Littérature
J.M. Coetzee : la violence de l’imagination
L’écrivain sud-africain John Michael Coetzee est un homme qui ne se livre pas facilement. Sa réticence à parler de lui-même, de son art, de sa venue à l’écriture est proverbiale. D’où l’intérêt de ce récit d’enfance qui vient de paraître en français (Ed. du Seuil).
Boyhood (Enfance) est le huitième ouvrage de J. M. Coetzee. Auteur de sept romans et de nombreux articles de critique littéraire, Coetzee est un romancier atypique dans le paysage littéraire sud-africain. Il est plus proche de Kafka, de Dostoïevski et de Beckett que des écrivains de sa génération que sont Nadine Gordimer ou André Brink. Rejetant le concept de la littérature engagée qui a connu comme on le sait, une fortune remarquable dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, Coetzee s’est distingué de ses camarades blancs et noirs en affirmant la suprématie d’une littérature de l’imagination sur une littérature trop étroitement enchaînée aux contingences du réel. Selon lui, « le vrai défi (pour l’écrivain vivant dans un pays totalitaire) consiste à savoir refuser les règles de jeu que lui impose l’Etat, à savoir établir sa propre autorité, à savoir imaginer la torture et la mort en ses propres termes ». Ses romans, depuis le tout premier Dusklands paru en 1974 jusqu’au dernier, Le maître de Petersburgh, en passant par les plus connus En attendant les barbares et Michaël K., sa vie et son temps (Booker Prize 1985), sont tous des constructions épiques qui mettent en scène à travers des fables plus ou moins ahistoriques les paradoxes de la condition humaine : la révolte, les compromissions, les certitudes et les doutes.
Boyhood est une clef indispensable pour accéder à cette sensibilité complexe. Composé de dix-neuf courts chapitres, ce récit met en scène les dix premières années de la vie du romancier dans une ville de province à 90 kilomètres du Cap.
John Michael Coetzee est né en 1940 dans une famille afrikaaner de culture anglaise. Dans ces années-là, qui coïncident avec l’instauration du régime d’apartheid, étape ultime du passage du pouvoir des mains d’une technocratie anglo-saxone à celles des proto-nationalistes afrikaaners, l’opposition anglaise/afrikaaner est primordiale. Source d’ambivalences et de souffrances pour le jeune Coetzee nourri de la poésie de Shakespeare et de Wordsworth et élevé dans le respect des valeurs anglaises : « Parce qu’on parle anglais à la maison, parce qu’il est toujours premier en anglais à l’école, il se considère comme anglais. Bien qu’il ait un nom de famille afrikaans, bien que son père soit plus afrikaans qu’anglais et bien que lui-même parle afrikaans sans trace d’accent anglais, il ne pourrait pas passer une minute pour un Afrikaner. (…) A la seule pensée d’être changé en petit Afrikaner, avec le crâne rasé sans chaussures, son cœur défaille. C’est comme être mis en prison, réduit à une vie où on n’est jamais seul ».
Dilemme douloureux et déterminant dans cette genèse de soi que retrace Boyhood. Un dilemme dont le jeune Coetzee va longtemps rendre responsable sa mère dont la figure lumineuse et intense éclaire les pages de ce récit. C’est une mère atypique. Elle ne va pas à l’église, ne bat jamais ses enfants, à qui elle a appris à appeler les grandes personnes par leurs prénoms et à mettre des chaussures tous les jours. Tout cela fait de lui dans ce bled perdu de l’Afrique du Sud, un être dénaturé qui tremble à l’idée d’être fouetté à l’école, comme le sont parfois ses camarades. Alors il fulmine contre cette mère, la tyrannise, tout en prenant conscience de son amour sans limites, de la valeur de ses sacrifices, de la force de son caractère face à un père faible et irresponsable. Son influence contrebalance celle de l’école, de ses tourments tant physiques que psychiques inspirant au jeune écolier qui s’éveille lentement à sa vocation d’écrivain, des récits sombres, coulant de source. « Comme de l’encre renversée, comme des ombres qui courent à la surface d’une eau qui dort, comme des éclairs qui crépitent et qui zèbrent le ciel ».
Une phrase qui décrit bien le lyrisme austère, si caractéristique de l’écriture de Coetzee. Un lyrisme que l’on retrouve dans les pages de Boyhood où l’auteur a su rendre sa nostalgie immédiate, presque matérielle, en la déclinant au présent et à la troisième personne, faisant ainsi la sienne la logique rimbaldienne implacable du « Je est un autre ».
Scènes de la vie d’un jeune garçon, de J. M. Coetzee. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine Glenn-Lauga. Seuil, 27, rue Jacob, 75006 Paris.
Boyhood est une clef indispensable pour accéder à cette sensibilité complexe. Composé de dix-neuf courts chapitres, ce récit met en scène les dix premières années de la vie du romancier dans une ville de province à 90 kilomètres du Cap.
John Michael Coetzee est né en 1940 dans une famille afrikaaner de culture anglaise. Dans ces années-là, qui coïncident avec l’instauration du régime d’apartheid, étape ultime du passage du pouvoir des mains d’une technocratie anglo-saxone à celles des proto-nationalistes afrikaaners, l’opposition anglaise/afrikaaner est primordiale. Source d’ambivalences et de souffrances pour le jeune Coetzee nourri de la poésie de Shakespeare et de Wordsworth et élevé dans le respect des valeurs anglaises : « Parce qu’on parle anglais à la maison, parce qu’il est toujours premier en anglais à l’école, il se considère comme anglais. Bien qu’il ait un nom de famille afrikaans, bien que son père soit plus afrikaans qu’anglais et bien que lui-même parle afrikaans sans trace d’accent anglais, il ne pourrait pas passer une minute pour un Afrikaner. (…) A la seule pensée d’être changé en petit Afrikaner, avec le crâne rasé sans chaussures, son cœur défaille. C’est comme être mis en prison, réduit à une vie où on n’est jamais seul ».
Dilemme douloureux et déterminant dans cette genèse de soi que retrace Boyhood. Un dilemme dont le jeune Coetzee va longtemps rendre responsable sa mère dont la figure lumineuse et intense éclaire les pages de ce récit. C’est une mère atypique. Elle ne va pas à l’église, ne bat jamais ses enfants, à qui elle a appris à appeler les grandes personnes par leurs prénoms et à mettre des chaussures tous les jours. Tout cela fait de lui dans ce bled perdu de l’Afrique du Sud, un être dénaturé qui tremble à l’idée d’être fouetté à l’école, comme le sont parfois ses camarades. Alors il fulmine contre cette mère, la tyrannise, tout en prenant conscience de son amour sans limites, de la valeur de ses sacrifices, de la force de son caractère face à un père faible et irresponsable. Son influence contrebalance celle de l’école, de ses tourments tant physiques que psychiques inspirant au jeune écolier qui s’éveille lentement à sa vocation d’écrivain, des récits sombres, coulant de source. « Comme de l’encre renversée, comme des ombres qui courent à la surface d’une eau qui dort, comme des éclairs qui crépitent et qui zèbrent le ciel ».
Une phrase qui décrit bien le lyrisme austère, si caractéristique de l’écriture de Coetzee. Un lyrisme que l’on retrouve dans les pages de Boyhood où l’auteur a su rendre sa nostalgie immédiate, presque matérielle, en la déclinant au présent et à la troisième personne, faisant ainsi la sienne la logique rimbaldienne implacable du « Je est un autre ».
Scènes de la vie d’un jeune garçon, de J. M. Coetzee. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine Glenn-Lauga. Seuil, 27, rue Jacob, 75006 Paris.
par Tirthankar Chanda
Article publié le 30/09/1999