassane Kouyaté est plus réservé sur ce genre d'initiative : «Pour moi, c'est un rêve, car le monde des comédiens est un univers individualiste. Il faut que nous sortions par nous même de notre ghetto en créant des choses. Mais pas forcément entre nous.» Le comédien franco-burkinabé donne l'exemple avec sa troupe, le théâtre Spirale, avec laquelle il a déjà monté plusieurs pièces. Son principe : rompre avec les clichés. Dans l'une d'elle, Soundjata, qui raconte l'épopée du fondateur de l'empire du Mali, il n'a pas hésité à faire jouer le rôle du père de l'empereur par un comédien indonésien. «Il faut que les gens ne voient plus l'Africain ou l'Asiatique, mais l'acteur qui est devant eux». Une approche qui rappelle celle du metteur en scène anglais Peter Brook, dont l'acteur fétiche est le Malien Bakary Sangaré. Brook fait encore figure de pionnier par son ouverture à des comédiens de tous horizons. Mais le succès indéniable de ses spectacles est peut-être la preuve que le public français est plus prêt que beaucoup de producteurs ou de metteurs en scène à voir des acteurs noirs ou maghrébins sur scène ou à l'écran.
par Christophe Champin
Article publié le 10/04/1998