Histoire d'un nom de baptême
Allemands et Autrichiens disent "oyro", Espagnols et Italiens "éouro", Grecs "évro"... Quelle que soit la manière de le prononcer, l'euro appartient désormais au vocabulaire courant. Ce nom n'était pourtant pas celui qu'on avait donné à la monnaie européenne au lancement du projet.
Au début était l'écu. C'est ce terme qui désigne la future monnaie européenne dans le Traité de Maastricht en 1992. Il était apparu treize ans plus tôt, en même temps que le Système monétaire européen. Une invention de Valéry Giscard d'Estaing, président de la République française à l'époque, fier de sa trouvaille. Sigle de European Currency Unit, l'ECU rappelait à la fois la prédominance de l'anglais dans le domaine financier et l'écu créé par le roi Saint Louis. D'autres pays ont eu d'ailleurs, à un moment de leur histoire, une monnaie de ce nom. L'actuel escudo portugais est, par exemple, la traduction de l'écu des rois de France. L'écu semblait alors promis à un bel avenir. Cependant le mot sonnait mal aux oreilles germaniques : trop proche d'Eku, (une marque de bière) ou de Kuh (vache). Quand on a parlé de créer une véritable monnaie sonnante et trébuchante, les Allemands sont devenus virulents. Le choix du nom pouvait paraître dérisoire en comparaison des autres enjeux de l'Union économique et monétaire. Il n'en fut pas moins âprement disputé. Il ne fut pas arrêté à Maastricht et les rédacteurs du Traité ont longuement débattu sur la manière d'orthographier le terme provisoire qui désignerait la future devise : écu ou ECU ? La version allemande du document a conservé le sigle et le chancelier Helmut Kohl prédisait que la monnaie unique "ne porterait sûrement pas le nom d'écu".
Frankenstein
Certes, le mot pouvait pâtir, dans la langue de Goethe, de la proximité phonétique avec le placide bovidé. Une association peu exaltante pour le grand projet du troisième millénaire. En réalité le nom souffrait d'une tare, autrement plus grave : il avait désigné une monnaie qui n'avait cessé depuis 1979 de perdre de la valeur face au mark.
Les sondages montraient les Allemands très réticents à lâcher leur solide mark au profit de la monnaie unique. Si cette dernière rappelait, en plus, une devise dévalorisée, les promoteurs de l'Union monétaire jugeaient les difficultés insurmontables. Les dirigeants allemands ont donc milité activement pour l'abandon de l'écu.
Encore fallait-il trouver un nom pour le remplacer. On a pensé décliner le mot euro : euromark, eurofranc, eurolire etc. Mais cela ne soulignait pas franchement l'unité. Ceux qu'inquiètent le poids économique de l'Allemagne en Europe, annonçaient qu'on ne dirait rapidement plus qu'euromark et bientôt plus que mark.
Bonn suggéra le "franken", riche en sens (peuple germanique qui s'installe en Europe au Moyen Age, également synonyme d'homme libre). Mais cette germanisation du mot franc fut peu appréciée et la presse britannique la détourna rapidement en "Frankenstein".
Les paris étaient ouverts. Comme il n'y avait pas de raison de laisser ce plaisir aux seuls eurocrates, chacun a pu y aller de sa contribution. Sesterce, ducat, couronne... En 1995, un concours lancé sur les ondes internationales de la BBC plébiscita le florin, laissant de côté un malveillant floppy (de "flop") ou un " delors " divisible en 100 " santer ", tirés des patronymes des présidents de la Commission de Bruxelles. Les connectés d'Internet se défoulèrent aussi, en faisant assaut d'érudition, d'imagination ou de jeux de mot (sou de Bruxelles...)
Le dernier mot devait revenir aux Quinze. Au sommet de Madrid en décembre 1995, ils ont sorti l'euro de leur chapeau. Des Hellènes ont bien souligné que le mot était proche d'urine, en grec. Mais il fallait bien trouver un compromis. L'euro et sa subdivision, le cent, sont invariables sur les billets et les pièces. Ailleurs, ils prennent la marque du pluriel, selon les usages linguistiques en vigueur, c'est-à-dire un "s" en France où l'on pourra également utiliser le terme de centime pour la décimale.
Frankenstein
Certes, le mot pouvait pâtir, dans la langue de Goethe, de la proximité phonétique avec le placide bovidé. Une association peu exaltante pour le grand projet du troisième millénaire. En réalité le nom souffrait d'une tare, autrement plus grave : il avait désigné une monnaie qui n'avait cessé depuis 1979 de perdre de la valeur face au mark.
Les sondages montraient les Allemands très réticents à lâcher leur solide mark au profit de la monnaie unique. Si cette dernière rappelait, en plus, une devise dévalorisée, les promoteurs de l'Union monétaire jugeaient les difficultés insurmontables. Les dirigeants allemands ont donc milité activement pour l'abandon de l'écu.
Encore fallait-il trouver un nom pour le remplacer. On a pensé décliner le mot euro : euromark, eurofranc, eurolire etc. Mais cela ne soulignait pas franchement l'unité. Ceux qu'inquiètent le poids économique de l'Allemagne en Europe, annonçaient qu'on ne dirait rapidement plus qu'euromark et bientôt plus que mark.
Bonn suggéra le "franken", riche en sens (peuple germanique qui s'installe en Europe au Moyen Age, également synonyme d'homme libre). Mais cette germanisation du mot franc fut peu appréciée et la presse britannique la détourna rapidement en "Frankenstein".
Les paris étaient ouverts. Comme il n'y avait pas de raison de laisser ce plaisir aux seuls eurocrates, chacun a pu y aller de sa contribution. Sesterce, ducat, couronne... En 1995, un concours lancé sur les ondes internationales de la BBC plébiscita le florin, laissant de côté un malveillant floppy (de "flop") ou un " delors " divisible en 100 " santer ", tirés des patronymes des présidents de la Commission de Bruxelles. Les connectés d'Internet se défoulèrent aussi, en faisant assaut d'érudition, d'imagination ou de jeux de mot (sou de Bruxelles...)
Le dernier mot devait revenir aux Quinze. Au sommet de Madrid en décembre 1995, ils ont sorti l'euro de leur chapeau. Des Hellènes ont bien souligné que le mot était proche d'urine, en grec. Mais il fallait bien trouver un compromis. L'euro et sa subdivision, le cent, sont invariables sur les billets et les pièces. Ailleurs, ils prennent la marque du pluriel, selon les usages linguistiques en vigueur, c'est-à-dire un "s" en France où l'on pourra également utiliser le terme de centime pour la décimale.
Article publié le 31/12/1998