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Littérature

Dominique Sylvain ou l’œuvre au noir

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 24/05/2007 Dernière mise à jour le 24/05/2007 à 13:19 TU

(Source : Editions Viviane Hamy)

(Source : Editions Viviane Hamy)

Avec ses histoires d’arbres-refuges et de jardins remplis de souvenirs, il plane comme un parfum de paradis perdu dans L’absence de l’ogre, le nouveau roman de Dominique Sylvain sorti le 4 mai dernier aux éditions Viviane Hamy. Les retrouvailles avec ses deux héroïnes Lola Jost, l’ex-flic drôlement pointilleuse avec la langue de Molière et Ingrid Diesel, l’Américaine masseuse le jour, effeuilleuse la nuit, ont beau être placées sous le signe du «regain de printemps», ne surtout pas se fier à cette allégresse de saison bientôt endeuillée par une série de crimes, ici, à Paris, le port d’attache des deux amies, mais aussi à la Nouvelle-Orléans, de l’autre côté de l’Atlantique où commence et se finit ce quatrième opus. D’un continent, l’autre : rencontre avec Dominique Sylvain, de passage dans la capitale française en provenance du Japon où elle réside depuis 6 ans. Entre chasse aux indices et promotion du petit dernier, entretien à deux pas d’un parc Monceau en pleine floraison.

Son avion du retour est prévu pour le lendemain. Alors forcément, la tentation est grande de cuisiner notre hôtesse sur ses captures de printemps. Ses séjours parisiens ne sont-ils pas, pour elle, l’occasion d’engranger toutes sortes d’indices propices à bâtir, de mémoire, des histoires salement criminelles ? Cheveux mi-longs, petite frange et regard direct, Dominique Sylvain ne cherche même pas à nier l’évidence. «Je suis venue l’an passé pour la promotion de Manta Corridor, c’était au moment du salon du livre. Tous les jours, je prenais l’autobus pour la porte de Versailles et, tout le long du parcours, je voyais les jardiniers équipés comme des alpinistes grimper dans les arbres et tailler à tour de bras. Et comme j’aime bien le printemps à Paris, je me suis dit que le meilleur biais pour en parler, c’était finalement ces jardiniers qu’on connaît mal. Et puis, les jardins publics, c’est le genre d’atmosphère que le polar a quand même assez peu investi». L’acte de naissance de L’absence de l’ogre qui fleure bon la verdure avec ses bouquets de clématites, tubéreuses, capucines, roses et autres glaïeuls. Las, une ténébreuse affaire de spéculation immobilière ne va pas tarder à jeter sur ces fragrances capiteuses, sa tache rouge sang. Pas moins de cinq meurtres, «le regain de printemps» si cher à Lola Jost tiendrait plutôt du «retour de bâton». Même Cupidon, de service en cette saison favorable aux amours, flirte avec la grande faucheuse.

Du 11 septembre au passage du désir

(Source : éditions Viviane Hamy)
(Source : éditions Viviane Hamy)

«J’aime bien les contrastes. J’aime bien quand la noirceur se mélange avec des aspects solaires», souligne Dominique Sylvain qui a trop en horreur les étiquettes pour se laisser enfermer dans une palette. Et même dans un genre : «Je peux dire que j’écris des polars mais quand on dit que ce sont des polars qui sont atypiques, ça me va». Et dans le registre détonant, l’attelage franco-américain qu’elle a, pour la première fois, mis sur les rails en 2004 dans Passage du désir bat tous les records. Entre la rondelette Lola Jost, l’ex-professeur de français tatillonne passée par erreur par la maison Poulaga et la fantasque Ingrid Diesel, l’Américaine masseuse dans la journée et stripteaseuse la nuit, l’auteure ne pouvait imaginer duo plus mal assorti. Mais pas nécessairement discordant. «L’idée de ce duo est née peu de temps après le 11 septembre, se souvient Dominique Sylvain, au moment où Georges Bush envisageait d’envahir l’Irak. La situation internationale était dramatique et je me suis alors demandée si j’avais encore envie d’écrire des histoires noires dans ce contexte-là». Exit Louise Morvan, l’héroïne solitaire de ses précédents polars, remplacée par deux bonnes vivantes qui semblent tout droit sorties d’une comédie britannique, référence revendiquée d’ailleurs par Dominique Sylvain : «Je trouve que la comédie anglaise a une force indéniable parce qu’elle part de sujets très concrets et ça, ça m’influence beaucoup. Je crois qu’on peut raconter des histoires qui paraissent légères mais qui, dans le fond, si on gratte un peu, traitent de sujets sérieux, graves». Un petit côté «poil à gratter» qu’elle puise aussi chez Georges Clouzot, le réalisateur de Quai des orfèvres, le film préféré de Dominique Sylvain, pour son Paris authentique, gouailleur, volontiers râleur et furieusement humain. Mais même si son Paris à elle, peuplé de figures attachantes et généreuses, a des allures d’antan, elle ne se sent pas nostalgique pour deux sous. «Par exemple, explique-t-elle, je n’aime pas du tout Prévert. Sa vision poétique de Paris, je la rejette complètement». Ce qui l’intéresse, au contraire, c’est la réalité, rarement mièvre, comme le rappelle chacun de ses romans dans lesquels le lecteur entre sans détours, immédiatement happé par une violence éruptive.

Du noir sans complaisance

La télé-réalité, le sort des gamins roumains, la banlieue, la spéculation immobilière… Les maux de notre société nourrissent l’imagination de Dominique Sylvain. Ainsi nous emmène-t-elle, dans L’absence de l’ogre, à la Nouvelle-Orléans pour mieux épingler, entre autres, la (non) gestion des secours durant le passage de l’ouragan Katrina. Pour autant, cette dernière refuse de faire de ses romans, des polars engagés : «J’aime à montrer mais je ne suis pas quelqu’un qui dénonce. Je me méfie beaucoup du polar politique quand il est volontairement trop démonstratif. Et c’est pour cette raison que, dans tous mes romans, je multiplie les points de vue en fonction des personnages. Et donc, quand on regarde l’ensemble, c’est comme une mosaïque et je ne crois pas que l’on puisse deviner ce que je pense personnellement». A la façon de l’Espagnol Vasquez Montalban, autre modèle de Dominique Sylvain, qui, bien que très marqué politiquement, rappelle-t-elle, n’encombrait pas ses livres de considérations idéologiques. «J’écris sur des sujets qui me touchent, je sais que j’ai besoin d’être émue pour écrire mais je veux garder toute ma liberté», insiste-t-elle avant d’ajouter que «la vie est plus compliquée que ça». Toujours ce refus des catégories qui fait de son parcours, un entrelacs de fausses pistes. Ainsi de ses «positions politiques qui, reconnaît-elle, ne correspondent peut-être pas à celles de la majorité des gens du polar». Tendance, gauche toute. La tendance chez Dominique Sylvain serait plutôt à l’ouverture, à l’image de ce passage du désir, théâtre, en plein cœur de Paris, de son premier récit à deux voix, en 2004 et, surtout, de cette langue de Molière mise à rude épreuve par l’Américaine Ingrid dont les bourdes et les approximations mettent les nerfs de Lola en pelote.

Le goût de la langue

Dominique Sylvain. (Photo : Editions Viviane Hamy)
Dominique Sylvain.
(Photo : Editions Viviane Hamy)

«J’aime le changement et donc je ne suis pas du genre à militer pour la défense de la langue française parce qu’une langue, c’est quelque chose de vivant. Les anglicismes ne me font absolument pas peur, ça fait du bien à une langue d’être chahutée et puis, inventer des mots, c’est très amusants». Ce qui n’empêche pas de soigner sa langue maternelle : vocabulaire choisi, dialogues au petits oignons, citations à bon escient et même, dans L’absence de l’ogre, un détour par le XVIIIe siècle éclairé. «Ca m’intéressait, justifie-t-elle, de retrouver une langue perdue, totalement différente. L’amour de la langue, c’est ça : essayer d’inventer des mots, comme le fait Ingrid et, en même temps, ne pas oublier ses splendides racines». Savant équilibre qui contribue, pour une part importante, au bonheur du lecteur. Normal, Dominique Sylvain mijote ses récits avec la gourmandise des vrais coupables : «L’écriture, c’est la partie la plus plaisante, voire jubilatoire. Et ce jeu sur la langue entre Ingrid et Lola, je l’ai vraiment voulu dès le départ». Un péché mignon qui remonte à ses premières rédactions dans sa Lorraine natale où, petite, elle avait déjà tout, confesse l’intéressée, de la «graphomane totalement obsédée». L’écriture l’a d’ailleurs toujours accompagnée, d’abord comme journaliste indépendante, puis comme chargée de la communication pour un grand groupe sidérurgique. Il lui faudra néanmoins attendre la mutation de son mari au pays du Soleil Levant pour, la trentaine passée, s’essayer au roman. Ce sera Baka !, titre de son premier livre écrit à Tokyo et que Dominique Sylvain vient de remanier. Viendront ensuite, au gré des déménagements et des humeurs, thrillers et romans policiers conjugués d’emblée au féminin avec notamment l’apparition de Louise Morvan, en détective privée particulièrement entêtée et culottée. Du refroidissement des relations entre les Etats-Unis et la France, naîtra enfin l’amitié entre Ingrid et Lola. Histoire aussi de mettre un peu d’humanité dans ce monde de brutes.

Ces drôles de dames

Une note de douceur pour marquer sa différence dans un domaine, le polar, historiquement masculin ? Là encore, au diable les catégories voire les sous-genres. Dominique Sylvain n’écrit pas «au féminin» : «Quand je lis un roman, souligne-t-elle, je ne me pose pas la question du sexe». Et d’ailleurs ses admirations qui vont, pêle-mêle, à Raymond Chandler, Dennis Lahane, Elmore Leonard, Ed McBain, Thierry Jonquet ou encore Tonino Benacquista ne s’embarrassent guère du souci de parité. Elle citera quand même la Britannique Zadie Smith et Fantômette qui lui inspira, avoue-t-elle, son personnage de Louise Morvan. Ça l’amuserait même plutôt qu’aujourd’hui encore, trompées par l’ambiguïté de son prénom, il se trouve toujours des personnes pour spontanément parler d’elle, comme d’un homme. Elle reconnaît toutefois, «avec une petite dose de cynisme» que cette curiosité à l’égard des «nanas flingueuses» ne l'a pas forcément desservie : «Le fait, en France, que nous soyons minoritaires a joué en notre faveur et, je n’en étais pas mécontente, je vous le dis franchement. J’ai participé à un nombre incroyable de tables rondes sur ce thème, c’est vrai qu’à une époque, on avait une image extrêmement favorable». Il n’en reste pas moins vrai que ses héroïnes sont des femmes, tantôt sombres, tantôt drôlettes. Façon, là encore, de brouiller les pistes car, admet Dominique Sylvain, «je préfère me planquer derrière mes personnages». Jeu de rôle qui pourrait bien voir revenir Louise Morvan sur le devant de la scène. Dominique Sylvain est effectivement tentée d’envoyer Ingrid et Lola en vacances (bien méritées eu égard au rythme très rock de leur dernière enquête menée à un train d’enfer) et de redonner vie à celle qui, justifie-t-elle, «est encore là, encore vivante et disponible». Elle veut croire que cette résurrection sera salutaire : «Il faut se méfier de ne pas tomber dans une mécanique trop bien huilée». Mais qu’on se rassure, pas de licenciement en vue pour nos duettistes, juste une pause parce que, poursuit-elle, «certains sujets conviennent mieux à certains personnages». Les captations de ce printemps 2007 auraient-elles donc porté leurs fruits ? «A peine une sensation, concède-t-elle, c’est encore très flou. J’ai vu un jeune homme, je l’ai nommé Valentin et il roule en DS».

A tombeau ouvert.