par Kèoprasith Souvannavong
Article publié le 28/06/2007 Dernière mise à jour le 28/06/2007 à 17:07 TU
«Les oeuvres présentées ici s’interpellent, se répondent, s’enchaînent, et forment ainsi une unité très forte. Le musée a un côté classique dans son parcours et sa chronologie. Au rez-de-chaussée, nous avons les œuvres d’artistes italiens, flamands, hollandais et, à l’étage, la peinture française. Cette muséographie est celle que j’ai rêvée et qui s’est mise en place», indique le conservateur en chef Denis Coutagne.
La visite, au rez-de-chaussée, débute par la section «Des Primitifs à la Renaissance». D’emblée, l’œil du visiteur est attiré par Saint Sébastien au donateur d’Andrea Previtali, peintre du XVIe siècle, originaire de Bergame et que l’on rattache à l’école vénitienne. On y voit Saint Sébastien debout adossé à une colonne de marbre, la poitrine transpercée par deux flèches, mais dont le visage exprime une sorte de sérénité et de douceur qui trouve un écho dans le paysage figurant en arrière-plan. Un tableau représentatif de la subtilité des œuvres vénitiennes qui «marient comme par enchantement la douceur des expressions et des paysages à la rigueur de la composition», explique Denis Coutagne.
Une forte présence des écoles italiennes
La présence importante de la peinture italienne dans le musée ne relève pas du hasard. En effet, les artistes transalpins, très influents, étaient déjà en Provence dès le XIVe siècle. En témoignent L’Annonciation et La Nativité, deux panneaux faisant partie d’un triptyque attribué à un maître de l’entourage de Simone Martini, peintre siennois implanté en Avignon à la suite de l’installation de la cour papale dans la ville.
Forte de leur empreinte au musée Granet, les écoles italiennes cohabitent harmonieusement avec les peintures flamandes et hollandaises, en particulier pour les œuvres allant du XIVe au XVIIe siècle. «Nous avons voulu marquer un dialogue entre le Nord et le Sud de l’Europe, confie Denis Coutagne. Le Nord comprend les peintures flamandes et hollandaises. Elles sont représentées dans toute leur diversité : le paysage, la scène de genre, et le portrait». Au rang des pièces maîtresses du musée, on compte un Autoportrait de Rembrandt, et les portraits d’un dignitaire et de son épouse peints par Rubens au retour d’un long séjour italien. «Quant au Sud, poursuit le conservateur en chef, il comporte les peintures italiennes d’artistes comme Giovanni-Battista Piazzetta, Andrea di Lione, et Mattia Preti». C’est par ce dernier, issu de l’école napolitaine, que s’achève la visite du rez-de-chaussée. Sa toile de près de quatre mètres sur trois, Le Martyre de sainte Catherine, domine les marches qui mènent à l’étage. Une composition dramatique mêlant une palette de bruns, ocres et rouges avec des notes de rose, de bleu et de gris. «Cézanne, dans sa vieillesse, visitant le musée avec Emile Bernard, disait, devant ce tableau, que c’est comme cela qu’il voulait peindre quand il était jeune. Il y appréciait son côté violent, tumultueux, agressif», commente Denis Coutagne.
Une collection française exceptionnelle
Une fois les marches gravies, un autre voyage dans le temps attend le visiteur, invité à parcourir une collection française exceptionnelle.
A commencer par le XVIIe siècle, avec des tableaux représentant la naissance d’un paysage classique, les scènes de genre, les portraits, la mythologie, mais aussi la grande peinture de la contre-Réforme caractérisée par une thématique religieuse démonstrative, illustrée notamment par La Visitation de Pierre Puget, et La Présentation de la Vierge au temple. «Œuvre de Lubin Baugin, cette dernière s’inscrit dans un esprit maniériste un peu attardé reprenant l’école de Fontainebleau, mais avec une sorte d’élégance des formes, des couleurs, des compositions, des attitudes des sujets peints d’une grâce propre à l’artiste», affirme Denis Coutagne, avant de regretter : «nous n’avons malheureusement pas de Poussin».
Les œuvres du XVIIIe siècle apparaissent moins austères, plus profanes, à l’instar des portraits de toute une famille exécutés par Hyacinthe Rigaud.
Quant au XIXe siècle, c’est bien sûr avec une salle entièrement dédiée à François-Marius Granet qu’on l’aborde. Originaire d’Aix, le peintre a légué à la ville quelque 150 de ses œuvres en plus de sa collection privée. Au centre de la salle, le portrait de Granet, peint par son ami Jean-Auguste-Dominique Ingres, donne l’image d’un homme jeune, beau, romantique, avec pour toile de fond la ville de Rome où Granet a résidé pendant vingt-cinq ans. «Cet arrière-plan a suscité une controverse, relate Denis Coutagne. Comme Granet a complété ou fait des fonds sur certains tableaux de Ingres, on s’est posé plusieurs questions : cet arrière-plan est-il la touche de Granet ? N’est-ce pas plutôt Ingres qui fait, pour ce portrait de Granet, un tableau à la manière de Granet ? Je pencherais pour la deuxième hypothèse, car on a une qualité de lumière sur les pierres et les bâtiments dans les tableaux de Granet que l’on ne retrouve pas ici ».
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(Photo : Musée Granet CPA)
Cette salle Granet annonce le néo-classicisme de la suivante où trône l’imposant Jupiter et Thétis. On y voit Achille blessé qui regarde sa mère Thétis. Dans ce tableau monumental de Ingres, qui date de 1810, le thème est traité de manière érotique : la déesse au corps souple et serpentin se veut désirable, tandis que le roi des dieux s’apparente à un colosse imperturbable. Comme l’une de ses précédentes toiles, celle de Napoléon (exposée désormais au musée de l’Armée), avait été très critiquée, Ingres, trentenaire ambitieux, avait décidé de mettre en évidence une autre facette de son talent avec Jupiter et Thétis. «Le résultat s’avère une démonstration du génie pictural sur un sujet classique qu’est la mythologie, mais une mythologie à laquelle plus personne ne croit», souligne Denis Coutagne. Certains, comme Cézanne et Picasso, ont trouvé cette oeuvre fascinante, d’autres caricaturale, voire monstrueuse.
Le musée Granet ne renferme pas que des tableaux. Son sous-sol recèle une galerie de sculptures, dont celle d’Henry IV. Œuvre de Barthélémy-François Chardigny (XVIIIe siècle), elle a échappé à la destruction lors de la Révolution, son auteur ayant eu la bonne idée de détruire le visage du roi, laissant croire ainsi que la statue était celle d’un simple gentilhomme. Chardigy a ensuite refait la tête du monarque lorsque l’Empire s’est installé. A noter également, une petite statue de Joseph-Hugues Fabisch, La Fille de Jefthé, dont le visage angélique a été reproduit dans quasiment toutes les sculptures de Notre-Dame de Lourdes.
De Cézanne à Giacometti
A l’étage, après avoir traversé une petite galerie des bustes, on peut admirer les 71 œuvres de la donation «De Cézanne à Giacometti» faite à l’Etat en 2 000 par le collectionneur Philippe Meyer et reçue en dépôt par le musée. Ce dernier, dont le fonds compte à ce jour 12 000 œuvres, s’est d’ailleurs enrichi essentiellement par la générosité de donateurs privés.
Une place toute particulière est donnée à Paul Cézanne, avec une salle entière présentant le travail du maître aixois, avec des huiles sur toile et des aquarelles, des œuvres de jeunesse comme Le Rêve du poète ou le baiser de la muse, une copie presque littérale d’une œuvre de l’école de dessin d’Aix où il a étudié.
Les Baigneuses (1890), une toile de seulement 29 centimètres sur 45, préfigure celles d’un format beaucoup plus grand que l’artiste va livrer par la suite. «Le thème des baigneuses va obséder Cézanne à la fin de sa carrière. Dans ces toiles, il peint la figure féminine dénudée», dit Ludmila Virassamynaïken, conservatrice du patrimoine au musée Granet. «Ce n’est pas tellement l’anatomie ou la sensualité qui peuvent se dégager de ces corps qui intéressent Cézanne, mais plutôt la fusion des éléments et des corps. Les couleurs s’interpénètrent : le bleu du ciel vient colorer la chair, ce qui était très étonnant à l’époque. D’où cet aspect un peu colossal que certains peuvent regretter des baigneuses».
L’année dernière, à l’occasion du centenaire de la mort du peintre, le musée Granet, alors en pleins travaux, avait ouvert ses portes provisoirement pour accueillir l’exposition «Cézanne en Provence» que 440 000 personnes avaient visitée.
Le chantier de 25 570 000 euros a permis à l’établissement de disposer aujourd’hui de 4 500 m2 de surface d’exposition, contre 900 m2 avant sa métamorphose.