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Cinéma

Un secret: après le livre, le film

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 02/10/2007 Dernière mise à jour le 02/10/2007 à 16:00 TU

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Sortie ce 3 octobre sur les écrans français du nouveau film de Claude Miller, Un secret. En fait, une adaptation du roman éponyme de Philippe Grimbert que le réalisateur de Garde à vue a tournée l’an passé. A l’origine de ce projet, le producteur Yves Marmion qui, le premier, s’est entiché du deuxième roman de Philippe Grimbert, vendu à près de 500 000 exemplaires depuis sa publication, en mai 2004. Si ce dernier a vécu là sa première expérience d’«écrivain adapté», pour Yves Marmion comme pour Claude Miller, le recours à la littérature est devenue, sinon une habitude, du moins un réflexe naturel. Avant Un secret, Yves Marmion avait déjà produit Le concile de Pierre de Guillaume Nicloux et Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc, deux films inspirés de deux livres. Quant à Claude Miller, 12 de ses 14 films sont tirés de livres. De l’avantage de l’adaptation pour un réalisateur et pour un producteur aux angoisses de l’auteur devant la caméra, un entretien avec les trois protagonistes d’une aventure qui a débuté en 2004, année de la parution d’Un secret et de l’achat des droits audiovisuels.

Un secret se présente comme un film de souvenirs. De souvenirs propres, en l'occurrence ceux de François le narrateur, et de souvenirs reconstitués qui touchent à un lourd secret de famille que ses parents lui ont toujours cachés. C'est d'ailleurs une amie de la famille qui, une fois devenu adolescent, le délivrera de ses peurs, des ses doutes, de ses fantasmes. Douleur personnelle bientôt rattrapée par l'Histoire avec un grand « H », la déportation des Juifs durant la seconde guerre mondiale. Claude Miller a fait le choix de l'absolue fidélité au roman de Philippe Grimbert, l'occasion d'interroger les trois protagonistes principaux de cette adaptation cinématographique. A commencer par celui qui en a eu l'idée, le distributeur Yves Marmion. 

RFI : Un livre, c’est mieux qu’un scénario original ?

Yves Marmion, producteur. (Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)
Yves Marmion, producteur.
(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

Yves Marmion : Ce n’est pas que c’est mieux, c’est que le livre, il existe tout de suite. Donc, dès le départ, vous savez l’histoire que vous pourriez raconter […] alors que pour un scénario original, vous avez un pitch, peut-être deux ou trois pages […] Donc le livre a cette vertu pas seulement rassurante mais de plaisir qui veut que tout de suite, on a l’objet de désir. Et c’est l’immédiateté du plaisir qui, pour un producteur, est une denrée assez rare puisque le processus de fabrication, de gestation d’un film est long, or, là tout de suite, vous lisez le livre et vous pouvez vous dire, cette histoire, j’ai envie de la voir à l’écran.

 

RFI : Vous êtes à l’affût ?

Y.M : Oui, moi je dis que je fais de la veille technologique en matière d’édition. A l’affût, absolument. Il y a un côté chasseur. […]. C’est vrai que systématiquement, j’essaye toujours de voir ce qui sort, de voir si ça pourrait avoir un rapport avec le cinéma ou avec un metteur en scène avec lequel je travaille […] donc il y a une dynamique très cérébrale et très artificielle au fond mais qui fait que, oui, on est à l’affût. […]. Moi je traîne beaucoup dans les librairies, j’en ai une ou deux où je vais régulièrement, […] j’achète beaucoup, beaucoup de livres parce que, au fond, c’est terrible quand vous n’avez pas lu un livre et que vous vous apercevez trop tard que ce livre, il était formidable. Donc, il faut au moins se donner l’impression qu’on s’est donné toutes les chances d’aller attraper la bonne histoire, le bon sujet, la bonne thématique.

RFI : Un secret, vous le lisez et vous avez senti assez vite que c’était un livre adaptable ?

Y.M : Oui, dès que je l’ai lu, je me suis dit: voilà, ça réunit des ingrédients qu’on n’a jamais vus ensemble sur l’intimité, sur cette période (on est sous l’Occupation) mais qui est en arrière-plan. C’est une histoire de passion, d’adultère et de trahison, qui traite aussi du poids du secret sur l’évolution d’un enfant puis d’un adolescent. Tout cela mélangé d’une manière assez étonnante. Donc tout de suite, j’ai pensé que ça pourrait faire un film, je l’ai envoyé tout de suite à Claude Miller avec qui j’avais déjà fait un film (Betty Fisher et autres histoires) et Claude a eu immédiatement la même réaction donc, ça c’est un cas de figure assez extraordinaire dans le sens où c’est rare que tous les ingrédients se rencontrent comme ça, le roman, le producteur, le metteur en scène. Il n’y a pas eu de doute. […]. Ensuite, il y a eu un casting. Je sais que Philippe Grimbert a reçu plusieurs prétendants, si l’on peut dire, et je crois que Philippe n’aurait pas donné a priori les droits à un producteur seul. Il voulait avoir en face de lui un vrai projet artistique et donc, un metteur en scène. Et j’ai l’impression que de plus en plus souvent, quand le livre est assez fort, l’auteur a envie, en amont, de se décider pour un couple production-réalisation. […] Et c’était d’autant plus important qu’il y a un aspect autobiographique dans le livre. Après, ça s’est passé très naturellement. Claude et la scénariste Nathalie Carter lui ont donné à lire le scénario au fur et à mesure de sa progression. Comme on avait fait très tôt des sortes de notes d’intention, Philippe a su tout de suite dans quelle direction l’adaptation allait partir, donc ça a été facile.

RFI : Un livre à succès, est-ce la garantie d’un film à succès ?

Y.M : Non, pas du tout. Quand j’ai produit l’adaptation du Concile de Pierre de Jean-Christophe Grangé, le film n’a pas marché du tout. Pour un livre comme Un secret, disons qu’il y a un public dont on peut se dire qu’il peut avoir envie de voir l’adaptation. Mais il n’y a pas de lien. Disons que c’est une présomption, ça aide, bien sûr, pour le marketing parce qu’il y a déjà une notoriété, c’est évident. Mais rien ne dit que ceux qui ont lu le livre vont au cinéma de manière générale, et surtout, ils vont entendre, lire ce que la presse leur dira du film. Ce que je veux dire, c’est que les éléments de notoriété, que ce soit les acteurs ou un livre, ça potentialise une rumeur favorable. Mais si le film est raté, si le film est mal reçu, les gens passeront à autre chose. Il y a trop de concurrence et surtout, si on a adoré un livre, pourquoi aller voir un film dont on vous dit qu’il n’est pas bien? Simplement, si on vous dit que le film est bien et que vous avez aimé le livre, alors subitement, sûrement vous irez.

Yves Marmion

Producteur

«Ecoutez l'intégralité de l'interview ici.»

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RFI : La littérature serait-elle la meilleure façon de faire des films ?

Claude Miller, 65 ans, réalisateur et scénariste. (Photo : AFP)
Claude Miller, 65 ans, réalisateur et scénariste.
(Photo : AFP)

Claude Miller : Pour moi, on peut dire ça puisque sur 14 films que j’ai faits, il y en a 12 qui sont des adaptations littéraires. J’ai absolument besoin de ça, d’un livre que j’ai aimé, ou de situations d’un livre ou de personnages d’un livre que j’ai aimés pour avoir envie d’imaginer un film.

RFI : Mais dans le cas présent, c’est un peu particulier puisqu’il s’agit d’une commande.

C.M : Oui, mais c’est la troisième fois que ça m’arrive, qu’un producteur me mette entre les mains un texte qui me donne envie d’en faire un film. Garde à vue, ça s’est passé comme ça, La petite voleuse, c’était pas un livre, c’était un synopsis de 20 pages de François Truffaut, posthume, et c’est Claude Berri qui a pensé à moi et qui me l’a donné et là, c’est donc Yves Marmion d’UGC qui m’a suggéré de lire Un secret.

RFI : Comment s’approprie-t-on un texte qu'on n'a pas écrit ?

C.M : Comme un lecteur. Quand on est lecteur et pas forcément cinéaste, et qu’on plonge dans un livre, qu’on a envie d’en tourner les pages et qu’on est bouleversé, je crois qu’on se fait son film en le lisant. On rêve, on imagine, on crée des visages et le privilège du cinéaste, c’est qu’il peut, en plus, le réaliser.

RFI : Et la responsabilité par rapport à l’auteur ?

C.M : Ce n’est pas la question que je me pose. De même, encore une fois, qu’un lecteur, je m’approprie la chose. Le lecteur ne cherche pas à respecter quoi que ce soit. Il imagine ce qu’on lui propose. La seule chose que j’essaye de respecter, c’est l’émotion que j’ai eue et que je me charge de transmettre aux spectateurs. Si je me pose la question, ‘Est-ce que je respecte l’auteur?’, je ne peux pas y répondre. Seul l’auteur peut y répondre […] donc c’est une question que je ne dois pas me poser puisque je n’ai pas la réponse. Donc, le seul respect que j’ai, c’est par rapport à l’émotion qui m’a donné envie de m’embarquer dans cette aventure qu’est un film.

RFI : Et là, avec ce texte, vous êtes-vous dit, c’est le texte que j’attends ? Y a-t-il eu une résonance particulière ?

C.M : Oui, certainement. Il se trouve que c’est un roman qui aborde la question de la judéité, la question de la Shoah et aussi la question de la passion amoureuse. Et je n’avais jamais abordé la question de la judéité alors que j’aurais pu le faire avant pour des raisons personnelles et si ce roman m’a bouleversé, c’est à cause de ces thèmes-là, c’était l’occasion de les aborder pour la première fois et, peut-être, quelque part, de rendre une espèce d’hommage à ma famille, aux miens et à là d’où je viens.

RFI : Pour l’adaptation, comment travaillez-vous ? Vous écartez l’auteur quand il est vivant ?

C.M : Oui, je pense qu’il est préférable, pour pouvoir fonctionner en cinéaste, de demander à l’auteur de bien vouloir s’abstraire, de confier son bébé pour le meilleur et pour le pire parce qu’il y a forcément, quelque part, non pas trahison mais dénaturation de l’imaginaire de l’auteur. L’auteur a imaginé quelque chose qu’il traduit en phrases et moi, ces phrases, je les traduis dans mon imaginaire à moi. Il faudrait qu’on soit dans une télépathie énorme pour que ça corresponde. Donc, il y a toujours le risque de rendre un auteur malheureux s’il participe à la fabrication. En revanche, il est tout à fait normal, et là pour des questions de responsabilité morale, que l’auteur soit un des premiers à voir le film et, s’il s’estime terriblement trahi, qu'il demande à enlever son nom ou le fasse savoir par voie de presse. C’est le risque que l’on prend.

RFI : Un auteur n’est donc jamais encombrant ?

C.M : Paradoxalement, l’auteur qui a été le plus encombrant pour moi, c’était un auteur décédé, c’était François Truffaut. Comme j’ai beaucoup travaillé avec lui et que je l’ai bien connu […], c’est vrai que c’est la seule fois, quand j’ai écrit le scénario de La petite voleuse, où je me suis senti une responsabilité affective, je dirais. Je me disais, ‘Est ce que ça lui aurait plu?’ C’était vraiment sur un plan affectif.

RFI : Et quand vous avez une idée du casting, demandez-vous aux acteurs de lire le texte, de s’imprégner de ce qui existe déjà ?

C.M : Si les acteurs sont contactés avant que je n’aie terminé l’écriture du scénario, souvent, pour les séduire et aussi pour sentir leurs réactions par rapport à ce qui m’a donné envie de faire le film, je leur demande de lire le livre. A chaque fois, je crois, je l’ai fait. Je veux savoir s’ils ont partagé les mêmes émotions que moi, si leur envie de faire le film peut ressembler à la mienne. C’est assez important. Si un acteur me dit, ‘j’ai envie de faire le film mais je n’ai pas beaucoup aimé le livre’, je crois que ça me refroidirait. Oui.

RFI : Et le fait de donner un rôle à l’auteur, ça représente quoi ? Un clin d’œil ou un peu plus ?

C.M : Il se trouve que, au fur et à mesure de l’élaboration du projet, Philippe Grimbert, qu’évidemment je ne connaissais pas avant que cette histoire ne commence, est devenu un ami. […] Et il y avait un petit rôle à distribuer. Alors, beaucoup de gens y trouveront peut-être un aspect symbolique puisque je lui ai donné le rôle d’un passeur qui, pendant la guerre, fait donc passer la ligne de démarcation à des fugitifs. Mais ce n’était pas conscient de ma part. Et puis je savais que ça allait beaucoup l’amuser. Ça s’est fait de façon un peu ludique.

RFI : Quoi qu’il en soit, Un secret, c’est votre film ? Pas de doute là-dessus ?

C.M : Oui, oui, très franchement et peut-être un peu abusivement, mais à chaque fois que j’adapte un livre, je me sens dans une position un peu vampirique. C’est à dire que je kidnappe quelque chose à quelqu’un […] et je me l’approprie, oui.

Claude Miller

Cinéaste

«Ecoutez en intégralité l'interview ici.»

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RFI : Votre livre adapté au cinéma, c’est un rêve ?

Philippe Grimbert, écrivain et psychanaliste. (Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)
Philippe Grimbert, écrivain et psychanaliste.
(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

Philippe Grimbert : C’est une surprise magnifique. […] Mais il est vrai que je suis un fou de cinéma donc, quand j’apprends que Claude Miller veut réaliser un film d’après mon livre, vous pensez bien que c’est un plaisir immense et en même temps, un trouble formidable parce que pour la première fois, j’ai l’occasion de voir au fond ce qui se passe dans la tête d’un lecteur. […] J’ai vu le film et […] je suis complètement enchanté du respect que Claude (Miller) a manifesté vis à vis de mon livre et de la liberté qu’il a prise aussi. C’est un regard de cinéaste sur un livre. […] Cette vie et cette liberté qu’il donne aux personnages de mon livre me permet aussi de me détacher de ce livre. […]. Parce que c’est un livre viscéralement lié à moi du fait que c’est quand même l’histoire de ma famille.

RFI : Ecrire son histoire, c’est une chose. La voir portée à l’écran, ce n’est pas plus compliqué ?

P.G : C’est vertigineux. D’un certain point de vue, heureusement que je suis aussi psychanalyste. Par exemple, quand j’ai assisté au tournage et que je me suis retrouvé dans une synagogue pour assister au mariage de mon père avec sa première femme ou quand j’ai vu cette première femme se livrer (à l’ennemi) avec le petit Simon […], ça peut vous faire vaciller.

RFI : Claude Miller s’est donc approprié votre histoire. Mais au moment de l’écriture du scénario, que vous êtes vous dit ? J’appelle tous les jours ou je me dégage ?

P.G : Je me dégage. C’est tout à fait de ce côté-là. C’était d’autant plus facile pour moi de me dégager qu’on ne m’a pas tenu à l’écart. Je leur ai fait une confiance absolue et Claude Miller et Nathalie Carter (co-scénariste) m’ont fait la confiance de me faire lire chaque version du scénario. […]. Mon livre sera toujours mon livre mais son film sera son film. […] Mais ça a tenu, aussi, à l’alchimie de notre amitié qui est née à ce moment-là (entre l’auteur et Claude Miller). C’est à la fois un hasard formidable que nous nous soyons si bien entendus, mais ce n’est peut-être pas complètement un hasard dans la mesure où, évidemment, quelque chose de mon histoire est entré en résonance avec celle de Claude Miller.

RFI : Avez-vous des angoisses en prévision de la sortie du film ? Des angoisses qui seraient comparables à celles qui ont accompagné la parution du livre ?

P.G : Ah non, ce n’est absolument pas comparable. J’ai une sorte d’excitation. J’aimerais autant que ça marche, tant qu’à faire, c’est sûr […] mais je ne suis pas inquiet. C’est au tour de Claude Miller d’être inquiet. J’ai réellement le sentiment d’avoir déposé mon angoisse chez lui. […] Je suis au contraire très libéré. Il faut être conscient que le livre de Philippe Grimbert va devenir le film de Claude Miller. Et, très souvent, l’auteur disparaît complètement.

Philippe Grimbert

Ecrivain

Ecoutez l'intégralité de l'interview ici.

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écouter 12 min 57 sec

17/04/2007 par Elisabeth Bouvet

Un secret, le livre de Philippe Grimbert aux éditions Grasset et en livre de Poche.

Un secret, le film de Claude Miller sur les écrans français le 3 octobre 2007. Avec Cécile de France, Patrick Bruel, Ludivine Sagnier, Julie Depardieu et Mathieu Amalric.